Homélie de Benoît XVI à la cathédrale saint Patrick, à New York

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Messe en présence de quelque 3000 séminaristes, religieux et religieuses

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ROME, Dimanche 20 avril 2008 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de l’homélie que le pape Benoît XVI a prononcé au cours de la messe qu’il a présidée ce dimanche au « Yankee stadium » de New York.

Chers frères et soeurs dans le Christ,

C’est avec une grande affection dans le Seigneur que je vous salue, vous tous qui représentez les évêques, les prêtres et les diacres, les hommes et femmes de la vie consacrée et les séminaristes des Etats-Unis. Je remercie le cardinal Egan pour ses paroles cordiales de bienvenue et pour les vœux qu’il a exprimés en votre nom pour le début de cette quatrième année de mon pontificat. Je suis heureux de célébrer cette messe avec vous qui avez été choisis par le Seigneur, qui avez répondu à son appel et qui consacrez votre vie à la recherche de la sainteté, à la diffusion de l’Evangile et l’édification de l’Eglise dans la foi, l’espérance et l’amour.

Rassemblés dans cette cathédrale historique, comment ne pas penser aux innombrables hommes et femmes qui nous ont précédés, qui ont travaillé pour la croissance de l’Eglise aux Etats-Unis, nous laissant un patrimoine durable de foi et de bonnes œuvres ? Dans la première lecture d’aujourd’hui, nous avons vu comment les apôtres, avec la force de l’Esprit Saint, sont sortis de la chambre haute pour annoncer les grandes œuvres de Dieu aux personnes de toute nation et langue. Dans ce pays, la mission de l’Eglise a toujours comporter le fait d’attirer des personnes « de toutes les nations qui sont sous le ciel » (Ac 2, 5) dans une unité spirituelle, enrichissant le Corps du Christ avec la multiplicité de leurs dons. Alors que nous rendons grâce pour les bénédictions du passé et considérons les défis de l’avenir, implorons de Dieu la grâce d’une nouvelle Pentecôte pour l’Eglise en Amérique. Que des langues de feu unissant un amour brûlant pour Dieu et pour votre prochain et le zèle pour la diffusion du Royaume du Christ, descendent sur vous tous !

Dans la deuxième lecture de ce matin, saint Paul nous rappelle que l’unité spirituelle, cette unité qui réconcilie et enrichit la diversité, trouve son origine et son modèle suprême dans la vie du Dieu un et trine. En tant que communion d’amour pur et de liberté infinie, la Très Sainte Trinité fait naître sans cesse la vie nouvelle dans l’œuvre de la création et de la rédemption. En tant que « peuple rassemblé dans l’unité du Père, du Fils et de l’Esprit Saint » (cf. Lumen gentium, 4), l’Eglise est appelée à proclamer le don de la vie, à protéger la vie et promouvoir une culture de la vie. Ici, dans cette cathédrale, notre pensée va naturellement au témoignage héroïque pour l’Evangile de la vie offert par les cardinaux défunts Cooke et O’Connor. La proclamation de la vie, de la vie en abondance, doit être au cœur de la nouvelle évangélisation. Car on ne peut trouver la vraie vie, notre salut, que dans la réconciliation, dans la liberté et dans l’amour, qui sont des dons gratuits de Dieu.

C’est le message d’espérance que nous sommes appelés à annoncer et à incarner dans un monde dans lequel l’égoïsme, l’avidité, la violence et le cynisme semblent si souvent étouffer la fragile croissance de la grâce dans le cœur des personnes. Faisant preuve d’une grande profondeur, saint Irénée a compris que l’exhortation de Moïse au peuple d’Israël : « Choisi la vie ! » (Dt 30, 19) était la raison la plus profonde de notre obéissance à tous les commandements de Dieu (cf. Adv. Haer. IV, 16, 2-5). Peut-être avons-nous perdu de vue le fait que dans une société dans laquelle l’Eglise semble pour beaucoup juridique et « institutionnelle », notre défi le plus urgent est de transmettre la joie qui naît de la foi et l’expérience de l’amour de Dieu.

