Homélie de Benoît XVI lors de la messe d’ouverture du synode

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ROME, Lundi 3 octobre 2005 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de l’homélie que le pape Benoît XVI a prononcée lors de la messe d’ouverture du synode qui s’est déroulée dimanche matin 2 octobre en la basilique Saint Pierre.

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La lecture tirée du prophète Isaïe et l’Évangile de ce jour mettent sous nos yeux l’une des grandes images de l’Ecriture Sainte: l’image de la vigne. Le pain représente dans l’Écriture Sainte tout ce dont l’homme a besoin dans sa vie quotidienne. L’eau donne à la terre la fertilité: c’est le don fondamental, qui rend possible la vie. Le vin, en revanche, exprime la délicatesse de la création, il nous offre la fête dans laquelle nous dépassons les limites du quotidien: le vin “réjouit le cœur”. Ainsi le vin et avec lui la vigne sont-ils également devenus des images du don de l’amour, dans lequel nous pouvons faire dans une certaine mesure l’expérience de la saveur du Divin. Et ainsi la lecture du prophète, que nous venons d’écouter, commence-t-elle comme un cantique d’amour: Dieu s’est créé une vigne – c’est là une image de son histoire d’amour avec l’humanité, de son amour pour Israël, qu’Il s’est choisi. Le premier enseignement des lectures d’aujourd’hui est donc celui-ci: à l’homme, créé à son image Dieu a insufflé sa capacité d’aimer et donc la capacité de L’aimer Lui aussi, son Créateur. À travers le cantique d’amour du prophète Isaïe, Dieu veut parler au cœur de son peuple – ainsi qu’à chacun de nous. “Je t’ai créé à mon image et ressemblance”, dit-il à chacun de nous. “Moi-même, je suis l’amour, et tu es mon image dans la mesure où, en toi, brille la splendeur de l’amour, dans la mesure où tu me réponds avec amour”. Dieu nous attend. Il veut être aimé de nous: un semblable appel ne devrait-il donc pas toucher notre cœur? En cette heure précisément où nous célébrons l’Eucharistie, où nous inaugurons le Synode sur l’Eucharistie, Il vient à notre rencontre, il vient à ma rencontre. Trouvera-t-il une réponse? Ou arrive-t-il avec nous ce qu’il se passe avec la vigne, à propos de laquelle Dieu dit à Isaïe: “Il attendait de beaux raisins: elle donna des raisins sauvages”? Notre vie chrétienne n’est-elle donc pas plus souvent du vinaigre que du vin? Commisération sur nous-même, conflit, indifférence?

Nous sommes ainsi naturellement arrivés au deuxième enseignement fondamental des lectures d’aujourd’hui. Celles-ci parlent avant tout de la bonté de la création de Dieu et de la grandeur de l’élection à travers laquelle Il nous recherche et Il nous aime. Mais elles parlent également de l’histoire qui a eu lieu ensuite – de l’échec de l’homme. Dieu avait planté des vignes d’excellente qualité et, toutefois, du raisin sauvage a mûri. En quoi consiste ce raisin sauvage? Le bon raisin que Dieu attendait – dit le prophète – aurait dû consister dans la justice et dans la rectitude. Le raisin sauvage, ce sont en revanche la violence, le sang répandu et l’oppression, qui font gémir les peuples sous le joug de l’injustice. Dans l’Évangile, l’image change: la vigne produit du bon raisin, mais les vignerons le gardent pour eux. Ils ne sont pas disposés à le remettre au propriétaire. Ils battent et ils tuent les messagers qu’il a envoyés et ils tuent son Fils. Leur motivation est simple: ils veulent devenir eux-mêmes les propriétaires; ils prennent possession de ce qui ne leur appartient pas. Dans l’Ancien Testament, on trouve au premier plan l’accusation de violation de la justice sociale, du mépris de l’homme de la part de l’homme. En arrière plan, toutefois, apparaît que, à travers le mépris de la Torah, du droit donné par Dieu, c’est Dieu lui-même qui est méprisé; l’on veut seulement jouir de son propre pouvoir. Cet aspect est pleinement mis en évidence dans la parabole de Jésus: les vignerons ne veulent pas avoir de propriétaire – et ces vignerons constituent également pour nous un miroir. Nous les hommes, auxquels la création est pour ainsi dire confiée en gestion, nous l’usurpons. Nous voulons en être les propriétaires au premier chef et tous seuls. Nous voulons posséder le monde et notre propre vie de manière illimitée. Dieu nous est une entrave. Ou bien on Le réduit à une simple phrase pieuse ou bien Il est nié totalement, mis au ban de la vie publique, au point de perdre toute signification. La tolérance, qui admet pour ainsi dire Dieu comme une opinion privée, mais lui refuse le domaine public, la réalité du monde et de notre vie, n’est pas tolérance, mais hypocrisie. Mais là où l’homme se fait le seul propriétaire du monde et propriétaire de lui-même, la justice ne peut pas exister. Là, ne peut dominer que l’arbitraire du pouvoir et des intérêts. Bien sûr, l’on peut chasser le Fils hors de la vigne et le tuer, pour goûter de manière égoïste, tous seuls, les fruits de la terre. Mais alors, la vigne se transforme bien vite en un terrain inculte piétiné par les sangliers, comme nous dit le Psaume responsorial (cf. Ps 79, 14).

