Intervention du Saint-Siège à la Conférence de Durban II, à Genève

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ROME, Vendredi 24 avril 2009 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de l’intervention de Mgr Silvano M. Tomasi, observateur permanent du Saint-Siège auprès des Nations unies à Genève, à la Conférence de Durban II. 

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MISSION PERMANENTE DU SAINT-SIEGE 

Déclaration de Son Excellence Mgr Silvano M. Tomasi, Nonce apostolique, Observateur permanent du Saint-Siège auprès des Nations unies et autres organisations internationales  à Genève, à la Conférence de Durban II

Genève, 20-24 avril 2009 

Monsieur le Président,

Permettez-moi tout d’abord de vous féliciter pour votre élection à la présidence, avec le souhait que vous-même, le Haut Commissaire aux droits de l’homme et tous les membres du Bureau de l’ONU, conduisent avec succès la présente Conférence jusqu’à une conclusion positive. 

Monsieur le Président,

1.  La délégation du Saint-Siège partage l’aspiration de la communauté internationale à dépasser toutes les formes de racisme, discrimination raciale et xénophobie, dans la conscience que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits »1 et forment une seule et même famille humaine. En effet, une communauté internationale juste se développe de façon appropriée lorsque le désir naturel des personnes humaines d’avoir des relations entre elles n’est pas déformé par des préjugés, la crainte d’autrui ou des intérêts égoïstes qui minent le bien commun. Dans toutes ses manifestations, le racisme prône une fausse théorie qui prétend que certaines personnes ont moins de dignité et de valeur que d’autres ; ce qui constitue donc une négation de leur égalité fondamentale en tant qu’enfants de Dieu, et une  violation des droits humains des individus comme de groupes entiers de personnes. 

En tant que participant à la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale ainsi qu’aux efforts communs des Nations unies et autres grandes organisations internationales, le Saint-Siège n’épargne aucun effort pour assumer pleinement sa responsabilité en accord avec la mission qui est la sienne. Dans un esprit de coopération, il est engagé dans la lutte contre toutes les formes de racisme et de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée. Le Saint-Siège a participé activement à la Conférence de Durban en 2001 et n’a pas hésité à apporter son soutien moral à la « Déclaration et le Programme d’action de Durban » (DDPA),  pleinement conscient que la lutte contre le racisme constitue un préalable nécessaire et indispensable à l’édification de la gouvernance du développement durable, de la justice sociale, de la démocratie  et de la paix dans le monde.  

2. A notre ère où la mondialisation rapproche les peuples, la proximité spatiale et temporelle ne crée toutefois pas d’elle-même les conditions d’une interaction constructive et d’une communion paisible. En effet, le racisme persiste : l’étranger et ceux qui sont différents sont trop souvent rejetés, au point même que des actes de barbarie sont commis contre eux, y compris le génocide et le nettoyage ethnique. D’anciennes formes d’exploitation cèdent la place à de nouvelles : des femmes et des enfants sont victimes du trafic de personnes sous une forme contemporaine d’esclavage, des migrants en situation irrégulière sont exploités, des personnes perçues comme différentes, ou l’étant de fait, deviennent, en nombre démesuré, des victimes d’exclusion sociale et politique, de « ghettisation » et « stéréotypisation ». Des filles sont contraintes par la force au mariage ; des chrétiens emprisonnés ou tués en raison de leur croyance. Le manque de solidarité, la fragmentation accrue des relations sociales dans nos sociétés multiculturelles, le racisme spontané et la xénophobie, la discrimination sociale et raciale, surtout à l’encontre des minorités et des groupes marginalisés, ainsi que l’exploitation politique des différences, se vérifient au quotidien. L’impact global de l’actuelle crise économique affecte, principalement, les catégories vulnérables de la société  ; ce qui prouve que le racisme et la pauvreté sont, trop souvent, étroitement associés en une combinaison destructrice. 

