Entretien avec le pape Benoît XVI (II)

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ROME, Dimanche 20 août 2006 (ZENIT.org) – Nous reprenons ci-dessous le texte de l’entretien, publié par Radio Vatican, que le pape Benoît XVI a accordé à la télévision publique de Bavière, Bayerischer Rundfunk (ARD), à la chaîne de télévision publique allemande ZDF, à la chaîne d’information allemande Deutsche Welle, et à Radio Vatican. Voici la deuxième partie de cet entretien. Pour la première partie, cf. Zenit, 16 août.

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* * *

Q : Très Saint Père, parlons de vos voyages. Vous êtes au Vatican, cela vous coûte peut-être d’être un peu loin des personnes, coupé du monde, ici aussi dans le très beau cadre de Castelgandolfo. Mais vous allez avoir bientôt 80 ans. Pensez-vous, avec l’aide de Dieu, pouvoir faire encore de nombreux voyages? Avez-vous une idée de ceux que vous aimeriez faire? En terre Sainte, au Brésil? Avez-vous déjà décidé?

Benoît XVI : A vrai dire je ne suis pas si seul que cela. Naturellement il y a – pour ainsi dire – les murs qui rendent l’accès difficile, mais il y a une « famille pontificale », je reçois chaque jour de nombreuses visites, surtout quand je suis à Rome. Il y a les évêques qui viennent, il y a d’autres personnes, il y a les visites d’Etat, de personnalités qui veulent parler avec moi personnellement et non seulement de questions politiques. Dans ce sens il y a une multiplicité de rencontres qui grâce à Dieu me sont données sans cesse. Et il est aussi important que le siège du Successeur de Pierre soit un lieu de rencontre – n’est-ce pas? Depuis l’époque de Jean XXIII d’autre part, le pendule s’est déplacé aussi dans l’autre direction: les papes ont commencé à rendre visite eux aussi. Je dois dire que je ne me sens pas assez fort pour programmer de nombreux grands voyages, mais je voudrais aller là où je pourrai apporter un message ou – pour ainsi dire – répondre à un vrai désir ; je voudrais y aller, en « dosant » ce que je peux faire. Certaines choses sont déjà prévues: l’année prochaine au Brésil se déroulera la rencontre du CELAM, le Conseil épiscopal Latino Américain, et je pense qu’il est important que j’y sois dans le contexte actuel que l’Amérique du Sud vit intensément, et pour renforcer l’espérance qui est vive dans cette région. Puis je voudrais aller en Terre Sainte, et j’espère pouvoir la visiter en temps de paix, et pour le reste nous verrons ce que la Providence me réserve.

Q : Permettez-moi d’insister. Les Autrichiens parlent eux aussi l’allemand et ils vous attendent à Mariazell.

Benoît XVI : Oui, des accords ont été pris. Moi je l’ai tout simplement promis, d’une manière un peu imprudente. C’est un lieu qui m’a tant plu et j’ai dit: Oui, je reviendrai à la Magna Mater Austriae. Naturellement cela s’est transformé immédiatement en promesse, que je maintiendrai, et je le ferai volontiers.

Q : J’insiste encore. Je vous admire tous les mercredis, quand vous présidez l’audience générale. Il y a 50.000 personnes. Cela doit être fatigant, très fatigant. Vous arrivez à résister?

Benoît XVI : Oui, le Bon Dieu me donne la force nécessaire. Et quand on voit la cordialité de l’accueil, naturellement c’est encourageant.

Q : Très Saint Père, vous venez de dire que vous avez fait une promesse une peu imprudente. Entendez-vous dire que malgré votre ministère, malgré les nombreuses contraintes protocolaires, vous ne perdez pas votre spontanéité?

Benoît XVI : En tous les cas, j’essaye de ne pas la perdre. Parce que, même si les choses sont établies, je voudrais essayer de garder et de réaliser aussi quelque chose de purement personnel.

Q : Très Saint Père, les femmes sont très actives dans diverses fonctions dans l’Eglise catholique. Leur contribution ne devrait-elle pas devenir plus clairement visible, même à des postes de responsabilité plus élevés dans l’Eglise?

Benoît XVI : Sur ce sujet naturellement on réfléchit beaucoup. Comme vous le savez, nous considérons que notre foi, la constitution du collège des Apôtres, nous obligent et ne nous permettent pas de conférer l’ordination sacerdotale aux femmes. Mais il ne faut pas non plus penser que dans l’Eglise seuls les prêtres ont un rôle à jouer. Dans l’histoire de l’Eglise il y a eu de très nombreuses tâches et fonctions. En commençant par les sœurs des Pères de l’Eglise, pour arriver au Moyen-âge, lorsque de grandes femmes ont joué un rôle déterminant, et jusqu’aux temps modernes. Qu’il suffise de penser à Hildegarde de Bingen, qui protestait avec force contre des évêques et contre le Pape; à Catherine de Sienne et à Brigitte de Suède. Ainsi même à l’époque moderne les femmes doivent – et nous avec elles – chercher pour ainsi dire leur juste place. Aujourd’hui, elles sont bien présentes aussi dans les Dicastères du Saint Siège. Mais il y a un problème juridique: celui de la juridiction, c’est-à-dire le fait que selon le Droit Canonique le pouvoir de prendre des décisions juridiquement contraignantes est lié à l’Ordre sacré. De ce point de vue il y a donc des limites, mais je crois que les femmes elles-mêmes, avec leur élan et leur force, avec leur supériorité, avec ce que je définirais leur « puissance spirituelle », sauront déblayer le terrain. Et nous, nous devrions essayer de nous mettre à l’écoute de Dieu, afin de ne pas entraver ce mouvement, mais au contraire nous réjouir que l’élément féminin obtienne dans l’Eglise la place pleine d’efficacité qui lui convient, à commencer par la Mère de Dieu et par Marie Madeleine.

