GPA : nouvelle décision de la CEDH, analyse de l'affaire D et R c. Belgique

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Par Claire de La Hougue, docteur en droit, avocate

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Le 11 septembre 2014, la Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section) à l’unanimité a rejeté la requête d’un couple belge dans une affaire de gestation pour autrui (GPA). Le European Centre for Law and Justice (ECLJ) avait été autorisé à intervenir dans la procédure et avait soumis des observations à la Cour. Nous reprenons intégralement cette analyse de l’ECLJ.

***

M. D. et Mme R., âgés respectivement de 53 et 45 ans, eurent recours à une mère porteuse en Ukraine. Celle-ci mit au monde un garçon le 26 février 2013. Sur l’acte de naissance (ukrainien) de l’enfant, ils furent inscrits comme parents, sans mention de la gestation pour autrui. M. D. s’adressa à l’ambassade de Belgique à Kiev qui refusa de leur délivrer un passeport pour l’enfant au motif que les requérants n’étaient pas en mesure de présenter certains documents visant à établir sa filiation. Les requérants saisirent le juge des référés à Bruxelles lui demandant d’ordonner aux autorités belges de leur délivrer un titre de voyage pour permettre à l’enfant de venir en Belgique. Sans attendre sa décision, ils tentèrent un voyage par la voie aérienne, munis de l’acte de naissance ukrainien, mais la compagnie aérienne leur refusa l’embarquement.

 Le juge des référé déclara leur requête non fondée car la filiation n’était pas établie aux motifs d’une part que la maternité découle de l’accouchement, et d’autre part qu’aucune information n’avait été communiquée concernant la méthode de procréation ou le contrat de gestation, et les résultats du test ADN de paternité réalisé via un site Internet n’avaient aucune valeur probante « étant donné que la provenance des prélèvements analysés [n’était] d’aucune manière certifiée ».

Les époux D. et R. firent également une requête devant les autorités belges visant à faire reconnaître la validité de l’acte de naissance ukrainien. Cette procédure est encore pendante.

Le 25 avril 2013, les époux D. et R. rentrèrent en Belgique sans l’enfant. Le 31 juillet, la cour d’appel, considérant que la paternité biologique était apparemment établie, ordonna à l’Etat belge de délivrer un document permettant à l’enfant de venir en Belgique, où il arriva le 6 août 2013.

Les requérants soutenaient devant la Cour européenne des droits de l’homme que le refus des autorités belges de délivrer un document de voyage à l’enfant, ayant entraîné la séparation effective entre les requérants et l’enfant, a constitué un traitement inhumain et dégradant (art. 3) ainsi qu’une violation de leur droit à la vie familiale (art. 8). Ils ajoutaient que la séparation effective entre eux et l’enfant du fait du refus des autorités belges de délivrer un document de voyage avait rompu les relations entre un nourrisson âgé de quelques semaines et ses parents, ce qui aurait été contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant et au respect de la vie familiale des requérants et aurait constitué un traitement inhumain et dégradant, tant pour eux que pour l’enfant. Ils se plaignaient en outre de la longueur de la procédure nationale visant à permettre à A. de venir en Belgique qui, selon eux, aurait privé le recours d’effectivité (art. 13 et art. 6-1).

Sur la question du refus des documents de voyage, la Cour européenne constate que des faits nouveaux sont survenus depuis l’introduction de la requête – en l’espèce le laissez-passer délivré à l’enfant – et que le litige doit être considéré comme résolu. Elle décide donc de rayer du rôle cet aspect de la requête, malgré l’opposition des requérants.

La Cour examine ensuite la violation alléguée de l’article 8 de la Convention (droit au respect de la vie privée et familiale) du fait de la séparation temporaire entre l’enfant et les requérants. Elle se demande d’abord si l’article 8, protégeant le droit à une vie familiale normale, est applicable en l’espèce. Elle constate que les requérants souhaitaient s’occuper de l’enfant comme des parents depuis sa naissance et qu’ils ont entrepris des démarches afin de permettre une vie familiale effective. Depuis l’arrivée de l’enfant en Belgique, la Cour note que tous les trois vivent ensemble d’une manière qui, selon elle, ne se distingue en rien de la « vie familiale » prise dans son acception habituelle. La Cour estime que ces considérations suffisent pour établir que l’article 8 trouve à s’appliquer (§ 49) et que la séparation, due au refus des documents de voyage constitue une ingérence dans l’exercice de leur droit à la vie familiale, sans retenir le fait que la relation entre les requérants et l’enfant provenait d’une fraude à la loi.

