« Jean-Paul II était l’homme des certitudes qui naissent de la foi en Dieu »

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Entretien avec J. M. Coulet, directeur de l’Osservatore Romano en français

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ROME, Dimanche 17 avril 2005 (ZENIT.org) – « Qui travaillait auprès du pape Jean-Paul II était saisi par son assurance : Jean-Paul II était l’homme des certitudes qui naissent de la foi en Dieu », affirme Jean-Michel Coulet, directeur depuis 17 ans de l’édition hebdomadaire en français du journal du Vatican, l’Osservatore Romano, dans cet entretien accordé à Zenit.

Zenit : Est-ce que vous vous attendiez à une telle réaction, de la part de catholiques et non catholiques à la mort de Jean-Paul II ? Qu’est ce que cela signifie selon vous ?

J. M. Coulet : La séparation radicale que représente la mort suscite et plonge dans un profond émoi. La réaction est donc à la hauteur d’une personnalité extraordinaire… La foule immense que nous avons vu défiler à Rome, et celle tout aussi imposante qui s’est réunie dans les églises du monde entier pour lui rendre hommage, est la moisson ultime de ce que Jean-Paul II a semé à Rome et lors de ses voyages apostoliques sur les routes du monde…

Les funérailles de Jean-Paul II ont réuni la grande famille de l’Eglise autour de lui. En près de 27 ans de pontificat il a apporté à chacun un souffle d’espérance et une véritable certitude dans la foi. Il a affermi ses frères, et dans le même temps a instauré un dialogue de confiance. Sur la scène internationale il est apparu comme le plus grand personnage parmi les plus grands de ce monde. Il a émergé par sa très haute autorité morale, reconnue de manière incontestable et unanime et par le témoignage universel qu’il a apporté. Il a su parler au cœur de chaque homme, de chaque femme, de quelque continent que ce soit.

Zenit : Y a-t-il un élément de son message qui vous ait particulièrement marqué ?

J. M. Coulet : Jean-Paul II aura été « la voix des sans voix » : j’admirais chez lui sa compréhension des drames du monde et son engagement pour aider l’humanité qui souffre. Il était véritablement le bon Samaritain sur les routes du monde. Il n’a cessé d’avoir devant les yeux des foules immenses de personnes dont les droits les plus élémentaires étaient bafoués : ceux qui meurent de faim, en particulier les enfants, ceux qui ne disposent pas de soins en cas de maladie ou qui ne reçoivent pas d’instruction, les chômeurs, les exclus, les victimes innocentes de guerres partout dans le monde.. voilà qui sont aujourd’hui ses orphelins… Il se faisait « la voix des sans voix ». Mais surtout, il n’existait aucune situation dans le monde où la paix se trouvait menacée, sans qu’il ne devienne un observateur attentif, proche, en éveil, toujours prêt à prendre la parole pour qu’une solution adaptée soit trouvée en termes de justice et sans avoir recours à la violence. Il mettait toute sa passion à défendre les droits de l’homme à travers ses contacts avec les chefs d’Etat et ses différents interlocuteurs.

Ce que l’on retiendra aussi du pontificat de Jean-Paul II c’est sa capacité extraordinaire pour s’adresser à toutes les composantes qui forment la société. Il n’y avait pas de voyage ou le pape ne s’adressait, d’abord aux autorités qui l’accueillaient, donc un message certes religieux mais aussi éminemment politique (diplomatique) ; venait ensuite la rencontre avec la population du lieu ; les jeunes ; le clergé local ; les malades ; les travailleurs… ses discours ou ses rencontres étaient extrêmement ciblés. Chacun se sentait proche de lui, presque interpellé car son discours était très clair même s’il était exigeant. Combien de fois également a-t-il improvisé ses discours, les rendant profondément vivants parce qu’il faisait appel à sa propre vie, à sa propre expérience de jeune, de travailleur, (n’oublions pas qu’il avait été ouvrier dans une usine chimique pendant l’occupation), de prêtre, d’archevêque dans un pays communiste…

Dans la multitude de discours qu’il a prononcés à Rome et à l’étranger, chacun a pu trouver une réponse à ses questions, et son message demeurait toujours le même : celui de l’espérance pour celui qui croit dans cette vérité qu’il ne s’est jamais lassé d’enseigner.

Zenit : … et un élément de sa personnalité ?

J. M. Coulet : Sa volonté de fer ! Son courage dans toutes les situations et les épreuves ! Le courage d’affronter des situations qui semblaient sans issue. Il apprend le courage et affronte la souffrance dès son enfance quand il perd sa mère, puis son frère aîné. Le fait de vivre sa vocation d’homme de Dieu pendant le nazisme, et plus tard le communisme athée laissera une empreinte indélébile : le combat sans fin pour la paix, la justice et la défense des droits de l’homme.

Qui travaillait auprès du pape Jean-Paul II était saisi par son assurance : Jean-Paul II était l’homme des certitudes qui naissent de la foi en Dieu ; des certitudes qui guident l’histoire, la grande histoire du monde mais également les petites histoires de chaque vie. Quelques unes des certitudes de Jean-Paul II sont contenues dans des phrases lapidaires que nous connaissons tous, à commencer par la phrase qu’il prononça au début de son pontificat : « N’ayez pas peur, ouvrez, ouvrez grand les portes au Christ ». Cette phrase prononcée avec la force qui lui était caractéristique, indiquait la haute aspiration qui l’animait, mais également la ligne de son pontificat. Un pontificat projeté vers l’évangélisation, réalisée non pas à travers des actes académiques, mais à travers des contacts humains.

