Jean Vanier : La dépression est une maladie du « souffle », de l’énergie

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Entretien avec le fondateur de l’Arche

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ROME, Lundi 5 février 2007 (ZENIT.org) – « Lorsqu’on est devant une personne en dépression, en soi-même on devient très pauvre. La question est : comment accueillir l’autre tel qu’il est avec nos pauvretés et notre élément de dépression en face de la dépression ».

C’est ce qu’affirme Jean Vanier, fondateur de l’Arche et co-fondateur de Foi et Lumière, dans cet entretien accordé à Zenit.

Le 7 février prochain, il interviendra à Paris à l’occasion d’une conférence-rencontre organisée par l’Office chrétien des personnes handicapées (OCH) et l’Association Relais d’amitié et de prière. Le thème de son intervention sera : « La dépression, qui me libèrera ? »

« La dépression n’est pas une maladie honteuse qu’il faut cacher à soi-même et aux autres… Les blessures du cœur sont des réalités de la vie qu’on ne peut empêcher.. » écrit Jean Vanier dans son ouvrage « La dépression » publié aux Editions du Livre ouvert en 1999.

Zenit : La dépression est un fléau très actuel dans la société d’aujourd’hui. Comment l’aborder ? Comment libérer les personnes dépressives de leur état ? C’est un thème dont vous parlez volontiers. Quels aspects spécifiques comptez-vous abordez durant la conférence du 7 février ?

Jean Vanier : Il faut parler de la dépression, et en parler peut-être comme de la chose la plus humaine, la plus réelle. C’est l’objet de ma conférence mercredi. Toute la question est de savoir où l’on place ses valeurs. Et la grande question est que si l’on place ces valeurs uniquement dans la réussite, dans la force, etc. on est en train de négliger une partie de soi-même qui est l’enfant, qui est la femme plus fragile, qui est la personne où il y a de la vulnérabilité. Sortir de la dépression, c’est trouver des personnes qui t’aiment, non pas parce que tu es puissant et parce que tu as réussi, mais pour toi-même, avec ta fragilité.

Zenit : On peut se le dire ou le dire à la personne dépressive, mais comment l’intérioriser vraiment de part et d’autre ?

Jean Vanier : Nous nous trouvons devant une question immense. Ce ne sont pas uniquement des médicaments qui vont aider les personnes. Les médicaments peuvent atténuer les angoisses mais la grande question est : « Est-ce que je veux découvrir ce que signifie être humain ? ». L’être humain est né dans une petitesse et mourra dans la petitesse. Est-ce que nous sommes prêts à accueillir notre fragilité telle qu’elle est ? Nous vivons dans une société où l’on refuse cela. On refuse les faibles, on veut écarter les gens âgés, on veut écarter les personnes avec un handicap et on veut écarter ce qui est fragile à l’intérieur de soi. Alors voilà, comment aider les personnes à retrouver ce que signifie « être humain » ?

Zenit : Est-ce que la dépression peut-être perçue comme un handicap mental ?

Jean Vanier : Ce n’est sûrement pas un handicap mental. Une personne dépressive est ce que j’appellerais un « handicapé du souffle ». La dépression est une maladie du « souffle », de l’énergie. Quelque part, l’énergie est bloquée. Et c’est ce blocage du souffle qui amène malheureusement toutes sortes d’angoisses, toutes sortes d’éléments à l’intérieur de soi que l’on veut calmer. Alors le danger est de se planter la tête devant la télévision, de boire de l’alcool, de prendre de la drogue, de chercher quelque chose de nouveau au lieu de chercher à l’intérieur de soi. Et c’est ça le drame !

Zenit : Mais le problème de la personne dépressive est justement de ne pas réussir à descendre à l’intérieur d’elle-même et d’avoir tendance à aller chercher à l’extérieur les réponses à son mal…