Nous parvenons ainsi au troisième élément des lectures de ce jour. Le Seigneur, dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament, annonce le jugement à la vigne infidèle. Le jugement qu’Isaïe prévoyait s’est réalisé au travers des grandes guerres et des exils pratiqués par les Assyriens et les Babyloniens. Le jugement annoncé par le Seigneur Jésus se réfère surtout à la destruction de Jérusalem en l’an 70. Mais la menace de jugement nous concerne nous aussi, l’Église en Europe, l’Europe et l’Occident en général. Par cet Évangile, le Seigneur crie jusque dans nos oreilles les paroles qu’il adresse dans l’Apocalypse à l’Église d’Éphèse: “Si tu ne te repens, je vais venir à toi pour changer ton candélabre de son rang” (2,5). À nous aussi, la lumière peut être enlevée et nous faisons bien si nous laissons résonner cet avertissement en notre âme avec tout son sérieux, en criant dans le même temps au Seigneur: “Aide-nous à nous convertir! Donne à chacun de nous la grâce d’un véritable renouvellement! Ne permets pas que la lumière qui est au milieu de nous s’éteigne! Renforce notre foi, notre espérance et notre amour afin que nous puissions porter de bons fruits!”.

Dès lors, se pose à nous cette question: “Mais n’y a-t-il aucune promesse, aucune parole de réconfort dans la lecture et dans la page d’évangile de ce jour? La menace serait-elle le dernier mot?” Non! La promesse existe et c’est elle qui constitue le dernier mot, le mot essentiel. Nous l’entendons dans le verset de l’Alléluia, tiré de l’Évangile de Jean: “Je suis la vigne; vous, les sarments. Celui qui demeure en moi, et moi en lui, celui-là porte beaucoup de fruit” (Jn 15, 5). Par ces paroles du Seigneur, Jean nous illustre la fin dernière et véritable de l’histoire de la vigne de Dieu. Dieu ne faillit pas. À la fin, il remporte la victoire, l’amour sort vainqueur. Une allusion voilée à cette victoire se trouve déjà dans la parabole de la vigne proposée par l’Évangile d’aujourd’hui et dans ses paroles conclusives. Même à ce moment-là, la mort du Fils ne constitue pas la fin de l’histoire, même si elle n’est pas directement racontée. Mais Jésus exprime cette mort par le biais d’une nouvelle image tirée du Psaume: “La pierre qu’avaient rejetée les bâtisseurs c’est elle qui est devenue pierre de faîte…” (Mt 21, 42; Ps 117, 22). De la mort du Fils surgit la vie, un nouvel édifice se forme, une nouvelle vigne. Lui, qui à Cana, changea l’eau en vin, a transformé son sang dans le vin du véritable amour et transforme ainsi le vin en son sang. Dans le cénacle, il a anticipé sa mort et l’a transformée en don de soi, en un acte d’amour radical. Son sang est don, il est amour, et pour cette raison, il est le vrai vin que le Créateur attendait. De cette manière, le Christ même est devenu la vigne et cette vigne porte toujours du bon fruit: la présence de son amour pour nous, qui est indestructible.

Ainsi, ces paraboles débouchent à la fin sur le mystère de l’Eucharistie, da
ns laquelle le Seigneur nous donne le pain de la vie et le vin de son amour et nous invite à la fête de l’amour éternel. Nous célébrons l’Eucharistie bien conscients que son prix fut la mort du Fils – le sacrifice de sa vie, qui, en elle, reste présent. Chaque fois que nous mangeons ce pain et buvons à cette coupe, nous annonçons la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne, nous dit saint Paul (cf. Co 11, 26). Mais nous savons également que, de cette mort provient la vie, parce que Jésus l’a transformée en un geste oblatif, en un acte d’amour, en la modifiant ainsi profondément: l’amour a vaincu la mort. Dans la sainte Eucharistie, Il nous attire tous à Lui depuis la croix (Jn 12, 32) et nous fait devenir des sarments de la vigne qu’Il est lui-même. Si nous demeurons unis à Lui, alors nous porterons du fruit nous aussi, alors, nous aussi, nous ne produirons plus le vinaigre de l’autosuffisance, du mécontentement de Dieu et de sa création, mais le bon vin de la joie de Dieu et de l’amour du prochain. Nous prions le Seigneur de nous donner sa grâce, afin que, dans les trois semaines du Synode que nous débutons, nous ne disions pas seulement de belles choses à propos de l’Eucharistie, mais surtout que nous vivions de sa force. Nous invoquons ce don par l’intercession de Marie, chers Pères synodaux, que je salue avec tant d’affection, ainsi que les Communautés desquelles vous provenez et que vous représentez ici, afin que, dociles à l’action de l’Esprit Saint, nous puissions aider le monde à devenir dans le Christ et avec le Christ la vigne féconde de Dieu. Amen.

[Traduction de l’italien distribuée par le secrétariat général du synode des évêques]

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ZENIT Staff

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