France : une mobilisation entrée dans l'histoire

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Entretien avec Tugdual Derville

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Alors que le Sénat français vient de voter l’article premier du projet de loi qui instaure un mariage homosexuel assorti du droit d’adopter des enfants, une troisième manifestation nationale est annoncée à Paris pour le 26 mai 2013.

Tugdual Derville, délégué général d’Alliance VITA et porte-parole de la Manif pour Tous annonce une mobilisation dont « on en parlera encore dans un siècle » et la mise en place d’un mouvement pour « l’écologie humaine », « un courant de pensée au service de l’action ».

Zenit – Le gouvernement français semble décidé à ne pas plier : est-ce un bilan d’échec pour les grandes manifestations ? 

Tugdual Derville – L’exécutif a tout fait pour nous décourager, essayant de passer en force, sans véritable débat. Mais c’est la force de notre résistance qui s’est manifestée. Le projet de loi Taubira est véritablement en train de faire grandir un mouvement social historique, sans précédent dans notre pays, par la vitesse de son émergence, le nombre et la diversité de ses participants, et aussi sa ténacité paisible. Et c’est cela que nous allons démontrer le dimanche 26 mai 2013, par une grande manifestation le jour symbolique de la fête des mères. Déjà, la manifestation du dimanche 24 mars a stupéfait les observateurs : tous pronostiquaient un affaiblissement inéluctable de notre mouvement… Ce fut l’inverse. Pour le moment nous avons l’impression de nous heurter à un mur d’indifférence, voire de mépris. Spécialement depuis le rejet sans débat de notre pétition de plus de 700 000 citoyens par le Conseil Economique Social et Environnemental. Voilà une faute politique grave. Certains hommes de pouvoir croient que rien ne peut les ébranler, comme dans la fable « Le chêne et du roseau »… Jusqu’à ce qu’ils découvrent qu’ils ont été présomptueux.

Que pensez-vous pouvoir obtenir si ce n’est pas le retrait de ce projet ?

Tugdual Derville – C’est toujours notre objectif, et nous irons jusqu’au bout du processus législatif, et même au-delà. Le président de la République peut parfaitement revenir à la raison comme l’avait fait son prédécesseur François Mitterrand pour l’école libre, en 1984. Le sujet de 2013 est très différent car il n’est plus question des moyens financiers d’exercer une liberté familiale, mais de l’essence même de l’anthropologie. François Hollande ne peut que mesurer qu’à chaque grande manifestation, nous sommes rejoints par de nouvelles catégories de personnes. De plus en plus de citoyens ou de personnalités de gauche avouent leur réticence à soutenir un projet qu’ils savent individualiste et ultra-libéral, en réalité inégalitaire puisqu’il priverait certains enfants du droit à l’altérité sexuelle.

Le travail que nous faisons porte donc déjà des fruits magnifiques : sur le terrain, il y a des rencontres et des rapprochements improbables et prometteurs, notamment entre croyants et non-croyants ; les réseaux sociaux servent d’extraordinaires outils de « conscientisation » : ils ont joué un grand rôle pour contourner la « pensée unique » ou la censure implicite de certains grands médias… Tout cela génère une immense espérance. Les associations ont appris à travailler ensemble dans les collectifs départementaux qui foisonnent. Des personnes qui avaient baissé les bras se redressent en découvrant qu’ils ne sont pas seuls. La Manif pour tous est déjà une pépinière de talents. Personne, aucune cause, n’est capable de mobiliser ainsi… Nous assistons au réveil de la France. Et cela aura des conséquences à long terme, que ce soit sur cette loi – son application et ses suites – ou pour d’autres questions de société. Toute l’Europe est concernée comme si la France servait de détonateur à un nouveau mois de mai.

Certains parlent de la « grande illusion » : ce combat est-il une illusion ?

Tugdual Derville – C’est tout le débat entre efficacité et fécondité. Si nous nous limitions à nous indigner, à protester, il y aurait le risque d’une défaite ponctuelle, avec son lot de délitement, d’éparpillement voire de divisions… C’est la raison pour laquelle j’ai salué les 13 janvier et 24 mars la naissance d’un grand mouvement  d’écologie humaine. Ce sera un courant de pensée au service de l’action. Il doit se développer en profondeur, en complément du mouvement social de résistance au projet de loi. Car la question qui est posée à l’humanité est inédite, comme celle qu’a posée l’écologie environnementale à son émergence. Après avoir intégré à nos préoccupations l’avenir de la planète, pour que les générations futures puissent avoir accès aux ressources naturelles et à un environnement viable, nous devons nous préoccuper de l’essence de l’homme. L’altérité sexuelle, à la source de toute vie, est un bien précieux à reconnaitre, protéger et transmettre aux hommes qui naîtront. Il y a bien d’autres réalités que l’écologie humaine devra reconnaitre comme patrimoine commun de l’humanité. Il s’agit de promouvoir une culture de la vulnérabilité face à la culture de toute-puissance qui nie notre identité.  