Je suis particulièrement heureux que nous soyons réunis dans la cathédrale de saint Patrick. Peut-être plus que toute autre église aux Etats-Unis, ce lieu est connu et aimé comme « une maison de prière pour tous les peuples » (cf. Is 56, 7 ; Mc 11, 17). Chaque jour, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants entrent par ses portes et trouvent la paix à l’intérieur de ses murs. Mgr John Hughes qui, comme l’a rappelé le cardinal Egan, fut le promoteur de la construction de ce vénérable édifice, voulut l’ériger en pur style gothique. Il voulait que cette cathédrale rappelle à la jeune Eglise en Amérique la grande tradition spirituelle dont elle était l’héritière, et qu’elle l’inspire à apporter ce qu’il y avait de mieux dans ce patrimoine, dans l’édification du Corps du Christ dans ce pays. Je voudrais attirer votre attention sur quelques aspects de cette très belle structure qui peut servir il me semble, de point de départ pour une réflexion sur nos vocations particulières dans l’unité du Corps mystique.

Le premier aspect concerne les vitraux qui inondent l’intérieur d’une lumière mystique. Vues de l’extérieur, ces fenêtres semblent sombres, lourdes et même lugubres. Mais quand on entre dans l’église, elles prennent soudain vie ; elles reflètent la lumière qui les traversent en révélant toute leur splendeur. De nombreux écrivains – ici en Amérique nous pouvons penser à Nathaniel Hawthorne – ont utilisé l’image des vitraux pour illustrer le mystère de l’Eglise elle-même. Ce n’est que de l’intérieur, à partir de l’expérience de la foi et de la vie ecclésiale, que nous voyons l’Eglise telle qu’elle est vraiment : inondée de grâce, resplendissante de beauté, décorée des multiples dons de l’Esprit. Ceci veut dire que nous qui vivons la vie de la grâce dans la communion de l’Eglise sommes appelés à attirer toutes les personnes à l’intérieur de ce mystère de lumière.

Ce n’est pas une tâche facile dans un monde qui peut être enclin à regarder l’Eglise comme ces vitraux, « de l’extérieur » : un monde qui sent un profond besoin de spiritualité mais qui a du mal à « entrer dans » le mystère de l’Eglise. Même pour certains de nous, à l’intérieur, la lumière de la foi peut être atténuée par la routine et la splendeur de l’Eglise peut être voilée par les péchés et les faiblesses de ses membres. Elle peut aussi être voilée par les obstacles rencontrés dans une société qui semble parfois avoir oublié Dieu et qui recule devant les demandes les plus élémentaires de la morale chrétienne. Vous qui avez consacré votre vie à rendre témoignage à l’amour du Christ et à l’édification de son Corps, vous savez, grâce à votre contact quotidien avec le monde autour de nous, combien on est parfois tenté de céder à la frustration, à la désillusion et même au pessimisme pour l’avenir. En un mot, ce n’est pas toujours facile de voir la lumière de l’Esprit autour de nous, la splendeur du Seigneur ressuscité qui éclaire notre vie et donne une nouvelle espérance dans sa victoire sur le monde (cf. Jn 16, 33).

La parole de Dieu nous rappelle toutefois que dans la foi, nous voyons les cieux ouverts et la grâce de l’Esprit Saint illuminer l’Eglise et apporter une espérance sûre au monde. Seigneur, mon Dieu, chante le psalmiste « tu envoies ton souffle, ils sont créés, tu renouvelles la face de la terre » (Ps 104, 30). Ces paroles évoquent la première création, quand « le souffle de Dieu planait au-dessus des eaux » (Gn, 1, 2). Et elles poussent notre regard en avant vers la nouvelle création, lors de la Pentecôte, quand l’Esprit Saint descendit sur les apôtres et instaura l’Eglise, comme les premiers fruits de l’humanité sauvée (cf. Jn 20, 22-23). Ces paroles nous exhortent à avoir une foi toujours plus profonde dans le pouvoir infini de Dieu de transformer toute situation humaine, de créer la vie de la mort et d’éclairer également la nuit la plus sombre. Et elles nous font penser à une autre très belle phrase de saint Irénée : « Là où se trou
ve l’Eglise, se trouve l’Esprit de Dieu ; là où se trouve l’Esprit de Dieu, se trouve l’Eglise et toute grâce » (Adv. Haer. III, 24,1).

