Je ne suis plus une victime, mais un témoin, par Laetitia Chanut

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Prévenir le cauchemar du harcèlement sur les réseaux sociaux

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Aujourd’hui elle travaille dans un « cinq étoiles » mais surtout, elle « n’est plus victime », comme elle le déclare elle-même devant la presse rassemblée au Vatican, elle est un « témoin ».

A 21 ans, avec la maturité, la force et la douceur que l’on a lorsque l’on a tout jeune vaincu une lourde épreuve, Laetitia Chanut est en effet aujourd’hui un « témoin » et la marraine de la campagne du BICE « Stop au harcèlement sur Internet ». Le Bureau international catholique de l’enfance (BICE) vient en effet de recueillir plus de dix mille signatures contre le cyber-harcèlement sur Internet et les réseaux sociaux. 

Le président du BICE, Olivier Duval, a remis cette pétition et les signatures au président du Conseil pontifical Justice et Paix, le cardinal ghanéen Peter K. A. Turkson, en la salle de presse du Saint-Siège ce mardi 9 décembre, en présence du vice-directeur, le P. Ciro Benedettini, de Mme Flaminia Giovanelli, « numéro trois » – sous-secrétaire – de Justice et Paix et cheville ouvrière de cette rencontre, et du P. Fortunato Di Noto, président fondateur de l’association italienne METER (http://www.associazionemeter.org/) pour la lutte contre la pédo-pornographie et les abus commis contre les mineurs, qui s’engage dans ce domaine avec une opération « Au pas sur Internet » (« In riga su Internet »).

Pour Don Di Noto en effet, les enfants, devant Internet, se retrouvent seuls comme des « orphelins », alors que leurs parents sont « en vie »: ils sont laissés à eux-mêmes et aux pièges du net. 

Laetitia Chanut raconte sa longue descente en enfer, l’absence de réaction des forces de l’ordre lors de sa première plaintes, sa découverte de l’identité de celui qui le harcelait, sans qu’il soit pour autant convoqué ni auditionné. Elle évoque, la gorge encore nouée, le soir de sa tentative d’en finir avec la vie pour en finir avec le harcèlement, jour et nuit, les chantages, les compte à rebours, les mensonges. Tout avait commencé l’année de son bac, par le clonage de son compte facebook. Et cela a continué pendant des mois, en dépit de plusieurs changements de numéro de téléphone et d’un changement de lycée… 

La solitude s’est faite alors plus grande, justement au moment où elle est devenue majeure. Mais quand elle a enfin avoué sa tentative de suicide à ses parents, et que les gendarmes ont été mis au courant, la justice a bougé. Le harceleur démasqué, dans son ancien lycée, mais qu’elle ne connaissait pas, a été condamné à 8 mois avec sursis, 5 000 euro de dommages et intérêts, avec l’obligation de suivre une thérapie, mais il a fait appel.

Cependant Laetitia Chanut témoigne courageusement que se voir reconnue par la justice comme « victime » lui a permis justement de sortir de sa peau de victime: enfin, on reconnaissait que ce n’était pas de simples soucis d’adolescente qui finiraient avec l’adolescence. Mais une violence inouïe subie au quotidien pendant des mois. 

Désormais, ses comptes facebook ou twitter sont strictement professionnel. Pour ses proches, elle a créé une autre page facebook réservée. Tout ce qui est mis sur facebook appartenant à facebook, c’est très dififcile de s’en libérer, de disparaître: le « droit à l’oubli » n’est pas encore automatique.

Voici le témoignage que Laetitia Chanut a donné ce matin au Vatican. Pour les jeunes: ils peuvent s’en sortir. Mais c’est mieux de prévenir. Et pour les parents: le dialogue avec les enfants ne doit pas s’interrompre, même si la planète Internet leur est inconnue. Il faut que les enfants ne soient pas laissés seuls sur cette planète merveilleuse autant que pleine de dangers. Et pour les éducateurs. 

A.B.

Témoignage de Laetitia Chanut

Bonjour à toutes et à tous,

Je m’appelle Laetitia et je me réjouis de l’occasion que m’offre le Conseil Pontifical « Justice et Paix » pour partager avec vous mon histoire, mon vécu en tant que victime du cyber-harcèlement.

En 2011, j’étais au lycée, j’avais 17 ans, je préparais mon diplôme du Baccalauréat cette année-là. J’habitais Albi, à85 km de Toulouse. Comme beaucoup de jeunes de ma génération, j’étais hyper connectée, j’envoyais des sms tout au long de la journée et je me connectais sur Facebook plus d’une dizaine de fois par jour. Toute ma vie tournait autour du lycée et de mon environnement « web ». J’étais plutôt « populaire » à l’époque. J’avais plus de 400 amis sur Facebook et je pensais que c’était une preuve qu’on « m’aimait ». J’ai toujours été une adolescente très positive et sociable ; je parlais à beaucoup de monde, je profitais de la vie comme n’importe quel adolescent de mon âge.

