Jean Vanier, le témoignage de la compassion

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Le fondateur illustre le Message de Jean-Paul II

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CITE DU VATICAN, Lundi 4 février 2002 (ZENIT.org) – Nous proposons ci-dessous notre traduction du témoignage de Jean Vanier lors de la présentation du message de Jean-Paul II pour le carême 2002, ce matin, 5 février, en la salle de presse du Saint-Siège.

« Je suis toujours impressionné par la façon dont Jean-Paul II, jour après jour, proclame un chemin d´amour, une vision de la « civilisation de l´amour ». Est-ce seulement un rêve? Cette civilisation est-elle possible? Nous vivons dans un monde plein de conflits, d´inégalités, un monde où l´égoïsme la haine et la violence semblent si souvent jeter de l´ombre sur les oeuvres de l´amour. Que peut faire chacun de nous pour changer cet état de fait, et pour apporter l´espérance à notre monde?

« Dans son message de carême, le Saint-Père nous appelle à « donner gratuitement ». Il nous appelle d´une façon spéciale à accueillir chaque personne indépendamment de ses qualités ou de ses défauts, et d´assumer la responsabilité des malades, les marginalisés, les pauvres et les exploités.

« Cela fait maintenant 37 ans que j´ai le privilège de vivre avec des hommes et des femmes qui ont des difficultés d´apprentissage, qui ont souvent connu la souffrance de la moquerie, du rejet et de l´exclusion. Les personnes avec des handicaps mentaux sont parmi les personnes les plus opprimées, on ne veut pas d´eux dans notre monde de compétition stressant. Beaucoup les considèrent comme un ennui, un dérangement, moins qu´humains, sans réelle valeur. Une récente enquête a montré qu´en France, 96 % des femmes qui savent que l´enfant qu´elles portent a un handicap cherchent à avorter. Mais je voudrais ici rendre témoignage au « pouvoir » de ces personnes soi-disant « sans pouvoir », à leur capacité d´ouvrir les coeurs, à aider les gens à devenir davantage vraiment humains, à conduire les gens au mystère des évangiles, et à une rencontre avec Jésus.

« Cependant nous ne pouvons pas ignorer que les enfants nés avec un handicap sévère sont un scandale, humainement parlant. Ce n´est peut-être que le message de l´Evangile qui puisse nous aider à entrer dans le mystère de leurs vies.

« Nous savons que toute personne est importante, unique, précieuse pour Jésus. Les personnes ayant des difficultés à apprendre ont une importance spéciale pour Jésus parce que dans leur apparente incapacité, elles sont plus ouvertes à l´amour. Elles pourraient ne pas être capables de développer leurs capacités intellectuelles, mais ce sont des personnes de coeur, des personnes ayant soif de relation. C´est pour cela que Paul affirme dans sa lettre aux Corinthiens que Dieu a choisi les faibles et les fous aux yeux du monde de façon à confondre les forts et les soi-disant intelligents; que les membres les plus faibles, « les moins présentables » sont nécessaires à l´Eglise et doivent être honorés » (cf. 1 Co 1n 21; 1 Co 12).

« Au cours de ces 37années, j´ai aussi rencontré et accompagné un certain nombre de jeunes et de moins jeunes volontaires qui sont venus à l´Arche et à Foi et Lumière. Dans nos 120 communautés de l´Arche, ils partagent leur vie, vivant et travaillant au quotidien, avec des hommes et des femmes porteurs de handicap. Dans les 1500 communautés Foi et Lumière, ils rencontrent régulièrement des personnes porteuses de handicap et leurs familles. Certains sont devenus des amis fidèles de personnes avec des handicaps, dévoués à eux. Et je peux témoigner comment cette amitié avec les faibles les a conduits à croître en maturité et complétude de foi en Jésus.

« Antonio est un jeune homme portant un handicap mental lourd et des handicaps physiques. Il avait un visage incroyablement beau et une capacité et à toucher les coeurs. Lorsque vous l´appeliez par son nom, son visage s´éclairait. Beaucoup parmi nous considéraient Antonio comme notre « professeur » parce que nous sommes si nombreux à avoir du mal à nous accepter tels que nous sommes. Nous pouvons être capables de marcher, de parler et d´apprendre, mais nos handicaps sont plus intérieurs, nous avons des difficultés de relation. Nous sommes souvent pleins de préjugés, fermés derrière des murs de protection intérieurs ou des barrières. Nous avons du mal à pardonner aux autres lorsqu´ils nous ont blessés. Nous voulons souvent avoir du pouvoir sur les autres qui deviennent rapidement des rivaux. Souvent, nous sommes en colère ou déprimés. Antonio nous a montré comment accepter nos limites et travailler avec elles pour devenir plus complets. Si vous aviez rendu visite à Antonio il vous aurait touché par son sourire, son acceptation de lui-même, sa soif d´amour et d´amitié. Vous auriez aussi été touché par les jeunes volontaires à ses côtés. Si vous leur aviez demandé: « C´est difficile d´être avec Antonio, et de prendre soin de lui? » Vous auriez été surpris de leur réponse: « On m´avait appris à être fort, assuré, agressif, pour pouvoir obtenir un bon travail. Plus tard, au travail, j´ai eu à lutter, à faire de mon mieux, de façon à me hisser d´échelon en échelon pour avoir une promotion et avoir plus d´argent. Antonio m´a conduit à un monde complètement différent: le monde de la communauté, de l´écoute mutuelle, de la croissance dans la compassion, là où chaque personne est importante, si faible, capable ou handicapée qu´elle soit ».