Q : Très Saint Père, depuis quelque temps on parle du nouvel attrait qu’exerce le catholicisme. Quels sont donc la vitalité et les possibilités d’avenir pour cette institution si ancienne?

Benoît XVI : Je dirais que déjà tout le pontificat de Jean Paul II a attiré l’attention des hommes et les a réunis. Ceux qui s’est produit à l’occasion de sa mort est historique, un événement unique: des centaines de milliers de personnes accourraient de manière disciplinée vers la Place saint Pierre, restaient debout pendant des heures, et alors qu’elles auraient dû s’effondrer elles résistaient sous une poussée intérieure. Et nous l’avons vécu à nouveau à l’occasion de l’inauguration de mon pontificat et puis à Cologne. Il est très beau que l’expérience communautaire devienne en même temps une expérience de foi, que l’on fasse l’expérience de la communauté non seulement dans un lieu quelconque, mais que cette expérience devienne plus vive et qu’elle donne au catholicisme son intensité lumineuse justement là où se trouvent les lieux de la foi. Naturellement cela doit se prolonger aussi dans la vie quotidienne. Les deux choses doivent aller de pair. D’une part, les grands moments, où l’on ressent qu’il est beau d’être là, que le Seigneur est présent et que nous formons une grande communauté réconciliée au-delà de toutes les frontières. Mais ensuite, il faut aussi savoir puiser l’élan nécessaire pour résister pendant les pèlerinages éprouvants de la vie quotidienne, et vivre en s’inspirant de ces moments lumineux, s’orienter vers eux, et savoir aussi inviter les autres à s’intégrer dans la communauté en marche. Mais je voudrais profiter de cette occasion pour dire que je rougis quand je pense à tout ce qui est fait pour préparer ma visite, à tout ce que les gens sont entrain de faire. Ma maison a été repeinte, une école professionnelle a refait la grille. Le professeur de religion évangélique a collaboré pour ma grille. Et ce ne sont que des petits détails, mais ils en disent long sur tout ce qui est fait. Je trouve que tout cela est extraordinaire, et je ne le rapporte pas à moi-même, je le considère comme l’expression d’une volonté d’appartenir à cette communauté de foi et de se servir les uns les autres. Faire preuve d’une telle solidarité et se laisser inspirer par le Seigneur: c’est quelque chose qui me touche et je voudrais dire merci de tout cœur.

Q : Très Saint Père, vous avez parlé de l’expérience communautaire. Vous venez en Allemagne pour la seconde fois déjà depuis votre élection. Avec la Journée Mondiale de la Jeunesse, et peut-êtr
e aussi d’une autre manière avec la coupe du monde de football, le climat en un certain sens a changé. On a l’impression que les allemands sont plus ouverts au monde, plus tolérants, plus joyeux. Qu’espérez-vous encore de la part des allemands?

Benoît XVI : Je dirais que la transformation intérieure de la société allemande et même de la mentalité allemande a déjà commencé avec la fin de la seconde guerre mondiale et s’est renforcée encore plus avec la réunification. Nous nous sommes insérés beaucoup plus profondément dans la société mondiale et naturellement nous avons été transformés aussi par sa mentalité. Et alors des aspects du caractère allemand dont les autres auparavant n’étaient pas conscients apparaissent au grand jour. Et nous avons peut-être un peu trop été décrits comme si nous étions tous toujours disciplinés et réservés ce qui n’est certes pas sans fondement. Mais si on voit maintenant un peu mieux ce que tous sont en train de voir, je trouve c’est bien: les allemands ne sont pas seulement réservés, ponctuels et disciplinés, mais ils sont aussi spontanés, gais, accueillants. Cela est très beau. Et voilà ce que je souhaite: que ces vertus se développent encore plus, et qu’elles puissent profiter de l’élan et du caractère durable que donne la foi chrétienne.

Q : Très Saint Père, votre Prédécesseur a proclamé un très grand nombre de bienheureux et de saints. Certains trouvent même que c’était trop. Voici ma question: les béatifications et les canonisations n’apportent à l’Eglise quelque chose de nouveau que si ces personnes peuvent être considérées comme de vrais modèles. L’Allemagne produit un nombre relativement faible de saints et de bienheureux par rapport à d’autres pays. Peut-on faire quelque chose pour que cette dimension pastorale se développe et pour que le besoin de béatifications et de canonisations donne de vrais fruits pastoraux?

