« J’espère que des lecteurs éprouveront le besoin de lire Newman »

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Un ouvrage récent de Mgr de Berranger

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ROME, Lundi 22 mars 2010 (ZENIT.org) – « J’espère que des lecteurs de mon livre éprouveront le besoin de lire Newman lui-même », déclare Mgr de Berranger. Il fait observer le caractère « marial » de la « démarche » de Newman : Marie « symbolise pour nous non seulement la foi des simples, mais aussi celle des docteurs de l’Eglise ». 

Buckingham Palace l’a annoncé : Benoît XVI se rendra en Grande-Bretagne du 16 au 19 septembre 2010 et, toujours de source britannique, il devrait présider, à Coventry, la messe de  béatification du cardinal John Henry Newman. 

En prélude à cette béatification, les éditions Ad Solem viennent de publier un livre insolite : « Par l’amour de l’invisible, itinéraires croisés de John Henry Newman et Henri de Lubac », de Mgr Olivier de Berranger, évêque émérite de Saint-Denis en France. Une façon originale d’aborder la pensée de Newman et son actualité, comme l’auteur nous l’explique. 

Zenit – Mgr de Berranger, comment vous est venue l’idée de rapprocher ces visages Newman et de Lubac ? 

Mgr de Berranger -</b> C’est l’éditeur qui rapproche les visages de ces théologiens sur la manchette de couverture, grâce à une photo de chacun d’eux prise autour de leurs 70 ans. Newman (1801-1890) et de Lubac (1896-1991) ne sont pas du même siècle ni du même pays. L’un est oratorien, l’autre jésuite. Mais la pensée du premier a exercé une influence qui anticipe le second concile du Vatican (1961-1965). Le second, qui y a participé comme expert, n’a pas craint de rapprocher ce que fut cet « événement spirituel » du Mouvement d’Oxford, dont Newman fut l’un des principaux leaders dans l’espoir de renouveler l’Eglise d’Angleterre entre 1833 et 1843, alors qu’il voyait en elle une via media entre le protestantisme et ce qu’il croyait être une tendance aux exagérations superstitieuses dans le « romanisme ». C’est en approfondissant, à partir de son étude des Pères de l’Eglise, la question du « développement de la doctrine chrétienne » qu’il s’aperçut que la vérité dans sa plénitude se trouvait dans l’Eglise catholique et qu’il décida son surrender, autrement dit son adhésion à l’Eglise romaine le 9 octobre 1845.  

Zenit – Pourquoi le Père de Lubac avait-il lu l’oeuvre du cardinal Newman avec attention ? 

Mgr de Berranger – Parce qu’il voyait en lui un théologien dont la pensée, à l’égal de celle des Allemands Johannes Adam Möhler (1796-1838) et Matthias Joseph Scheeben (1835-1888), pouvait contribuer à rénover la vie de l’Eglise, par-delà les influences contraires du modernisme, condamné par S. Pie X en 1910, et du néo-thomisme, qui trop souvent lui semblait une mauvaise réponse aux questions posées à la foi chrétienne par nos contemporains, parce que prisonnier de formulations abstraites éloignées de la tradition patristique… et de S. Thomas d’Aquin lui-même. Ce que de Lubac appréciait chez Newman, c’est la pureté de la foi, jointe à une intelligence aiguë des exigences de la culture scientifique. De plus, il y avait entre Newman et de Lubac, outre le fait d’avoir été nommés cardinal au soir de leur vie, l’un par Léon XIII, l’autre par Jean-Paul II (comme Journet, Daniélou, Congar, Grillmeier…), une affinité d’ordre spirituel. L’un et l’autre se sont voulus humbles interprètes de la foi la plus enracinée dans la Tradition.  

Zenit – Vous parlez de leur « passion de faire aimer la Révélation chrétienne à leurs contemporains » : qu’ont-ils au fond en commun ? 

Mgr de Berranger – C’est précisément cette égale sensibilité à la Révélation, telle que la constitution conciliaire Dei Verbum la mettra en lumière, complétant en quelque sorte la constitution Dei Filius du premier concile du Vatican (1870) qui leur est commune. Tous deux ont une connaissance très fine de « l’Ecriture dans l’histoire », dont le Verbe incarné est la clé d’interprétation. Mais il ne s’agit pas là d’une pure affirmation de principe. C’est, pour l’un et pour l’autre, une source de sainteté parce que, selon la devise du cardinal Newman, cor ad cor loquitur : « le cœur parle au cœur ». Cela est vrai de la relation entre le croyant et le Christ et doit le devenir de celle du croyant avec tout homme, son frère, auquel il a le désir de faire aimer Celui qui se révèle à lui par la médiation de l’Eglise. Pour Newman soulignons-le, sans certitude, il n’y a pas de sainteté possible. Cela ne veut pas dire que la foi n’est jamais éprouvée par le doute, comme la vie spirituelle par la sécheresse, mais que l’intelligence doit pouvoir s’appuyer sur un assentiment très ferme au Christ, selon la confession de Pierre, roc de l’Eglise. 

