Italie : une grammaire de la beauté pour enseigner la religion (II et fin)

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Une initiative de deux religieuses enseignantes

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Antonio Gaspari

Traduction d’Océane Le Gall

ROME, vendredi 7 septembre 2012 (ZENIT.org) –  Voici la suite de l’entretien avec Soeur Maria Franca Tricarico, professeur à la faculté des Sciences de l’Education « Auxilium », auteur avec Maria Luisa Mazzarello, d’un coffret de sept textes, édité par les éditions ‘Il Capitello’ et ‘Elledici’, sous le titre : « Enseigner la religion par l’art » (« Insegnare la religione con l’arte »).

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Zenit – De quelle manière le christianisme et l’art se recoupent-ils ?

Sr Maria Franca Tricarico – Saint Augustin relève que la beauté de l’art s’offre à nos yeux comme un bien qui dérive de la beauté de Dieu. De toute évidence, quand on considère l’art qui dit les « chose de Dieu » il faut avoir bien à l’esprit ce que sont la beauté de la forme et la beauté de l’expression/contenu. Saint Bernard, polémique à l’égard de l’art de son époque, parlait de deformis formositas (beauté déformée) et de formosa deformitas (belle distorsion).

La possibilité que les formes déformées et altérées soient de belles formes dérive de leur expressivité. Sur cette question,  au gré des époques et sociétés, la réflexion sur l’art a amené à se demander si une œuvre d’art doit être ramenée à son contenu ou à sa forme. La réponse, à mon avis, doit être recherchée dans une réflexion.

Le contenu d’une œuvre peut susciter du plaisir pour la moralité du sujet représenté, pour son réalisme, etc.; la forme peut susciter du plaisir pour son harmonie, sa symétrie, etc. Cependant, même si contenu et forme sont faciles à distinguer, ils ne sauraient être qualifiés d’artistiques séparément; car il n’ont d’artistique que leur relation et interaction. Donc il est tout à fait faux de relier la « grandeur » d’une œuvre uniquement à son contenu (beau ou laid éthiquement) ou à sa forme  (belle ou laide esthétiquement).

L’art contemporain a bouleversé les canons traditionnels du beau, produisant des œuvres aux couleurs le plus souvent criardes, où les figures, les formes, apparaissent en général discordantes. C’est comme si l’art voulait exprimer les larmes de la souffrance des hommes.  Une sorte de « liturgie pénitentielle ».

Alors que signifie tout cela ? Que l’art contemporain a transformé  la laideur en vraie beauté ? Les termes du problème doivent être posés autrement: l’art se défigure – et c’est ce qui fait sa beauté, sa grandeur – pour représenter le mal du monde, les pathologies de la réalité. Et quand nous parvenons à voir au-delà du réel d’une œuvre, il nous est possible de saisir son intériorité. Ce qui veut dire, en d’autres termes – et là nous saisissions l’intersection entre l’art et la religion –  que la beauté transcende l’esthétique car le beau trouve son archétype en Celui qui, de lui-même, a dit ego eimi ho poimèn ho kalòs (Je suis le bon/beau Pasteur, Jn 10,11 .14), en Celui qui , bien qu’étant « le plus beau, comme aucun des enfants de l’homme  (Ps 45,3) est devenu l’Homme des  douleurs, Celui qui n’était ni beau ni brillant pour attirer nos regards et devant lequel  on détourne la face (cf Is 53,2-3).

Saint Augustin dit que « ces affirmations des Ecritures sont comme deux trompettes jouant de manière différentes  mais où  un seul même Esprit souffle de  l’air à l’intérieur. La première dit: Beau d’aspect, come aucun des enfants de l’homme; et la seconde, avec Isaïe, dit: nous l’avons vu : il n’tait ni beau ni brillant. Les deux trompettes sont jouées par un seul et unique Esprit; ce ne sont donc par leurs sons qui sont discordants. Tu ne dois pas renoncer à les écouter, mais essayer de les comprendre».

L’art s’inspire d’une infinie de sujets: politiques, sociaux, philosophiques, en plus d’épisodes des Saintes Ecritures. Ainsi l’art, qu’il soit spécifiquement religieux, ou qu’il renferme une certaine dimension religieuse, est une discipline qui ouvre au transcendant et, d’une certaine mesure, le révèle. Ou, pour reprendre la pensée de Paul VI, « La matière doit devenir Verbe ». En ces termes, l’art devient pour nous un instrument de révélation anthropo-théologique.

En effet, jaillissant des racines de a Révélation, l’art chrétien n’est pas de l’art pour l’art; il a un objectif religieux bien précis: rendre visible l’Invisible. Et sur cette voie il s’affirme progressivement. Donc l’art doit être compris come une expression de la transmission du Credo chrétien dans la mémoire des siècles (traditio ut visio).