Jean Vanier : Tout à fait. Alors, il faut que quelqu’un aille vers elle. Mais il faut qu’il y ait aussi chez elle le désir de changer un peu sa vie, car les blocages de l’énergie surviennent parce qu’on se jette dans un domaine, par exemple la réussite, et qu’on a oublié une autre partie de soi-même. L’être humain est complexe. Il faut à la fois des dons, il faut réussir, il y a le cœur, il faut des relations avec des personnes. Mais dans ces relations il ne s’agit pas de chercher à les dominer mais à être en communion avec elles. Il y a un côté de spiritualité, qui est le souffle, qui va m’aider à vivre et à découvrir que je peux faire de belles choses avec ma vie. Il y a une question de foi qui touche toutes les questions de la mort, de l’échec etc. Et très souvent, les personnes ont gommé quelque chose. Alors il faut les aider à chercher elles-mêmes dans leur être. Mais la grande question est qu’il ne faut pas qu’il y a ait trop de monde à vouloir changer les personnes. Il faut qu’il y ait des personnes qui les acceptent telles qu’elles sont. Car lorsqu’on veut changer les personnes, au lieu de les aimer telles qu’elles sont, on court toujours le risque d’un rejet de leur part.

Zenit : Alors comment apprendre à aimer ces personnes ? Comment les aider dans leur manque de souffle ?

Jean Vanier : La vraie question à se poser est comment être avec elles dans notre pauvreté, car finalement le manque de souffle est un manque de puissance. On se trouve pauvre. Et quand on est devant la personne en dépression, en soi-même on devient très pauvre. La question est : comment accueillir l’autre tel qu’il est, avec nos pauvretés et notre élément de dépression, en face de la dépression.

Zenit : Pensez-vous que toute personne peut être capable d’accompagner une personne dépressive vers sa libération ?

Jean Vanier : Nous sommes tous capables de devenir des dépressifs. Nous sommes tous capables d’entrer dans le monde du désespoir. Bernanos dit que pour trouver l’espérance, il faut descendre dans les gouffres du désespoir. Mais pour accompagner il faut faire attention car lorsqu’on parle d’accompagnement, il y a comme une sorte de désir que l’autre change. Or il faut aimer les personnes dans leur dépression. C’est la meilleure façon de les aider à s’en sortir. Donc, la première chose à faire pour aider une personne est de commencer soi-même à changer.

Zenit : Le bien être psychique des malades est votre souci de tous les jours. Comment jugez-vous tout ce qui est fait aujourd’hui autour de vous au plan médical mais aussi au plan social pour aider les personnes souffrant de dépression ?

Jean Vanier : Il s’agit pour moi de vivre moi-même dans ma communauté avec des personnes qui passent par des hauts et des bas. Par exemple, ici, nous venons d’accueillir une jeune fille de 22 ans, qui n’a pas de famille, qui a un handicap mental, et a été maltraitée par une nourrice. Elle vient d’arriver et est entrée dans une phase un peu dépressive car l’un de mes assistants qu’elle aimait bien, s’en va. Comment être juste avec elle, ne pas l’obliger à changer mais l’accueillir comme elle est ? C’est une jeune qui a soif de trouver ce qu’elle n’a jamais eu. Cela va prendre du temps, alors il ne faut pas que je passe trop de temps à me demander ce qui se passe à droite et à gauche. Il faut que moi-même j’essaie aujourd’hui de me sentir impuissant devant une jeune fille comme elle, et l’aider malgré tout en étant proche d’elle.

Zenit : Est-ce le message que vous tenterez de faire passer durant la conférence de mercredi ?

Jean Vanier : Oui. Accueillir la fragilité de l’autre pour pouvoir accueillir sa propre fragilité ; découvrir que la vulnérabilité peut être source de communion ou source de honte. Essayons de vivre la communion
: « Je te donne ma vulnérabilité et tu me donnes la tienne ». On crée ensemble la communion et on vit quelque chose ensemble.

La conférence-rencontre sur « La dépression, qui me libèrera ? » animée par Jean Vanier aura lieu mercredi 7 février à 20h30 à l’église Saint-Léon, 1 place du Cardinal Amette, Paris 15° . Une messe sera célébrée à 19h00 à l’église Saint-Léon.
Pour plus de renseignements consulter le site : www.och.fr
L’office chrétien des personnes handicapées (OCH) agit depuis plus de quarante ans auprès des personnes handicapées et de leurs familles. Tout un volet de son action est de soutenir financièrement des projets pour venir en aide à ces personnes handicapées.

La Communauté de l’Arche accueille des personnes ayant un handicap mental. Elle a été fondée par Jean Vanier en 1964 à Trosly-Breuil, dans le département de l’Oise en France. L’Arche compte aujourd’hui 130 communautés réparties dans 34 pays à travers le monde.

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ZENIT Staff

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