Ceci m’amène à une autre réflexion sur l’architecture de cette église. Comme toutes les cathédrales gothiques, elle a une structure très complexe, dont les proportions précises et harmonieuses symbolisent l’unité de la création de Dieu. Les artistes du moyen âge représentaient souvent le Christ, la Parole créatrice de Dieu, comme un « géomètre » céleste, le compas en main, qui ordonne le cosmos avec une infinie sagesse et détermination. Une telle image ne nous fait-elle pas penser à notre besoin de voir toute chose avec les yeux de la foi, afin de pouvoir ainsi les comprendre dans leur perspective la plus vraie, dans l’unité du plan éternel de Dieu ? Ceci exige, nous le savons, une conversion continuelle et l’engagement à « nous renouveler par une transformation spirituelle de notre jugement » (cf. Ep 4, 23). Ceci exige aussi le développement des vertus qui permettent à chacun de nous de grandir en sainteté et de porter des fruits spirituels dans notre état de vie. Cette conversion « intellectuelle » permanente n’est-elle pas aussi nécessaire que la conversion « morale » pour que nous puissions grandir dans la foi, discerner les signes des temps et contribuer personnellement à la vie et à la mission de l’Eglise ?

Je crois que l’une des grandes désillusions qui ont suivi le Concile Vatican II avec son exhortation à un engagement plus grand dans la mission de l’Eglise pour le monde, a été pour nous tous l’expérience de division entre groupes différents, générations différentes et membres différents de la même famille religieuse. Nous ne pouvons avancer que si nous fixons ensemble notre regard sur le Christ ! A la lumière de la foi nous découvrirons alors la sagesse et la force nécessaires pour nous ouvrir à des points de vue qui peut-être ne coïncident pas entièrement avec nos idées ou nos suppositions. Nous pourrons ainsi considérer les points de vue des autres, qu’ils soient plus jeunes ou plus anciens que nous, et enfin écouter « ce que l’Esprit dit » à chacun de nous et à l’Eglise (cf. Ap 2, 7). Nous avancerons ainsi ensemble vers le véritable renouveau spirituel que voulait le Concile, un renouveau qui ne peut que renforcer l’Eglise dans la sainteté et dans l’unité indispensables pour la proclamation de l’Evangile dans le monde d’aujourd’hui.

Cette unité de vision et d’intentions enracinée dans la foi et dans un esprit de conversion continuelle et de sacrifice personnel, n’est-elle pas le secret de la surprenante croissance de l’Eglise dans ce pays ? Il suffit de penser à l’œuvre extraordinaire de ce prêtre américain exemplaire, le vénérable Michael McGivney, dont la vision et le zèle conduisirent à la fondation des Chevaliers de Colomb, ou à l’héritage spirituel de générations de religieuses, religieux et prêtres qui ont consacré leur vie, en silence, au service du peuple de Dieu dans d’innombrables écoles, hôpitaux et paroisses.

Ici, dans le contexte de notre besoin de perspective fondée sur la foi, d’unité et de collaboration dans le travail d’édification de l’Eglise, je voudrais dire un mot sur les abus sexuels qui ont provoqué tant de souffrances. J’ai déjà eu l’occasion de parler de cela et des dommages que cela a provoqué dans la communauté des fidèles. Ici je voudrais simplement vous assurer, chers prêtres et religieux, de ma proximité spirituelle, alors que vous tentez de répondre avec une espérance chrétienne aux défis continuels présentés par cette situation. Je me joins à vous pour prier afin que ce temps soit un temps de purification pour chacun et pour chaque Eglise et communauté religieuse, qu’il soit un temps de guérison. Que le Seigneur Jésus Christ accorde à l’Eglise en Amérique un sentiment renouvelé d’unité et de décision, alors que tous – évêques, clergé, religieux, religieuses et laïcs – avancent dans l’espérance et dans l’amour réciproque et l’amour de la vérité.