Le Saint-Siège est également préoccupé par la tentation, toujours latente, de l’eugénisme, qui peut être alimenté par des techniques de procréation artificielle et l’utilisation d’ « embryons surnuméraires ». La possibilité de choisir la couleur des yeux d’un enfant, ou d’autres traits physiques, peut conduire à la création d’une « sous-catégorie d’êtres humains » ou à l’élimination de ceux qui ne remplissent pas les caractéristiques fixées d’avance par une société donnée. De plus, les craintes croissantes pour la sécurité et, par voie de conséquence, l’instauration de mesures et pratiques excessives, ont engendré une méfiance plus grande entre les peuples de différentes cultures et exacerbé la peur irrationnelle des étrangers. La lutte légitime contre le terrorisme ne devrait jamais nuire à la protection et la promotion des droits de l’homme. 

3.  S’appuyant sur les progrès déjà accomplis, notre Conférence de Durban II peut être l’occasion de mettre de côté les différences et la méfiance réciproques  ; de rejeter une fois de plus toute théorie de supériorité raciale ou ethnique  ; de renouveler l’engagement de la communauté internationale en faveur de l’élimination de toutes les expressions de racisme, comme une exigence éthique du bien commun, dont la réalisation « est l’unique raison d’être des autorités civiles » aux niveaux national, régional et international. Partager des ressources et de meilleures pratiques dans un effort concerté pour mettre en œuvre les recommandations de la DDPA en vue d’éradiquer le racisme, c’est reconnaître la place centrale de la personne humaine et l’égale dignité de tous. Il s’agit d’une tâche qui relève du devoir et de la responsabilité de chacun. On a là un exemple clair que faire ce qu’il faut porte des fruits sur le plan politique, car les bases sont ainsi jetées d’une vie commune pacifique, productive et mutuellement enrichissante.  

4.  Des accords et déclarations internationaux, ainsi qu’une législation nationale sont indispensables pour créer une culture publique et prévoir des dispositions contraignantes en matière de lutte contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée. Toutefois, sans un changement des cœurs,  les lois ne sont pas efficaces. C’est le cœur qui doit constamment être purifié, afin de ne plus être gouverné par la peur ou l’esprit de domination, mais par l’ouverture aux autres, la fraternité et la solidarité. Le rôle de l’éducation est irremplaçable, c’est elle qui façonne les mentalités, contribue à former les consciences à adopter une vision plus globale de la réalité et à rejeter toute forme de racisme et de discrimination. Certains systèmes d’éducation devraient être revus afin que tous les aspects discriminatoires puissent être éliminés de l’enseignement, des manuels, des programmes, des cours  et des ressources visuelles. Le processus final de cette éducation n’est pas seulement la reconnaissance de l’égale dignité humaine de chacun et l’élimination des opinions et des attitudes racistes, mais aussi la conviction que les Etats et les individus doivent prendre l’initiative et se faire proches de tous. L’éducation informelle et générale joue aussi un rôle crucial. Les médias doivent donc être accessibles et échapper à tout contrôle idéologique et raciste, car cela conduit à la discrimination, voire à la violence à l’encontre de personnes ayant de
s bases culturelles et ethniques différentes. Ainsi, les systèmes d’éducation et les médias s’associent-ils au reste de la société dans la défense de la dignité humaine, que seule une action collective menée par tous les secteurs de la société est en mesure de préserver et de promouvoir. Dans un tel contexte d’acceptation réciproque, le droit d’accéder à l’éducation pour des minorités raciales, ethniques et religieuses sera respecté en tant que droit humain assurant la cohésion de la société, avec le concours des talents et des capacités de chacun.  