Un jour mon meilleur ami m’a envoyé un sms pour me demander pourquoi j’envoyais des messages aussi bizarres. C’est alors que je me suis rendu compte que quelqu’un avait créé une dizaine de comptes facebook qui étaient des copies conformes du mien : même photo, même nom, même présentation. Il a écrit à l’ensemble de mes amis : «  Salut, t’aurai pas retrouvé ma vidéo porno ? », vidéo qui n’existe bien évidemment pas !

C’est là que tout a commencé, nous étions alors en mars/avril 2011 :

– Le chantage : tu me donnes ta vidéo et j’arrête, fais des photos ou je ruine ta réputation…

– Des comptes à rebours : dans quelques jours tu auras une surprise, J-5… H-3 H-2… Et à la fin du compte à rebours, je recevais des liens vers un blog où il mettait des photos de moi, mon numéro…

– Mais aussi le harcèlement téléphonique qui venait perturber mes journées et mes nuits : au lycée je recevais des appels ou sms tous les jours, il me disait qu’il me voyait, que j’étais habillée de telle ou telle autre manière ; qu’il me voyait aller à tel ou tel autre endroit, qu’il me suivait partout…

– Où encore, mon harceleur me parlait à travers 5 ou 6 comptes Facebook différents, à un moment il était mon ami, puis il m’insultait… 

J’ai rapidement décidé d’en parler à mes parents avec qui nous avons décidé de porter plainte.

Quand nous sommes allés à la gendarmerie pour la première fois, le gendarme qui nous areçu a ri et m’a expliqué que je n’avais qu’à supprimer mon compte Facebook et que la gendarmerie n’avait pas d’argent à dépenser pour ça si je n’étais pas capable de savoir qui me harcelait.

Le harcèlement a continué. J’ai alors décidé de n’en parler à personne. J’avais trop honte, je me sentais coupable.

Le peu de personnes à qui j’osais en parler me sermonnaient et me disaient que peut être je le méritais un petit peu et que si je n’étais pas aussi populaire tout cela ne serait jamais arrivé.

Je faisais alors semblant tous les jours en allant au lycée, je souriais, je faisais comme si de rien n’était mais lorsque je rentrais chez moi, je ne souriais plus, je ne parlais plus, je ne mangeais plus, je pleurais tous les soirs.

Je me sentais tellement seule et en même temps mon harceleur était partout, toujours avec moi. Je ne me sentais en sécurité nulle part. Même être seule dans ma chambre me faisait peur. Chaque notification Facebook me terrorisait, à chaque appel masqué ou numéro inconnu j’avais les larmes aux yeux. J’avais peur de tout, de tout le monde.

Un jour j’ai reçu un sms de sa part : « Je sors du bureau du responsable de la vie collective au lycée, ça s’est mal passé donc je te le dis, ce soir, c’est ta fête, j’ai besoin de me défouler ! » 

Je suis alors sortie immédiatement du cours et j’ai été voir le responsable. Je lui ai expliqué toute la situation.
Il m’a expliqué qu’il venait de convoquer un à un les élèves d’une classe dont il m’a montré le trombinoscope. Je ne connaissais qu’une seule personne dans cette classe, un garçon. Je suis alors allée le voir et je lui ai expliqué mon problème. Je lui ai donné le numéro de téléphone de mon harceleur et il a accepté de l’appeler en plein cours pour tenter de le démasquer. Mon harceleur a répondu à l’appel, je savais enfin qui il était.

Je l’ai attendu à la sortie des cours, je lui ai demandé de me donner son portable mais il a refusé. Je l’ai alors appelé directement et son téléphone a sonné. Il s’est mis à trembler, à bafouiller en disant que ce n’était pas lui…

Le soir, je suis donc retournée à la gendarmerie pour porter enfin plainte avec son identité, nous étions au mois de mai. J’ai alors ressenti que le gendarme n’y attachait aucune importance.

En rentrant, j’ai prévenu mon harceleur que j’avais porté plainte contre lui. Il m’a répondu que je n’aurai pas dû faire cela et que ce serait encore pire. Son harcèlement continu encore jusqu’à la fin du mois de juin.

La plainte n’a absolument rien changé, elle n’a eu aucun effet car la gendarmerie n’a mené aucune investigation.

Mon harceleur m’a ensuite dit qu’il me laissait tranquille pour l’été mais qu’il reviendrait et qu’il ne m’oubliait pas.

J’ai appelé sans cesse la gendarmerie au cours de cet été. A chaque fois, ils me donnaient des excuses, ils n’étaient pas disponibles. De tout l’été, ils n’ont ni convoqué ni interrogé mon harceleur.

Puis, arrive le 6 Septembre. Je viens tout juste de déménager à Castres, à 45 km d’Albi mon ancienne ville avec ma meilleure amie. J’allais avoir 18 ans dans deux jours, j’avais un nouvel appartement et je commençais enfin à revivre.

Ce soir-là, dans la nuit, je reçois des dizaines d’appels d’inconnus qui m’insultent en me disant des obscénités.