Benoît XVI : Au début je pensai un peu moi aussi que le grand nombre de béatifications nous écrasait presque et que peut-être il fallait mieux choisir: des figures qui puissent pénétrer plus clairement dans nos consciences. Entre-temps j’ai décentralisé les béatifications, pour que, à chaque fois, ces figures soient plus visibles dans les lieux spécifiques de leur appartenance. Peut-être qu’un saint du Guatemala ne nous intéresse pas en Allemagne et vice versa un saint d’Altötting peut-être n’intéresse personne à Los Angeles et ainsi de suite, vous ne pensez pas? En outre je crois que cette décentralisation est en accord avec la collégialité de l’épiscopat, avec ses structures collégiales, et qu’elle est opportune justement pour bien montrer que chaque pays a ses propres grandes figures et que celles-ci sont plus efficaces dans leurs pays. J’ai par ailleurs noté que ces béatifications dans des lieux différents touchent d’innombrables personnes et que les gens se disent: «Enfin, un des nôtres! » et ils vont vers lui et ils s’en inspirent. Le bienheureux leur appartient et nous sommes heureux qu’il y en ait beaucoup. Et si petit à petit nous aussi, avec le développement de la société mondiale, nous apprenons à mieux les connaître, c’est bien. Mais avant tout il est important que la multiplicité soit présente aussi dans ce domaine et c’est pourquoi il est important que nous aussi en Allemagne nous apprenions à connaître nos propres grandes figures et à nous réjouir de les avoir. A côté de cela il y a les canonisations des plus grandes figures qui sont importantes pour l’Eglise tout entière. Je dirais que chaque Conférence épiscopale devrait choisir, voir ce qui est plus opportun, ce qui peut nous apporter réellement quelque chose et qu’elles devraient rendre ces figures plus visibles – il ne faut pas qu’il y en ait trop – des figures qui laissent des traces profondes. Elles peuvent le faire par la catéchèse, la prédication, on pourrait peut-être leur consacrer des films. J’imagine de très beaux films. Moi naturellement je ne connais bien que les Père de l’Eglise: un film sur Augustin, et un aussi sur Grégoire de Nizance et sa personnalité si particulière, sa façon de fuir sans cesse les responsabilités toujours plus grandes qui lui étaient confiées et ainsi de suite. Il faut essayer de réfléchir à tout cela: Il n’y a pas que les situations mauvaises auxquelles sont consacrés tant de films, il y a des figures merveilleuses de l’histoire, qui ne sont pas du tout ennuyeuses, qui sont très actuelles. Bref il faut essayer de ne pas trop peser sur les gens, mais de leur proposer les figures qui restent actuelles et dont on peut s’inspirer.

Q : Des histoires où il y ait aussi un peu d’humour? En 1989 à Munich vous avez été décoré du Karl Valentin Orden. Quel est le rôle de l’humour dans la vie d’un Pape, de la légèreté de l’être?

Benoît XVI : (en riant) : Je ne suis pas le genre d’homme qui a toujours une blague à raconter. Mais je trouve qu’il est très important de savoir cueillir les côtés amusants de la vie et sa dimension joyeuse et de ne pas tout prendre de façon tragique, et je dirais que cela est même nécessaire pour mon ministère. Un écrivain a dit que les anges pouvaient voler parce qu’ils ne se prennent pas trop au sérieux. Et nous, nous pourrions peut-être voler un peu plus, si nous ne nous donnions pas toujours de grands airs.

Q : Quand on a une responsabilité importante comme la vôtre, Très Saint Père, on est naturellement scruté à la loupe. On parle beaucoup de vous. Et j’ai été frappé de lire que certains observateurs trouvent que le Pape Benoît XVI est différent du Cardinal Ratzinger. Quel regard portez-vous sur vous-même, si je peux me permettre de poser cette question ?

Benoît XVI : J’ai déjà été sectionné plus d’une fois: le professeur de la première période, puis la période intermédiaire, puis les premiers temps du cardinalat puis la période suivante. Et maintenant une nouvelle section. Bien entendu, on est influencé par les circonstances, par les situations, par les hommes aussi, quand on recouvre des postes différents. Ma personnalité de base et aussi ma vision de base se sont développées, mais elles sont restées identiques dans tout ce qui est essentiel, et je me réjouis que l’on mette aujourd’hui en avant des aspects qui n’avaient pas été remarqués auparavant.

Q : Est-ce qu’on peut dire que votre rôle vous plait, que ce n’est pas un poids pour vous?

Benoît XVI : Ce serait aller trop loin, parce qu’en fait c’est fatigant, mais quoiqu’il en soit j’essaye de trouver de la joie là aussi.

Conclusion : En mon nom et au nom de mes collègues je vous remercie très sincèrement de ce colloque, de cette « première mondiale ». Nous nous réjouissons de votre prochaine visite en Allemagne, en Bavière. Au revoir.

(Traduit de l’allemand)

Castelgandolfo, le 5 août 2006

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ZENIT Staff

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