Que voulez-vous dire quand vous déclarez que le chemin de la beauté est une voie pleine de ressources pour transmettre la foi ? En quoi la beauté ouvre-t-elle des fenêtres pour arriver à Dieu ?

En un certain sens, j’ai déjà répondu à cette question. J’ajouterais juste une considération sur la « beauté ». J’emprunte à Dostoïevski une très belle page de son livre «  l’Idiot ». Là où, précisément,  le jeune athée Hyppolite pose au prince Myshkin (image du Christ) une question cruciale: «Est-il vrai, prince, que vous avez dit, une fois, que la beauté sauverait le monde? Messieurs – cria-t-il en s’adressant à toute la société : — le prince assure que la beauté sauvera le monde. Quelle beauté sauvera le monde ? ». Le prince qui, avec infinie compassion et amour est au chevet d’Hyppolite mourant de phtisie à 18 ans, ne répond pas, reste en silence comme pour témoigner que  « la beauté qui sauve le monde »  est l’amour qui partage la douleur, est la beauté rédemptrice du Christ.

Alors la contemplation du Christ « beau parce que bon » dans son mystère d’Incarnation et de Rédemption est la source à laquelle l’artiste puise son inspiration pour exprimer le mystère de Dieu et le mystère de l’homme sauvé en Jésus-Christ.

 Dans la kénose du Fils de Dieu, se rejoignent le beau, l’éclat et la forme, les moments théophanique et esthétique. Christ est Dieu qui est mort et ressuscité pour sauver l’homme : c’est ainsi que devrait être le vrai visage de l’art qui conduit à Dieu.

Comment réagissent élèves et parents à un enseignement de ce genre?

Je laisse cette réponse aux paroles de certains enseignants qui ont suivi des parcours artistiques dans l’enseignement de la religion. « Le texte-art a rendu les enfants actifs dans la recherche, les a motivés et entrainés vers des formes de communication où, au-delà de l’apparence, il est possible de saisir les significations les plus profondes du mystère. Il les a ouverts au mystère en parcourant la voie de la beauté ».

«Avec l’art, la religion a pris une dimension culturelle qui lui a permis de s’affirmer à l’école».

« Travailler ensemble sur l’interprétation du texte-art a aussi aidé les enfants en difficulté à s’exprimer plus facilement. Les résultats obtenus ont souvent dépassé mes propres attentes».

Une directrice d’école a dit: « Avec l’art, la religion s’est gagnée une place de choix dans l’école publique ».

On peut résumer ce que pensent les élèves de l’utilisation du texte art en citant la phrase d’une enfant du primaire: «  Maîtresse, l’art est plus facile à mémoriser ».

Et il ne manque pas de cas de parents d’élèves appartenant à d’autres confessions, ou de parents n’ayant inscrit leurs enfants à l’heure de religion qui, après avoir su que l’enseignante utilisait l’art, ont demandé à ce que ceux-ci puissent assister aux cours. De même que, pour les mêmes raisons, on a eu des demandes d’élèves du supér
ieur. A propos de ce dernier cas, l’enseignante remarquait que certains d’entre eux aujourd’hui vivent comme si Dieu n’existait pas (etsi Deus non daretur). Et les médias, très souvent, sont complices de cela. Le “bel” art peut alors être un antidote à cela: la via pulchritudinis peut être proposée – à l’école aussi – comme un itinéraire privilégié par rapport à celui de la beauté éphémère qui blesse les personnes dans leur dignité, mais aussi comme antidote à une  bonté plate, c’est-à-dire perçue uniquement comme un acte charitable, social.

Au contraire, la « voie de la beauté », à partir de cette expérience de rencontre avec la beauté de l’art qui suscite l’étonnement, peut permettre à l’esprit de s’élever, d’aller vers cette Beauté créatrice de chaque beauté. S. Irénée dans son traité Adversus haereses, écrit: «Visio Dei vita hominis/la vie de l’homme c’est de voir Dieu».

Ce parcours peut-il constituer les bases pour une « grammaire de la beauté » en cette année de la foi?

Sans aucun doute. Dans tout ce que j’ai dit, je pense qu’il apparait clairement que l’art, le « beau/le bon », s’offre pour un parcours possible, révélateur de la bonté/miséricorde de Jésus. L’art ainsi compris est un instrument pour une nouvelle évangélisation; il est un vrai « lieu théologique », qui conduit à la contemplation du mystère de Dieu et de sa manifestation épiphanique dans le Christ triomphant sur la mort et la douleur.

[La première partie de l’entretien a été publiée hier, jeudi 6 septembre]

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ZENIT Staff

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