"Je voudrais que votre peuple commence une nouvelle histoire !"

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Pèlerinage des Gitans à Rome (traduction complète)

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cons« Je voudrais que votre peuple commence une nouvelle histoire. Qu’une page se tourne ! », déclare le pape François aux Gitans du monde entier.

Le pape François a reçu en audience les participants du Pèlerinage mondial du peuple gitan, ce lundi matin, 26 octobre, à 11h30, dans la salle Paul VI du Vatican.

Ce pèlerinage se déroule à Rome du 24 au 26 octobre, pour commémorer le cinquantième anniversaire de la visite historique du bienheureux Paul VI au camp de nomades de Pomezia, le 26 septembre 1965.

Il est organisé par le Conseil pontifical pour la pastorale des migrants et des personnes en déplacement, en collaboration avec la fondation Migrantes, de la Conférence épiscopale italienne, le bureau Migrantes du diocèse de Rome et la Communauté de Sant’Egidio.

C’était une fête de la foi, où les témoignages alternaient avec des intermèdes musicaux : des chants du répertoire des Gitans espagnols ou italiens interprétés par solistes et chœurs et accompagnés d’orchestres tziganes, notamment en l’honneur de la Charité divine, et le Notre Père.

Une jeune maman de 29 ans, Rom de Serbie, en Italie depuis l’âge de 6 ans, a témoigné des difficultés de la vie des camps et de sa décision de quitter cette vie pour scolariser ses enfants. Elle se prépare maintenant au baptême en même temps qu’eux et a demandé au pape s’il voulait bien lui-même les baptiser.

Dans son allocution, le pape François leur a redonné en modèle le premier bienheureux gitan, Ceferino Gimenez Malla (1861-1936), appelé « El Pelé », assassiné pendant la guerre d’Espagne et béatifié par Jean-Paul II. Proclamé par Benoît XVI « Martyr du Rosaire », il a été fusillé pour avoir défendu un prêtre et refusé de se défaire de son chapelet, ce que lui conseillait un ami anarchiste qui voulait le sauver. Les causes de béatification de deux autres Gitans, Emilia et Juan Ramon, sont en cours.

Au terme de l’audience, le pape François a couronné la Vierge à l’Enfant, Notre Dame des Gitans, avant de la prier pour tous les gens du voyage.

Il a ensuite salué les évêques en charge de la pastorale des gens du voyage, dont un évêque gitan.

Voici notre traduction complète des paroles du pape François.

A.B.

 

Discours du pape François

Chers frères et sœurs,

Je vous accueille et vous salue tous cordialement. Je remercie le cardinal Antonio Maria Vegliò pour ses paroles et pour avoir organisé cet événement en collaboration avec la fondation Migrantes de la Conférence épiscopale italienne, le bureau Migrantes du diocèse de Rome et la Communauté de Sant’Egidio.

Chers amis gitans, o Del si tumentsa ! [« Le Seigneur soit avec vous ! »]

Beaucoup d’entre vous viennent de loin et ont fait un long voyage pour arriver jusqu’ici. Soyez les bienvenus ! Je vous remercie d’avoir voulu commémorer ensemble la rencontre historique du bienheureux Paul VI avec le peuple des Gitans. Cinquante années ont passé depuis qu’il est venu vous rendre visite dans le camp de Pomezia. Avec une sollicitude paternelle, le pape a dit à vos grands-parents et à vos parents : « Où que vous vous arrêtiez, on vous considère comme importuns et étrangers. […] Ici, non ; […] ici, vous trouvez quelqu’un qui vous aime, vous estime, vous apprécie et vous aide » (Enseignements III [1965], p. 491). Par ces paroles, il a stimulé l’Église à un engagement pastoral envers votre peuple, vous encourageant vous aussi en même temps à avoir confiance en elle. Depuis ce jour jusqu’à aujourd’hui, nous avons été témoins de grands changements, que ce soit dans le domaine de l’évangélisation ou dans celui de la promotion humaine, sociale et culturelle de votre communauté. Nous avons entendu le docteur Peter Polak, son expérience et combien il faut promouvoir cette voie, et continuer dans ce sens.  

Le nombre toujours croissant de vocations sacerdotales, diaconales et de vie consacrée est un signe fort de la foi et de la croissance spirituelle de vos ethnies. Aujourd’hui, Mgr Devprasad Ganava, lui aussi un fils de ce peuple, est ici avec nous. Chers consacrés, vos frères et sœurs vous regardent avec confiance et espérance pour le rôle que vous revêtez et pour tout ce que vous pouvez faire dans le processus de réconciliation au sein de la société et de l’Église. Vous êtes un intermédiaire entre deux cultures et c’est pour cela qu’on vous demande d’être toujours des témoins d’une transparence évangélique pour favoriser la naissance, la croissance et le soin de nouvelles vocations. Sachez être des accompagnateurs, non seulement du cheminement spirituel, mais aussi dans l’ordinaire de la vie quotidienne avec toutes ses fatigues, ses joies et ses préoccupations.

