Entretien avec un évêque polonais qui a survécu aux camps de concentration

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Propos recueillis pour Zenit par Vladimir Redzioch

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ROME, lundi 3 mai 2004 (ZENIT.org) – On dirait que beaucoup de livres d’histoire semblent déjà avoir oublié la mort de 20% des 10.017 prêtres qu’il y avait en Pologne au début de la deuxième guerre mondiale (y compris cinq évêques), déplore un évêque polonais qui a survécu aux tortures du camp de concentration de Dachau.

Mgr Kazimierz Majdanski, archevêque émérite de Stettino-Kamien fut arrêté par les nazis alors qu’il était étudiant au séminaire de Wloclawek, le 7 novembre 1939, en compagnie d’autres étudiants et professeurs du séminaire. Il fut emprisonné à Sachsenhausen puis à Dachau.

A Dachau, il fut soumis à des expériences pseudoscientifiques. Après la guerre il poursuivit ses études à Fribourg, en Suisse. De retour en Pologne il fut nommé vice-recteur du séminaire, évêque auxiliaire de Wroclawek et archevêque de Stettino-Kamien.

Il participa aux sessions de travail du Concile Vatican II et en 1975 il fonda l’Institut d’Etudes sur la Famille à Lomianki.

Pour se souvenir du témoignage de ces hommes, l’Eglise catholique de Pologne célèbre chaque année, le 29 avril, la Journée du martyre du clergé polonais pendant la seconde guerre mondiale.

Le journaliste polonais Vladimir Redzioch a recueilli pour Zenit le témoignage de l’archevêque Majdanski.

V. Redzioch : Mgr Majdanski, pourquoi la Gestapo vous a-t-elle arrêté juste au début de la guerre ?

Mgr Majdanski : Je fus arrêté, en même temps que d’autres élèves et professeurs du séminaire car je portais la soutane. Les Allemands qui nous ont arrêtés ne nous ont pas demandé notre identité (ils l’ont fait après, en prison). On peut dire que j’ai été arrêté comme prêtre catholique.

V. Redzioch : Comment avez-vous vécu votre emprisonnement au camp de concentration de Dachau ?

Mgr Majdanski : A l’entrée du camp, il y avait un écriteau qui disait : « Arbeit macht frei » (Le travail rend libre). Mais en vérité le travail inhumain avec le froid l’hiver et la chaleur l’été, les rations de nourriture insuffisantes, les coups et les humiliations, avaient pour but de détruire l’homme.

A la fin, quand une personne n’était plus capable de travailler, elle était expédiée dans les chambres à gaz par les fameux « transports des invalides ». L’intention de ceux qui avaient construit les camps de concentration était que les prisonniers sortent du camp avec la fumée du four crématoire.

V. Redzioch : Vous vous trouviez parmi les prisonniers qui furent soumis à des expériences médicales…

Mgr Majdanski : Oui. A Dachau, un certain prof. Schilling faisait des pseudo expériences médicales. En pratique on expérimentait sur les prisonniers la réaction de l’homme aux différentes substances qui nous étaient administrées.

Avant d’aller me soumettre aux expériences j’avais demandé à mon professeur de séminaire de dire à mes parents que j’étais mort et je lui avais laissé mon « trésor », deux tranches de vieux pain.

C’est un vrai miracle que je ne sois pas mort. Le père Jozef Kocot, mon compagnon de cellule, un enseignant de philosophie du séminaire, est mort en silence en souffrant d’une manière indescriptible.

V. Redzioch : Que signifiait pour vous, prêtres, le camp de concentration ?

Mgr Majdanski : C’était pour nous comme si l’on était revenu au temps de Néron et Dioclétien, au temps de la haine envers le christianisme et tout ce qu’il représentait. Le camp de concentration était l’incarnation de la civilisation de la mort: ce n’est pas par hasard que les Allemands portaient des têtes de mort sur leurs uniformes!

Nos bourreaux maudissaient Dieu, méprisaient l’Eglise et nous appelaient les « chiens de Rome ». Ils voulaient nous obliger à proférer des blasphèmes contre la croix et le chapelet. En réalité nous n’étions pour eux que des numéros à éliminer.

Il nous restait l’alliance avec Dieu, la prière récitée en cachette, la confession faite en cachette. La sainte Eucharistie nous manquait terriblement. Dans cette « machine de mort » les prêtres étaient appelés au sacrifice de leur vie, à être fidèles jusqu’à la mort.

Le p. Stefano Frelichowski et le p. Boleslaw Burian créèrent une sorte d’alliance dont les membres s’engageaient à supporter de manière plus conforme à l’Evangile toutes les humiliations et les souffrances du camp, et à rendre compte de tout cela à la Vierge à 21 heures tous les soirs.

Lorsque l’épidémie du typhus éclata, le père Frelichowski se porta volontaire pour servir les malades. Il est mort en donnant sa vie pour les autres, comme saint Maximilien Kolbe (béatifié par le pape).

V. Redzioch : Vous avez vu mourir beaucoup de vos compagnons ?

Mgr Majdanski : La moitié des prêtres polonais emprisonnés à Dachau y sont morts. J’ai vu mourir beaucoup de prêtres de manière héroïque. Ils furent tous fidèles au Christ qui disait à ses disciples: « Vous serez mes témoins ». Ils mouraient comme prêtres catholiques et comme patriotes polonais.

Certains auraient pu se sauver mais aucun n’a essayé de pactiser. En 1942 les autorités du camp offraient aux prêtres polonais la possibilité de bénéficier d’un traitement spécial, à condition de déclarer leur appartenance à la nation allemande. Personne n’a accepté.

Lorsque le père Dominik Jedrzejewski, suite à quelques interventions auprès des autorités allemandes, se vit offrir la liberté à condition de renoncer à exercer son ministère de prêtre, il répondit sereinement : « Non ». Et il mourut.

Le martyre du clergé polonais pendant l’enfer nazi fut une page glorieuse de l’histoire de l’Eglise et de la Pologne. C’est dommage qu’un voile de silence soit tombé devant cette page d’histoire.

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ZENIT Staff

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