Tous ceux qui travaillaient à ses côtés savent que dans les moments difficiles, les moments douloureux, il demeurait toujours serein et tranquille et diffusait autour de lui une sérénité qui lui venait précisément de sa foi profonde et de la prière. Jean-Paul II étonnait par sa capacité de maîtriser tant de langues, par sa capacité de parler à chaque peuple en disant les choses qui sont nécessaires et essentielles à des moments précis. Tous ont pu admirer la capacité qu’il a eu de susciter l’enthousiasme chez les jeunes , même si ce qu’il disait était très exigeant.

Que l’on soit faible ou puissant l’accueil qu’il réservait, l’accolade qu’il donnait, était la même pour le pauvre des favelas de Rio que pour le souverain. A ses yeux tout homme était revêtu de la même dignité…

Zenit : Quel est votre meilleur souvenir de Jean-Paul II ?

J. M. Coulet : Ils sont nombreux, mais plus que des souvenirs ce sont des images qui restent gravées. L’impensable pour commencer : la visite de Gorbatchev le 1er décembre 1989. Qui aurait cru entendre un jour résonner l’hymne de l’URSS dans la Cour Saint-Damase ? Et voir le Président du Présidium du Soviet suprême arpenter les loges du palais apostolique ? Quelle rencontre historique entre deux hommes que décidément tout opposait ! Et puis, quel dénouement avec la chute du Mur de Berlin et la liberté recouvrée pour tant de peuples opprimés si longtemps!

Une image courante: sa manière bien à lui d’aller vers les autres : Jean-Paul II ne marchait pas, il courrait ; de grandes enjambées pour saluer les fidèles. Il embrassait, consolait, prenait dans ses bras… Ses services de sécurité pourraient témoigner de la vie difficile qu’il leur menait.

Enfin, Jean-Paul II en prière : l’intensité de sa prière est véritablement ce qui m’a le plus bouleversé chez Jean-Paul II. Ce pape si dynamique, si actif, était avant tout un homme de prière. Au début de son pontificat, il avait dit que son premier devoir était de prier pour l’Eglise, de prier pour l’humanité. Sa journée tout entière était imprégnée de prière. Avant chaque décision, avant chaque moment important, il se recueillait pour prier. Ses décisions, ses choix naissaient dans la p
rière.

Zenit : L’évolution de l’état de santé de Jean-Paul II a-t-elle influencé sa manière « d’être » pape ?

J. M. Coulet : Jean-Paul II n’a jamais caché sa souffrance, et cela dès le début de son pontificat notamment après l’attentat de 1981. Il a montré que le mystère de la souffrance touche chaque homme comme il a touché le Christ. Avec l’âge il a adapté sa manière « d’être » pape : ses forces l’ont obligé à réduire le nombre de ses voyages, mais n’ont réduit en rien son activité au Vatican, si ce n’est les quelques semaines qui ont précédé sa mort.

A aucun moment il n’a perdu son image de Père et de pasteur, ni auprès des jeunes ni auprès des fidèles. La mémoire collective conservera de lui l’image qu’il offrit aux JMJ de Rome où il battait la mesure pendant les chants et faisait joyeusement tournoyer sa canne pour saluer le million de jeunes venus lui rendre visite. L’âge n’a jamais entamé son humour, mais imposait un respect toujours plus grand notamment dans les situations les plus graves, comme lors de ses appels pour la paix qui ont précédé le conflit en Irak. Dans d’autres circonstances, comme avec les séminaristes romains à la fin de l’année dernière, le ton de ses improvisations prenait des accents paternels alors qu’il se remémorait son passé afin que celui-ci serve de leçon aux nouvelles générations.

Ni son âge, ni sa maladie n’ont jamais fait obstacle à son ministère puisque les demandes d’audiences de personnalités n’ont jamais cessé de croître jusqu’aux derniers jours. On venait voir le pape, comme a dit le président italien Ciampi, pour lui demander conseil. Son témoignage a été vigoureux jusqu’aux derniers jours, vigoureux dans les indications mais aussi vigoureux dans son courage.

Zenit : Quelle a été sa plus grande contribution à l’Eglise et au monde ?

J. M. Coulet : Jean-Paul II a été un très grand témoin de la foi. Il a rappelé au monde un certain nombre de valeurs et de principes sans lesquels il n’y a pas de civilisation vraiment digne de l’homme. Il avait des convictions profondes : la priorité de la personne humaine, sa dignité, ses droits, la promotion et la défense de la justice, de la paix… de la vie.

« Anticiper » c’est un peu être prophète au sens biblique du terme. Prophète, Jean-Paul II l’aura été à de nombreuses reprises, par exemple lors de la monstrueuse guerre en Bosnie-Herzégovine, en affirmant que quand les populations sont en train de succomber sous les coups d’un injuste agresseur, les Etats n’ont plus « le droit à l’indifférence ». Ou encore, quand, de la tribune des Nations unies, il invitait à élaborer une charte des droits des nations. Ainsi le pape aura contribué non seulement à mieux évaluer certaines situations, à dénoncer des manquements, à encourager des initiatives, mais aussi à renouveler le droit international.

Jean-Paul II s’est fait le porte-parole de la conscience morale de l’humanité à l’état pur : jamais sans doute autant qu’avec lui, le catholique, le chrétien, ne s’est senti engagé corps et âme, à faire partie d’une grande famille et à défendre l’image de Dieu en tout homme.

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ZENIT Staff

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