Zenit – Pourquoi Benoît XVI est-il lui aussi soucieux de faire connaître Newman à toute l’Eglise ? Non seulement le pape devrait le béatifier, mais présider la béatification : il n’en a pas présidé jusqu’ici !

Mgr de Berranger – Tout le monde s’accorde à reconnaître en Benoît XVI un grand théologien. Je ne sache pas qu’il ait beaucoup cité Newman dans ses nombreux ouvrages. Mais parce qu’il a puisé aux mêmes sources de la grande Tradition, et que, comme de Lubac son contemporain, il a lu l’œuvre de Newman, il y a reconnu la sainteté dans sa quête de la vérité, quoi qu’il ait pu lui en coûter. J’aurais tendance à croire que Newman représente pour Benoît XVI un témoin de la même altitude qu’une Edith Stein (Ste Thérèse Bénédicte de la Croix) pour Jean-Paul II. Et, avec beaucoup d’autres, j’espère que l’un(e) et l’autre seront déclarés docteurs de l’Eglise.   

Zenit – Vous même, qu’est-ce que vous aimez le plus chez Newman ? Qu’avez-vous voulu communiquer à vos lecteurs ?

Mgr de Berranger – J’aime l’homme et l’œuvre dans son intégralité. Permettez-moi de citer un passage célèbre de son 15ème sermon universitaire à St Mary d’Oxford, alors qu’il est encore un clergyman anglican. Méditant sur Lc 2,19 (Mais Marie conservait toutes ces choses et les ruminait dans son cœur), il dit : « Mais Marie est notre modèle dans la Foi, non seulement dans la réception mais dans l’étude de la Divine Vérité. Elle ne se contente pas de l’accepter, elle l’habite ; il ne lui suffit pas de la posséder, elle s’en sert ; elle soumet sa raison, mais elle raisonne sa foi, non certes en raisonnant d’abord pour croire ensuite comme Zacharie, mais en premier elle croit sans raisonner, et ensuite, avec amour et respect, elle raisonne sur ce qu’elle croit. Ainsi, elle symbolise pour nous non seulement la foi des simples, mais aussi celle des docteurs de l’Eglise, qui ont à chercher, à peser, à définir, aussi bien qu’à professer l’Evangile ; à tirer un trait entre la vérité et l’hérésie ; à anticiper ou à remédier aux aberrations d’une fausse raison, à combattre avec leurs propres armes (celles de la foi) l’orgueil et la témérité et par là à triompher du sophiste et du novateur » (2 février 1843). J’espère que des lecteurs de mon livre éprouveront le besoin de lire Newman lui-même pour se fortifier dans cette démarche « mariale », ecclésiale à sa racine depuis les origines du christianisme.  

Zenit – Serez-vous présent à la béatification ? 

Mgr de Berranger – Je vous répondrai comme les Romains : « Se Dio vuole, certo » (Si Dieu le veut, certainement).   

Zenit – Votre étude du cardinal Newman et du cardinal de Lubac vous a-t-elle aidé dans votre ministère ?  

Mgr de Berranger – Je vous citerai particulièrement deux œuvres qui m’ont inspiré, l’une davantage en Corée, et l’autre comme évêque de Saint-Denis-en-France. En Corée, c’est surtout la Grammaire de l’assentiment qui m’a aidé à
m’acculturer dans une aire si différente de l’Europe. Newman ne s’y montre pas seulement soucieux de « la foi des simples », afin d’en montrer la cohérence profonde, mais il y déploie une extraordinaire sensibilité à l’influence des cultures dans l’expression d’une même foi. Et juste au moment où Mgr Tagliaferri, alors nonce à Paris, m’apprenait que j’étais nommé à Saint-Denis, je dus préparer une conférence sur une œuvre apparemment mineure du P. de Lubac : Le fondement théologique des missions. Il y démontrait l’unité du genre humain dans sa source originelle, créée, et s’opposait avec vigueur, en janvier 1941, aux thèses racistes divulguées par le nazisme. Cette coïncidence m’a soutenu dans un département planétaire.      
 

Propos recueillis par Anita S. Bourdin 
 

« Par l’amour de l’invisible, itinéraires croisés de John Henry Newman et Henri de Lubac », de Mgr Olivier de Berranger, éditions Ad Solem (2010) 

Mgr Olivier de Berranger, est né  en 1938, il  a fait ses études au Prado de Lyon puis à l’Université grégorienne de Rome, où, après sa licence canonique de théologie, il a préparé une thèse sur « Développement et assentiment chez John Henry Newman » avec le Père de Lubac. Il a été ordonné prêtre le 4 juillet 1964. Envoyé comme prêtre fidei donum à Séoul (Corée) à la demande du cardinal Kim en septembre 1976, il est revenu en France en juin 1993. Il a été nommé évêque de Saint-Denis par Jean-Paul II en 1996, charge qu’il a quittée en 2009. Il a été notamment président de la Commission sociale des évêques de France (1997-2003), président du Comité épiscopal pour les relations interreligieuses (2003-2005) et président de la Commission de la Mission universelle (2005-2008). 

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ZENIT Staff

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