Chers amis, ces considérations me conduisent à faire une dernière observation concernant cette grande cathédrale dans laquelle nous nous trouvons. L’unité d’une cathédrale gothique, nous le savons, n’est pas l’unité statique d’un temple classique, mais une unité née de la tension dynamique de forces diverses qui poussent l’architecture vers le haut, l’orientant vers le ciel. Ici aussi nous pouvons voir un symbole de l’unité de l’Eglise qui est l’unité – comme nous l’a dit saint Paul – d’un corps vivant composé de plusieurs membres divers, chacun avec son rôle et son but. Nous voyons ici également la nécessité de reconnaître et respecter les dons de chaque membre du corps comme « des manifestations de l’Esprit en vue du bien commun » (1 Co 12, 7). Dans la structure de l’Eglise voulue par Dieu il faut certes distinguer les dons hiérarchiques des dons charismatiques (cf. Lumen gentium, 4). Mais la variété même et la richesse des grâces accordées par l’Esprit nous invitent constamment à discerner comment insérer ces dons de façon juste dans le service de la mission de l’Eglise. Chers prêtres, à travers l’ordination sacramentelle, vous avez été configurés au Christ, Tête du Corps. Chers diacres, vous avez été ordonnés pour le service de ce Corps. Chers religieux et religieuses, contemplatifs ou dédiés à l’apostolat, vous avez consacré votre vie à suivre le Maître divin dans l’amour généreux et dans la fidélité totale à son Evangile. Vous tous qui emplissez cette cathédrale, ainsi que vos frères et sœurs âgés, malades ou en retraite, qui unissent leurs prières et leurs sacrifices à votre travail, êtes appelés à être des forces d’unité au sein du Corps du Christ. Vous préparez la voie à l’Esprit à travers votre témoignage personnel et votre fidélité au ministère ou à l’apostolat qui vous a été confié. Car l’Esprit ne cesse jamais de répandre ses dons en abondance, de susciter de nouvelles vocations et de nouvelles missions et de guider l’Eglise – comme le Seigneur l’a promis dans le passage de l’évangile de ce matin – à la vérité tout entière (cf. Jn 16, 13).

Tournons donc notre regard vers le haut ! Et avec une grande humilité et confiance demandons à l’Esprit de nous donner chaque jour les moyens de grandir dans la sainteté qui fera de nous des pierres vivantes dans le temple qu’Il est précisément en train d’élever maintenant au coeur du monde. Si nous devons être de véritables forces d’unité, soyons les premiers à chercher une réconciliation intérieure à travers la pénitence ! Pardonnons les offenses subies et réprimons tout sentiment de colère et de dispute ! Soyons les premiers à faire preuve de l’humilité et de la pureté de cœur nécessaires pour s’approcher de la splendeur de la vérité de Dieu ! Dans la fidélité au dépôt de la foi confié aux apôtres (cf. 1 Tm 6, 20), soyons de joyeux témoins de la force transformatrice de l’Evangile !

Chers frères et sœurs, conformément aux traditions les plus nobles de l’Eglise dans ce pays, soyez aussi les premiers amis du pauvre, du réfugié, de l’étranger, du malade et de toutes les personnes souffrantes ! Agissez comme des phares d’espérance, diffusant la lumière du Christ dans le monde et encourageant les jeunes à découvrir la beauté d’une vie complètement donnée au Seigneur et à son Eglise ! J’adresse cet appel de façon spéciale aux nombreux séminaristes et jeunes religieuses et religieux ici présents. Chacun de vous a une place particulière dans mon cœur. N’oubliez jamais que vous êtes appelés à poursuivre, avec tout l’enthousiasme et la joie que nous donne l’Esprit, une œuvre que d’autres ont commencée, un patrimoine qu’un jour vous aussi devrez céder à une nouvelle génération. Travaillez avec générosité et dans la joie car Celui que vous servez est le Seigneur !

Les pointes des tours de
la cathédrale de saint Patrick sont largement dépassées par les gratte-ciel sur la ligne d’horizon de Manhattan ; cependant, dans le cœur de cette métropole affairée elles sont le signe vivant qui rappelle la nostalgie constante de l’esprit humain de s’élever vers Dieu. Au cours de cette célébration eucharistique, remercions le Seigneur car il nous permet de le reconnaître dans la communion de l’Eglise et de collaborer avec Lui, en édifiant son Corps mystique et en portant sa parole salvifique comme bonne nouvelle aux hommes et femmes de notre temps. Et lorsque nous sortirons de cette grande église, allons comme des hérauts de l’espérance au cœur de cette ville et dans tous les lieux où la grâce de Dieu nous a placés. L’Eglise en Amérique fera ainsi l’expérience d’un nouveau printemps dans l’Esprit et indiquera le chemin vers l’autre ville plus grande, la nouvelle Jérusalem, dont la lumière est l’Agneau (cf. Ap 21, 23), car Dieu est aussi en train de préparer un banquet de joie et de vie infinies pour tous les peuples. Amen.

© Copyright du texte original : Librairie Editrice du Vatican

Traduction réalisée par Zenit

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ZENIT Staff

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