Concernant le but légitime poursuivi, la Cour reprend un argument de l’ECLJ : l’ingérence était justifiée par des objectifs de prévention des infractions pénales, en particulier de lutte contre la traite des êtres humains, et par l’objectif de protéger les droits de la mère porteuse et, dans une certaine mesure également, les droits de l’enfant (§§ 52-53).

Sur la nécessité dans une société démocratique, elle rappelle d’abord que lorsqu’au sein des États membres du Conseil de l’Europe il n’y a de consensus ni sur l’importance relative de l’intérêt en jeu ni sur les meilleurs moyens de le protéger, la marge d’appréciation est relativement large, surtout lorsque sont en jeu des questions morales ou éthiques délicates (§ 54).

La Cour estime que, eu égard aux circonstances de l’espèce, ni la procédure en référé, ni la période de séparation effective entre les requérants et l’enfant ne sauraient être considérées comme déraisonnablement longues et que la Convention ne saurait obliger les États parties à autoriser l’entrée sur leur territoire d’enfants nés d’une mère porteuse sans que les autorités nationales aient pu préalablement procéder à certaines vérifications juridiques pertinentes. En outre, les requérants pouvaient raisonnablement prévoir la procédure, d’autant plus qu’ils étaient conseillés par un avocat belge et avaient consulté un avocat ukrainien et que les juridictions belges s’étaient déjà prononcées dans des affaires semblables. La Cour considère que l’État belge ne saurait être tenu pour responsable de la difficulté, pour les requérants, de séjourner en Ukraine plus longtemps, et constate que les requérants se sont déplacés régulièrement afin de passer du temps avec l’enfant sans être empêchés par aucune autorité. Enfin, le délai dans l’obtention du laissez-passer est, à tout le moins en partie, dû aux requérants eux-mêmes car ils n’avaient pas fourni les éléments nécessaires pour établir la filiation (§§ 58-62).

La Cour conclut que l’Etat belge a agi dans les limites de sa marge d’appréciation.

Le grief tiré de la violation de l’article 3 est aussi manifestement mal fondé. En effet, les requérants n’ont fait valoir aucun élément concret permettant de conclure que l’enfant aurait subi, pendant la période de séparation, un quelconque traitement dommageable (§ 70) et le seuil de gravité de l’article 3 n’a pas été atteint concernant les requérants.

Enfin, compte tenu des observations précédentes, elle rejette les griefs relatifs aux articles 13 et 6-1.

Cette décision a été adoptée à l’unanimité. Elle a le mérite non seulement de souligner que la GPA met en jeu des questions morales et éthiques délicates et qu’il n’y a pas de consensus sur l’importance relative de l’intérêt en jeu, mais surtout que la GPA présente des risque d’atteinte aux droits de la mère porteuse et de l’enfant ainsi que de traite des êtres humains.

Malheureusement, sans surprise, la Cour n’a pas dit clairement
que la GPA est intrinsèquement contraire à la dignité humaine et aux droits fondamentaux tant de la femme que de l’enfant. Indépendamment de la forte probabilité d’exploitation des femmes pauvres, la mère porteuse est traitée d’abord comme un instrument permettant la gestation, et comme une personne. Quant à l’enfant, il est l’objet d’un contrat. On dispose de lui, de son identité, de sa filiation, autrement dit on exerce sur lui un attribut du droit de propriété.

Cette décision a cependant une portée limitée. En effet, elle ne concerne que la question du délai d’obtention des documents de voyage, cause de la séparation entre l’enfant et les requérants. A la différence de la récente affaire Mennesson, elle n’aborde pas la question de la filiation, pour laquelle une procédure distincte est en cours en Belgique. Sans reconnaître légalement la gestation pour autrui, la Belgique l’admet au cas par cas, en reconnaissant la paternité biologique du père mandataire et en autorisant son épouse à adopter l’enfant. Reste qu’une des conditions habituellement demandées par la justice belge, à savoir la gratuité, n’est évidemment pas remplie en l’espèce.

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ZENIT Staff

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