Quand cette « écologie humaine » va-t-elle démarrer ?

Tugdual Derville – Avec l’économiste Pierre-Yves Gomez et le spécialiste de la gouvernance des crises écologiques Gilles Hériard Dubreuil, nous avons lancé ce courant au travers d’une tribune publiée le 21 mars 2013. Nous avons aussi lancé le site www.ecologiehumaine.eu et nous préparons des Assises de l’écologie humaine, avec un premier évènement avant l’été. Elles seront à la fois un lieu d’expression de convictions et un lieu de débats interdisciplinaires. De nombreuses personnes proposent déjà de contribuer, participer et s’engager.

Mais il faut agir avec patience, en privilégiant la profondeur, quitte à réinterroger intimement nos propres modes de vie pour que, dans tous les domaines, prendre soin « de tout l’homme, de tout homme » devienne notre priorité. A plus long terme, je suis persuadé que nous offrirons ainsi une alternative à la spirale libérale-libertaire où l’homme perd son identité, et sa liberté véritable… Comme l’écologie environnementale, l’écologie humaine est « métapolitique », au-dessus des partis.

« L’écologie humaine » est-elle liée aux sujets traités par Alliance VITA ?

Tugdual Derville – Oui, mais pas seulement. Nous pensons que le moment est venu de nous rapprocher de ceux qui ont un souci lucide de l’environnement, d’une gouvernance plus juste des entreprises, de protéger ceux qui vivent dans la misère, de la solidarité nord-sud etc.. Là, j’ai beaucoup à apprendre, même si mon engagement à A Bras Ouverts et chez les Petits frères des Pauvres m’a fait entrer depuis longtemps dans ce qu’on a coutume d’appeler la diversité, la mixité sociale et l’intergénérationnel. C’est en décloisonnant les sujets, en accueillant le « prophétisme » d’autres personnalités et d’autres mouvements, que nous sortirons de certains ghettos ou de visions étriquées. Ce dialogue a déjà commencé. Il est indispensable pour avoir une perception juste de « l’homme intégral ». Ceci dit, l’écologie humaine est aussi au cœur des débats actuels sur la recherche sur l’embryon (avec l’initiative européenne à signer www.undenous.fr) et la fin de vie, puis, ultimement, l’idéologie du transhumanisme qui constitue désormais une grande menace pour l’homme.

Que répondez-vous à ceux qui estiment que
le mouvement est entré dans une phase de radicalisation violente ?

Tugdual Derville – Ont-ils mesuré la foule du 24 mars ? Ont-ils conscience de la prouesse réalisée pour canaliser une telle foule, sans l’aide de la police ? Une foule exaspérée par l’arrogance du pouvoir.  Je suis par ailleurs extrêmement choqué qu’on nous reproche des faits-divers qui n’ont strictement rien à voir avec la Manif pour tous. Quant aux actions de rue qui se multiplient, il ne faut rien exagérer. Même si je n’approuve pas certains modes d’action – je pense à une mobilisation matinale devant le domicile privé d’un parlementaire – pourquoi les assimiler à une menace pour la démocratie ? Que tout cela reste non-violent, et respectueux des biens et des personnes ! Quand je constate la tolérance dont ont bénéficié les activistes d’Act up, je pense que le pouvoir a un peu de culot. Pour ma part, je redis à quel point la non-violence intérieure (c’est-à-dire éprouvée en conscience) reste à mes yeux notre plus grande force. Je la cultive dans les rencontres médiatiques avec nos adversaires de débat que je respecte avec bienveillance, ce qui n’enlève rien à nos convictions de fond.

Comment tenir la longueur quand on est père, mère de famille ? Quel est le ressort d’une telle mobilisation, jamais vue ?

Tugdual Derville – Le ressort de la mobilisation est très intime, viscéral. Et c’est cela qui explique tout… Prétendre effacer le repère de l’engendrement, c’est comme si on nous avait enlevé la liberté. Nous découvrons que ce dont on veut priver l’humanité est sans prix. Quand elle se sent attaquée dans ce qu’elle a de plus précieux, l’humanité manifeste des forces insoupçonnées, irrépressibles. Les organisateurs des manifestations et les manifestants ont déjà fait de lourds sacrifices. Ils se sont montrés courageux et tenaces. Je les exhorte à rester paisibles. C’est essentiel pour rejoindre les intelligences et les cœurs de nos contemporains qui ont soif de repères et de perspectives. Je crois que, tout naturellement, cette année restera dans nos familles comme celle d’une prise de conscience et d’un engagement… On en parlera encore dans un siècle.

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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