« Je peux témoigner que beaucoup de jeunes volontaires qui viennent dans nos communautés vivent une expérience de transformation. Jésus les attend dans les pauvres et les faibles. Ils découvrent quelque chose de fondamental sur l´être humain et sur le fait d´être un disciple de Jésus.

« Tout d´abord, ils découvrent graduellement leur propre coeur, la profondeur de leur être. Les personnes ayant un handicap d´apprentissage réclament de l´affection, une amitié fidèle, et de la compréhension. Ils ont une façon mystérieuse d´abattre les barrières qui entourent les coeurs des gens. Ils éveillent ce qui est le plus profond en nous: nos coeurs et nos désirs de relation. Nous voyons dans la parabole du « Bon Samaritain » combien le Juif blessé laissé au bord de la route quelque part entre Jérusalem et Jéricho a touché et éveillé le coeur du samaritain qui passait là.

« Beaucoup d´autres jeunes veulent aujourd´hui aller dans les régions les plus pauvres du monde, pour partager leur vie avec des personnes dans les bidonvilles, les camps de réfugiés, dans des écoles pour enfants défavorisés. Ils vivent également une expérience qui transforme leurs vies. Ils réalisent qu´ils peuvent faire quelque chose de beau de leurs vies, seulement en étant avec les gens et en leur apprenant à les aimer intelligemment. Ils réalisent aussi combien ils étaient auparavant fermés et pleins de préjudices, combien ils étaient uniquement préoccupés par leur propre famille immédiate ou leur groupe, leur religion, ou leur culture, et ils commencent à comprendre combien les cultures les plus riches oppriment les plus pauvres. Cette expérience partagée avec les personnes souffrantes et faibles les aide à découvrir ce que cela signifie de faire partie de la famille humaine. Ils découvrent qu´être humain, et être Chrétien signifie aimer les gens. Les choses et les projets sont importants mais devraient toujours être orientés vers les gens. Martin Buber, le philosophe juif, dit que lorsque les sociétés mettent trop l´accent sur l´acquisition de choses, elles ont tendance à perdre l´importance des relations. Et pourtant, notre trésor à nous, êtres humains, est précisément les relations, le coeur. Le chemin pour résoudre les conflits et pour la justice ne peut que passer par le dialogue, la relation, et l´amour.

« De nombreux jeunes volontaires viennent dans nos communautés en voulant faire du bien aux pauvres, mais ce qu´ils découvrent, c´est que ce sont les faibles et les pauvres qui le
s guérissent et les transforment, en les conduisant à la compassion. C´est un chemin vers Jésus. Ils découvrent que Dieu nous attend dans les pauvres et les faibles. Ils découvrent ensuite que le christianisme n´est pas d´abord une théologie, un catéchisme ou des lois morales, mais une relation avec une personne, la personne de Jésus. Est-ce que ce n´est pas ce que Jean, le disciple bien-aimé, révèle lorsqu´il dit dans ses lettres:
« Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, parce que l´amour vient de Dieu et celui qui est né de Dieu connaît Dieu » (1 Jn 4).
« Mais si quelqu´un est riche et voit son frère dans le besoin et pourtant lui ferme son coeur, comment l´amour de Dieu serait-il en lui? »

« Dans notre monde brisé, beaucoup de jeunes sont souvent troublés. Certains, lorsqu´ils découvrent le chaos dans le monde, et en eux-mêmes, dans leur propre violence et leur sexualité désordonnée, peuvent tomber dans une vie de chaos. D´autres veulent juste faire ce que tout le monde fait. Ils cherchent à ignorer le chaos, sans remettre en question les valeurs de la société et veulent seulement la sécurité, l´argent et le succès. Cependant les autres voient le chaos qui peut les rendre mal assurés. Ils cherchent des groupes forts qui leur donnent de l´assurance. Ils ont besoin de ressentir qu´ils sont forts et du bon côté.

« Cependant d´autres prennent la route plutôt mal assurée de la compassion. Ils veulent être avec les brisés de notre monde. A travers la compassion ils découvrent la communauté et leur besoin d´une relation profonde et personnelle avec Jésus. Ils découvrent la signification de l´Eucharistie et du lavement des pieds. Ils découvrent l´Eglise, une communauté de croyants, et ils commencent à réclamer l´unité de tous les disciples de Jésus et de toute l´humanité.

« Dans ce monde troublé et brisé, L´Arche et Foi et Lumière sont comme des écoles de relations, des écoles du coeur. Nous apprenons à travers les moments de difficulté lorsque nous touchons notre propre violence, combien nous avons besoin d´être aidés à aimer intelligemment. Nous avons besoin du soutien d´une communauté et d´un bon accompagnement spirituel pour grandir en complétude, maturité et dans l´union avec Jésus.

« Ayez de la compassion comme votre Père a de la compassion. Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés. Ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez et vous serez pardonnés. Donnez et il vous sera donné » (Luc 6, 36-38) ».

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ZENIT Staff

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