Je finis par parler avec un homme qui m’explique qu’il a eu mon numéro sur un site internet disant que j’étais ouverte à toutes propositions érotiques voire sexuelles et que j’attendais avec impatience les appels.

Mon harceleur était donc revenu… J’ai alors pleuré toute la nuit. Le cauchemar avait recommencé, il me suivait, même à Castres.

J’ai changé de numéro de téléphone le lendemain et par conséquent je n’ai reçu aucun message pour mon anniversaire. Je passe mes 18 ans seule, déprimée, apeurée et atterrée chez moi.

Je suis ensuite tombée peu à peu en dépression ; j’ai commencé à ne plus aller en cours ; je passais mes journées enfermée chez moi, je regardais des films, je m’occupais l’esprit, je pleurais. Je me suis éloignée petit à petit de tout le monde, de ma famille, de mes amis…

Puis, j’ai commencé à penser au suicide… ça m’obsédait tout le temps, tous les jours dès que j’étais seule je me disais « ça serait tellement plus simple si je mourais. » J’y pensais mais je n’avais pas le courage de passer à l’acte.

Les gendarmes n’avaient toujours pas réussi à l’auditionner mais il avait arrêté de me harceler depuis mon changement de numéro.

Le 10 Décembre 2011, j’étais censée sortir avec mes amis mais la soirée a été annulée au dernier moment. Seule à l’appartement, je décide alors de regarder un film.

Durant la soirée, je reçois un sms d’un numéro inconnu : « Hey, devines qui est de retour ? »

Je me suis alors mise à paniquer, à pleurer, je n’en pouvais plus, il était de retour. Je me disais que tout allait redémarrer et que la plainte n’avait servi à rien.

Je me sentais seule, abandonnée, j’étais fatiguée d’être aussi mal.

J’ai commencé à boire les boissons que j’avais achetées pour la soirée annulée ; je pleurais et sous l’effet de l’alcool, mes idées noires étaient revenues.

Alors que jusque-là je ne buvais pas d’alcool, j’ai pris un verre, puis un autre, puis toute une bouteille, et ensuite une autre. J’ai soudain décidé de prendre tous les médicaments qui se trouvaient chez moi je me suis sentie mal, j’ai pris peur et j’ai appelé les pompiers.

Je me suis ensuite réveillée à l’hôpital ; j’avais les mains attachées, deux personnes me tenaient les jambes. On m’enfonçait un tuyau dans la gorge… Comment ai-je pu en arriver là ?

J’ai passé 3 jours seule dans ma chambre sans visite, télévision ou magazine. On devait m’aider à faire ma toilette, mes besoins… Je me sentais rabaissée et inhumaine.

J’ai caché ma tentative de suicide à mes parents pendant quelques mois.

Aujourd’hui, tout va mieux. Ma famille a été d’un grand soutien. Je vois la vie d’une manière positive mais je reste marquée par cette histoire. C’est pourquoi j’ai choisi de m’engager pour lutter contre le cyber-harcèlement en témoignant et en acceptant d’être la marraine de la campagne du Bureau International Catholique de l’Enfance (BICE), campagne intitulée « Stop au harcèlement sur Internet ». Cette campagne a récolté 10.0000 signatures.

Je ne veux pas faire l’amalgame entre les réseaux sociaux, internet et ce qui m’est arrivé. Le problème c’est l’utilisation de tout cela. Le problème c’est ce sentiment d’insécurité permanent permis par internet et la solitude qui en découle.

Tout va tellement plus vite sur internet. En l’espace de quelques secondes des milliers de personnes peuvent partager ou voir quelque chose de compromettant. On se retrouve prisonnier face à une masse de personnes, pour la plupart des inconnus.

Il n’y a plus de différence entre la vie privée et la vie publique. Le harcèlement est présent n’ importe où, avec n’importe qui, n’importe quand.

La différence avec la réalité c’est que personne ne voit la souffrance, les agresseurs se sentent plus fort derrière un écran, ils ne voient pas la souffrance de l’autre.

Malheureusement je ne peux pas encore tourner la page car la procédure judiciaire n’est pas terminée. En effet, entre ma plainte et le début de la procédure judiciaire, plus d’une année s’est écoulée. Puis le premier jugement est intervenu près de deux ans et demi après ce dépôt de plainte, en novembre 2013. Mon harceleur a été condamné à 8 mois de prison avec sursis avec deux ans de mise à l’épreuve, une obligation de soins et 5 000 euros de dommages et intérêts. Suite à ce jugement mon harceleur a décidé de faire appel, je suis depuis dans l’attente de la fin de ce cauchemar.

Aujourd’hui, moi je suis engagée, mais que font les adultes, quels garde-fous mettent-ils en place pour faciliter, sécuriser et protéger l’accès à internet et aux réseaux sociaux pour les enfants ? Avec le développement du cyber-harcèlement et les drames qui s’en suivent quelles actions concrètes les adultes entendent entreprendre pour empêcher de futures tragédies touchant les enfants ?

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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