L'Année de la foi et la pastorale de la santé

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Réflexion sur les dynamiques du « soigner » et du « guérir »

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Mgr Lorenzo Leuzzi

Traduction d’Océane Le Gall

ROME, mercredi 26 septembre 2012 (ZENIT.org) – L’Année de la foi est « l’occasion d’affronter de manière ferme et sans réticences la distinction fondamentale entre ‘soigner’ et ‘guérir’. Soigner toujours, guérir si cela est possible  », fait observer Mgr Lorenzo Leuzzi, évêque auxiliaire de Rome et délégué à la commission pour la pastorale de la santé,  dans son intervention  au congrès diocésain pour le personnel engagé dans cette pastorale sur le diocèse.

Dans ce discours,  rapporté ci-dessous dans son intégralité, Mgr Leuzzi aborde la question du rôle et de la place de l’Eglise dans le monde social et médical de notre époque, invitant les congressistes à revisiter les dynamiques propres au monde de la santé «  soigner, guérir, faire vivre » dans une première démarche de Nouvelle Evangélisation :

«  Jadis, cette distinction (entre soigner et guérir) était superflue : c’était de l’acquis. Concrètement les soins n’impliquent pas toujours la guérison.  Elle a commencé à se répandre avec la naissance de la société industrielle. Dans une société dynamique, comme celle dans laquelle nous vivons, la possibilité pour l’homme de « se faire dans l’histoire », soit de devenir « un homme nouveau» est venue s’ajouter au droit et devoir de soigner. La société devient l’endroit où l’homme peut « être »  encore plus  (cf. CV n. 29).

C’est l’apparition d’un nouveau concept de la santé qui n’est plus l’expression du « total bien-être physique, psychologique et social de l’homme (définition de l’OMS) », mais aux dépendances d’un projet pour la société. Autrement dit, le concept de « bonne santé » est lié à la société, à son mode de construction: il y aura une « bonne santé » pour la société marxiste et une bonne santé pour la société libérale et capitaliste.

Alors que l’acte de « soigner » est toujours lié au bien de la personne et à sa promotion intégrale, « guérir » peut être au service d’un concept « idéologique » de la santé, dans lequel prévaut la construction de la société tout en annulant l’homme, aussi et surtout quand celui-ci est malade.

L’acte de soigner est en effet un acte qui poursuit sa course jusqu’à l’achèvement de la vie dans le temps et dans l’espace ; celui de « guérir » s’arrête dès lors que l’objectif est atteint : quand l’objectif n’est pas atteint on peut suspendre les soins, car l’homme est devenu « objet » de l’intervention sociale et médicale.

Les conséquences de cette attitude sont:

– la méfiance envers le personnel soignant: la rupture du rapport de confiance entre le personnel social et médical et le patient s’accentue de plus en plus;

– la disparition de l’analyse clinique: le primat du succès thérapeutique amène à ne plus se risquer à une évaluation clinique, mais à se reposer sur les données de laboratoire;

– la hausse continue des dépenses de santé: la recherche spasmodique de la guérison amène à demander des prestations de plus en plus avancées et de plus en plus vastes sans juger de leur réelle opportunité;

– le rôle ambigu du bénévolat: le bénévolat assume des rôles substitutifs face au primat de l’efficacité thérapeutique. Ce sont des rôles qui doivent revenir au personnel soignant, à commencer par l’accueil et par la disponibilité à l’information.

Le rôle de la religion

Autrefois, la religion aidait à tenir ensemble ces deux perspectives, « soigner » et « guérir », soutenant la primauté de l’homme sur l’intervention sociale et médicale.

Dans la société née de la révolution industrielle, les religions n’ont plus la possibilité de remplir ce rôle, mais elles sont au service du concept idéologique de la santé. Comment ?  En assumant un rôle de réconfort après l’échec thérapeutique, avec aussi des perspectives au-delà de la mort; en proposant des expériences religieuses de « guérison », s’illusionnant d’entrer ainsi dans la dynamique de la construction sociale qui sollicite et encourage la culture du succès thérapeutique.

La société, de cette façon, cherche la religion en l’instrumentalisant à son service.

Le rôle du christianisme

La question fondamentale est : « le christianisme est-il la religion du ‘soigner’ ou du ‘guérir’ ? ». Autrefois cette question était superflue.

Jésus a-t-il soigné ou a-t-il guéri ? Jésus a soigné ; il a aussi soigné en guérissant, mais il n’a pas guéri l’homme, il l’a « recréé » pour qu’il soit guéri à jamais ! 

Les miracles qu’il a accomplis sur les malades ne sont pas l’objectif de la Rédemption, car le Rédempteur soigne mais ne guérit pas. Jésus est le Bon Samaritain, pas le guérisseur. Ce n’est que comme cela que l’on peut espérer dans le miracle ! Après la guérison des deux aveugles, Jésus dit: « Veillez à ce que personne ne le sache” (Mc. 9, 30).  Aucun des grands miraculés des évangiles n’a été choisi par Jésus: pas même Lazare!

Ceci explique pourquoi la pastorale de la santé est en difficulté, dans ses structures sociales et médicales, mais aussi dans ses paroisses où l’on ne parle plus de souffrance, de maladie et de mort. Les fidèles attendent un Dieu qui guérit, qui fait des miracles, et non un Dieu qui soigne!

De la foi religieuse à la foi théologale

L’Année de la Foi est un grand don pour la pastorale de la santé : découvrir que la foi chrétienne n’est pas une foi  religieuse qui console, guérit, promet, mais une foi théologale qui signifie croire que la vie nouvelle, donnée dans le baptême, agit en l’homme et le soigne, lui transmettant la capacité à supporter la souffrance, la maladie et la mort durant son existence. Autrement dit la foi théologale l’aide à être plus encore.

C’est dans l’Eglise que naît et se développe cette vie nouvelle, devenant manifestation historique de soin que Dieu accorde à tous nos frères.

La souffrance, la maladie, la mort, sont les marques les plus hautes de l’existence humaine : les cacher et penser les éliminer en guérissant est une pure illusion, c’est envisager une société qui annule l’homme.  Ce n’est qu’en soignant que l’homme peut les vivre comme une « participation à la construction de l’Eglise et de la société ».

Une communauté qui cache ou oublie son frère qui souffre, qui est malade, qui meurt, n’est pas une communauté chrétienne, ni une société digne de l’homme.

Pour la foi religieuse, la souffrance, la maladie, la mort, sont des événements extraordinaires; pour la foi théologale elles sont des évènements de l’existence humaine, sans lesquels on ne peut ni comprendre la condition humaine ni découvrir le vrai Dieu.

Le Dieu de Jésus-Christ est le Dieu qui soigne, assumant la souffrance, la maladie et la mort pour les transformer, faire de ces réalités extérieures des moments liés à notre histoire personnelle qui est unique; les autres dieux guérissent mais ne soignent pas ; ils jugent mais ne pardonnent pas!

Soigner c’est garantir à l’homme son  identité, sa stabilité et l’éternité: c’est la grandeur de chaque homme. Cette présence, seul le Dieu de Jésus-Christ la possède!

Pour conclure, la présence de l’Eglise dans le monde social et médical doit être une garantie de la dignité de l’homme, défendant celui-ci de toute forme d’ « objectivation » aussi bien idéologique que religieuse. C’est la nouvelle évangélisation de la pastorale de la santé.

Etre de bons samaritains signifie être signe du passage de
Jésus qui soigne, les annonceurs d’une présence réelle et historique, qui sauve et soutient la vie de l’homme.

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ZENIT Staff

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