Je connais les difficultés de votre peuple. En visitant quelques paroisses romaines, dans les banlieues de la ville, j’ai eu l’occasion de sentir vos problèmes, vos inquiétudes, et j’ai constaté qu’ils interpellent non seulement l’Église mais aussi les autorités locales. J’ai pu voir les conditions précaires dans lesquelles vivent beaucoup d’entre vous, dues à la négligence et au manque de travail et des moyens de subsistance nécessaires. Cela s’oppose au droit de chaque personne à une vie digne, à un travail digne, à l’instruction et aux soins de santé. L’ordre, tant moral que social, impose que tout être humain puisse jouir des droits fondamentaux et remplisse ses devoirs. Sur cette base, il est possible de construire une coexistence pacifique, dans laquelle les différentes cultures et traditions gardent leurs valeurs propres dans une attitude, non pas de fermeture ou d’opposition, mais de dialogue et d’intégration. Nous ne voulons plus assister à des tragédies familiales où les enfants meurent de froid ou dans les flammes, ou deviennent des objets entre les mains de personnes dépravées, où les jeunes et les femmes sont impliqués dans le trafic de drogue ou la traite d’êtres humains. Et ceci parce que nous tombons souvent dans l’indifférence et dans l’incapacité d’accepter des coutumes et des modes de vie différents des nôtres.

Je voudrais que votre peuple aussi commence une nouvelle histoire. Qu’une page se tourne ! Le temps est venu de déraciner des préjugés séculaires, des a priori et des méfiances réciproques qui sont souvent à l’origine de la discrimination, du racisme et de la xénophobie. Personne ne doit se sentir isolé et personne n’est autorisé à piétiner la dignité et les droits des autres. C’est l’esprit de la miséricorde qui nous appelle à nous battre pour que soient garanties toutes ces valeurs. Permettons donc à l’Évangile de la miséricorde de secouer nos consciences et ouvrons nos cœurs et nos mains aux plus démunis et aux plus marginaux, en commençant par celui qui nous est le plus proche. Je vous exhorte les premiers, dans les villes d’aujourd’hui où l’on respire tant d’individualisme, à vous engager à construire des banlieues plus humaines, des liens de fraternité et de partage ; vous avez cette responsabilité, c’est aussi votre devoir. Et vous pouvez le faire si vous êtes avant tout de bons chrétiens, en évitant tout ce qui n’est pas digne de ce nom : mensonge, escroquerie, tricherie, disputes. Vous avez l’exemple du bienheureux Ceferino Gimenez Malla, un fils de votre peuple, qui s’est distingué par ses vertus, son humilité et son honnêteté, et pour sa grande dévotion à la Vierge Marie, une dévotion qui l’a conduit au martyre et à être connu comme le « martyr du Rosaire ». Je vous le propose à nouveau aujourd’hui comme modèle de vie et de religiosité, ainsi que pour les liens culturels et ethniques qui vous unissent à lui.

Chers amis, ne donnez pas a
ux moyens de communication et à l’opinion publique des occasions de mal parler de vous. Vous êtes vous-mêmes les protagonistes de votre présent et de votre avenir. Comme tous les citoyens, vous pouvez contribuer au bien-être et au progrès de la société en respectant les lois, en remplissant vos devoirs et en vous intégrant à travers l’émancipation des nouvelles générations. Je vois ici, dans la salle, beaucoup de jeunes et d’enfants : ils sont l’avenir de votre peuple, mais aussi de la société dans laquelle ils vivent. Les enfants sont votre trésor le plus précieux. Votre culture, aujourd’hui, est en phase de mutation, le développement technologique rend vos enfants de plus en plus conscients de leurs potentialités et de leur dignité et ils sentent eux-mêmes le besoin de travailler pour leur promotion humaine personnelle et celle de votre peuple. Cela exige que leur soit assurée une scolarisation adéquate. Et cela, vous devez le demander : c’est un droit !

L’instruction est certainement la base d’un sain développement de la personne. Il est connu que le niveau peu élevé de scolarisation de beaucoup de vos jeunes représente aujourd’hui l’obstacle principal à l’accès au monde du travail. Vos enfants ont le droit d’aller à l’école, ne les en empêchez pas ! Vos enfants ont le droit d’aller à l’école ! Il est important que la motivation pour une meilleure instruction parte de la famille, des parents et des grands-parents : les adultes ont le devoir de s’assurer que leurs enfants fréquentent l’école. L’accès à l’instruction permet à vos jeunes de devenir des citoyens actifs, de participer à la vie politique, sociale et économique dans leurs pays respectifs.

Aux institutions civiles, il est demandé de s’engager à garantir des parcours de formation adéquats aux jeunes Gitans, en permettant aussi aux familles qui vivent dans des conditions plus précaires de bénéficier d’une insertion scolaire et professionnelle adéquate. Le processus d’intégration met la société au défi de connaître la culture, l’histoire et les valeurs des populations gitanes. Votre culture et vos valeurs, qu’elles soient connues de tous !

Plus d’une fois, y compris à travers saint Jean-Paul II et Benoît XVI, l’Église vous a assurés de son affection et de son encouragement. Je voudrais maintenant conclure avec les mots du bienheureux Paul VI qui vous a affirmé : « Dans l’Église, vous n’êtes pas en marge, mais, par certains aspects, vous êtes au centre, vous êtes dans le cœur. Vous êtes dans le cœur de l’Église » (ibid., p. 491-492). Dans ce cœur, se trouve aussi Marie, que vous vénérez en tant que Vierge des Gitans et que nous allons dans un moment couronner de nouveau pour rappeler le geste accompli par le pape Montini il y a cinquante ans. Je vous confie à elle et au bienheureux Ceferino, ainsi que vos familles et votre avenir.

© Traduction de Zenit, Constance Roques

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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