5.  Dans la lutte contre le racisme, les communautés religieuses jouent un rôle majeur. L’Eglise catholique, par exemple, n’a pas ménagé ses efforts pour renforcer ses institutions scolaires, en créer de nouvelles, être présente dans des situations dangereuses où la dignité humaine est bafouée et la communauté locale fracturée. Dans ce vaste réseau d’éducation, elle enseigne comment vivre ensemble, comment reconnaître que toute forme de préjugé racial et de discrimination nuit à la dignité de chaque personne créée à l’image de Dieu, et entrave le développement d’une société juste et accueillante. Pour cette raison, l’Eglise souligne que «la personne se réalise à travers l’ouverture accueillante à l’autre et le don généreux de soi… En ce sens, le dialogue entre les culturesapparaît comme une exigence intrinsèque de la nature même de l’homme et de la culture… Le dialogue porte à reconnaître la richesse de la diversité et dispose les âmes à l’acceptation réciproque, dans la perspective d’une collaboration authentique, répondant à la vocation originelle à l’unité de la famille humaine tout entière. Comme tel, le dialogue est un instrument éminent pour réaliser la civilisation de l’amour et de la paix ». La contribution des communautés religieuses dans le combat contre le racisme et l’édification d’une société fondée sur la non-discrimination gagne en efficacité s’il existe un réel respect du droit à la liberté religieuse, tel qu’il est clairement inscrit dans les droits de l’homme. La discrimination, hélas, n’épargne pas les minorités religieuses, un phénomène qui inquiète de plus en plus la communauté internationale. La réponse à cette inquiétude légitime est de garantir le plein respect de la liberté religieuse des individus et leur exercice collectif de ce droit humain fondamental. Alors que le droit à la liberté d’expression n’est pas une autorisation pour insulter les adeptes d’une quelconque religion ou stéréotyper leur foi, les dispositifs juridiques existants, qui établissent la responsabilité de l’incitation à la haine raciale et religieuse, doivent être utilisés dans le cadre des droits de l’homme pour assurer la protection de tous, croyants et non-croyants. Les systèmes juridiques nationaux doivent favoriser des « aménagements raisonnables » de pratiques religieuses, et ne pas être utilisés pour justifier l’incapacité de protéger et de promouvoir le droit de professer et de pratiquer librement sa religion.. 

6. Les défis qui nous attendent  exigent des stratégies plus efficaces pour combattre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée. Ce sont des maux qui rongent le tissu social, provoquant d’innombrables victimes. Le premier pas vers une solution concrète est une instruction intégrale incluant des valeurs éthiques et spirituelles propres à favoriser la responsabilisation de groupes vulnérables comme les réfugiés, les migrants et les déplacés, les minorités raciales et culturelles, les personnes prisonnières de la pauvreté extrême, les malades et les handicapés, les filles et les femmes qui sont encore stigmatisées comme inférieures dans certaines sociétés où une peur irrationnelle des différences empêche une pleine participation à la vie sociale. Deuxièmement, afin d’assurer la cohérence entre les différentes structures et mécanismes de lutte contre les attitudes et comportements raciaux, il convient de procéder à un nouvel examen, visant à rendre les différentes approches plus incisives et efficaces. Troisièmement, la ratification universelle d’instruments majeurs de lutte contre le racisme et la discrimination, tels que la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, donnera le signal de la volonté politique de la communauté internationale de lutter contre toutes les formes de racisme. Enfin, rien ne peut remplacer une bonne législation nationale qui condamne explicitement toute forme de racisme et de discrimination, et permet à tous les citoyens de participer à la vie publique de leur pays sur la base de l’égalité à la fois des droits et des devoirs.

7.  Par conséquent, les travaux de la Conférence ont marqué un pas en avant dans le combat contre le racisme  ; c’est la raison pour laquelle la grande majorité des pays du monde n’a pas quitté la salle, unissant leurs efforts pour aboutir à un résultat qui réponde à la nécessité d’éliminer les manifestations, anciennes et nouvelles, de racisme. Alors qu’il s’agissait d’un forum international pour l’exercice du droit à la liberté d’expression, la présente Conférence a, hélas, été utilisée pour assumer des positions politiques extrêmes et offensives, que le Saint-Siège déplore et dénonce : sans aider au dialogue, ces positions provoquent des conflits inacceptables et ne peuvent en aucun cas être approuvées ou partagées.

Monsieur le President,

8.  Il y a huit ans, les pays du monde se sont engagés au niveau mondial à combattre le racisme moyennant l’adoption de la « Déclaration et le Programme d’action de Durban » (DDPA). Cette vision du changement reste incomplète dans sa mise en œuvre, de sorte que le voyage doit se poursuivre. Des progrès seront accomplis grâce à une détermination nouvelle à traduire en actes les convictions réaffirmées au cours de l’actuelle Conférence,  à savoir « que tous les peuples et les individus forment une seule famille humaine, riche en diversité » et que tous les êtres humains sont égaux en dignité et en droits. C’est alors seulement que les victimes du racisme, seront libres et qu’un avenir commun de paix sera assuré.

(1) Déclaration universelle des droits de l’homme, art. 1

[Traduit de l’anglais par E. de Lavigne]

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ZENIT Staff

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