Elizabeth Montfort explique l'enjeu de la reconnaissance de l'héritage chrétien en Europe

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Entretien à Zenit

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ROME, mercredi 9 juin 2004 (ZENIT.org) – Elizabeth Montfort, Député Européen (PPE-France) et Conseillère régionale d’Auvergne, explique dans cet entretien accordé à Zenit quel est l’enjeu de la reconnaissance explicite du patrimoine chrétien de l’Europe dans le traité constitutionnel de l’Europe. Si cette référence à notre héritage chrétien est rejetée, « cela aurait pour conséquence de remettre en cause les droits de l’homme », affirme-t-elle.

Zenit : Une référence de type religieux a-t-elle sa place dans un traité international ?

E. Montfort : Cette question mérite d’être posée car cette référence n’a jamais été demandée pour les autres traités européens.
Le futur Traité européen n’est pas de même nature : son objectif est d’organiser l’Union européenne à 25 membres (puis 27 ou 30) mais de plus c’est un traité constitutionnel, c’est à dire fondateur de la nouvelle Europe, l’Europe réunifiée. Or nous constatons dans la très grande majorité des constitutions nationales des Etats membres, une référence explicite ou implicite à Dieu.
Nous, nous demandons une référence à « l’héritage chrétien » de l’Europe.

Zenit : Les dispositions de droit positif incluses dans le projet, qui garantissent la liberté religieuse et le statut des Eglises, ne sont-elles pas satisfaisantes ?

E. Montfort : Vous citez l’article 51 du projet de constitution. Il s’agit de la reconnaissance juridique des Eglises telle qu’elle existe dans les Etats membres. C’est un article capital qui, outre le statut des Eglises, reconnaît la nécessité d’un dialogue régulier avec elles et les communautés de croyants. Ce point concerne le présent et l’avenir des relations entre les institutions européennes et les Eglises. Mais cet article ne suffit pas pour définir l’identité de l’Europe et son rôle pour les européens et le monde. Or l’identité de l’Europe ne peut se concevoir sans un regard de vérité sur notre histoire.

Zenit : Certains prétendent que la référence chrétienne constituerait une atteinte à la laïcité des institutions…

E. Montfort : Nous sommes tous attachés à la laïcité des institutions européennes et à la séparation Eglises/Etat.
Le Préambule tel qu’il est rédigé indique nos héritages culturels, religieux et humanistes. Personne n’y a vu une atteinte à la laïcité. De même, préciser l’héritage chrétien parmi les héritages religieux ne remettrait pas en cause cette laïcité mais serait une reconnaissance de la source principale, mais non exclusive, des valeurs reconnues et partagées par tous les Européens, telles qu’exprimées par l’article 2 du projet de Traité. (art 2 : L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’état de droit, ainsi que de respect des droits de l’Homme. Ces valeurs sont communes aux Etats membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la tolérance, la justice, la solidarité et la non-discrimination).

Zenit : La reconnaissance de l’héritage chrétien dans le traité européen ne serait-elle pas une revendication abusive et illusoire, compte tenu des pratiques religieuses réelles ?

E. Montfort : Si nous considérons l’Europe occidentale, il est vrai que la pratique religieuse a terriblement diminué même si dans ces pays 70% de la population se disent « croyants ». Mais n’oublions pas les pays d’Europe centrale et orientale qui, en se libérant du joug communiste, ont retrouvé la liberté de culte ; chez eux, la pratique religieuse concerne la très grande majorité. De plus ce n’est pas seulement une question de pratique religieuse. Nos racines chrétiennes ont façonné notre civilisation commune : notre système de valeurs, notre morale, le respect de l’être humain, la place de la femme dans la société, le principe de subsidiarité, notre souci de solidarité envers les plus démunis…

Zenit : La reconnaissance de l’héritage chrétien exclusif ne bloquera-t-elle pas l’intégration de pays candidats à l’adhésion qui ne s’y reconnaissent pas comme la Turquie ?

E. Montfort : Il ne s’agit pas d’une reconnaissance exclusive puisque nous demandons l’ajout suivant : « s’inspirant des héritages culturels, religieux, notamment chrétien, et humanistes dont les valeurs toujours présentes dans son patrimoine, ont ancré dans la vie de la société le rôle central de la personne humaine et de ses droits inviolables et inaliénables, ainsi que le respect du droit,… » C’est la question de l’identité de l’Europe et de notre civilisation européenne qui porte la marque indélébile de l’héritage chrétien dans de nombreux domaines : l’art, l’architecture, la philosophie, le droit, la littérature… en un mot : notre conception de l’homme et de sa dignité.
En se réunifiant, l’Europe est passée d’un espace économique, financier et administratif à une communauté de valeurs. L’Europe n’a pas à se définir par rapport à d’éventuels nouveaux pays membres (en l’occurrence la Turquie) mais par rapport à ce qu’elle est.

Zenit : Est-ce-que vous pouvez nous donner des exemples concrets de ce qui pourrait se passer, dans la vie de tous les jours, si la référence chrétienne est rejetée ?

E. Montfort : Si cette référence à notre héritage chrétien est rejetée c’est une rupture avec notre histoire commune, faite de guerres, de tensions mais aussi de paix et de coopération. Ce serait aussi une rupture avec les pères fondateurs de l’Europe : Monet, Schumann, Gasperi, Adenawer… pétris d’humanisme et d’anthropologie chrétienne. Ce serait enfin rejeter le legs de nos aînés. Car cet héritage chrétien est un trésor, reçu de nos pères, que nous voulons transmettre à nos enfants et aux générations futures. Au non de quoi la solidarité, le respect de tout homme, la justice, la liberté et la paix ? Une société ne peut se construire sur des normes abstraites, imposées par une bureaucratie sans visage.
Ce serait refuser définitivement que l’Europe soit une communauté de valeurs. Cela aurait pour conséquence de remettre en cause les droits de l’homme alors que nous en voyons déjà les dérives. Notre héritage chrétien nous a donné le sens de la personne, ouverte à autrui et à la transcendance.
Les droits de la personne sont universels et protègent ce qui est commun à toute l’humanité : la dignité de tout être humain, alors que les droits des individus sont une reconnaissance d’intérêts particuliers et communautaristes.
Bien sûr, l’Union européenne continuera à voter des directives qui, sur le plan concret, donnera l’apparence que l’homme est au centre des décisions. Cependant, c’est sur les questions de société que l’absence de cette référence aura des conséquences et déjà, nous en voyons les prémices : financement de la recherche sur les embryons humains, difficulté à reconnaître la famille comme cellule fondatrice de la société, ouverte à la vie, reconnaissance des mêmes droits aux couples mariés et aux couples homosexuels…

Zenit : Combien de signatures demandant la mention de l’héritage chrétien dans la constitution ont été recueillies ? Pensez-vous que cela ait un impact ?

E. Montfort : En un an nous avons recueilli plus d’un million de signatures ainsi que le soutien d’une cinquantaine d’ONG, représentant 55 millions de membres.
C’est une première dans l’histoire de l’Europe. C’est la seule question qui ait fait l’objet d’un élan populaire. Aucune priorité retenue par la Présidence irlandaise, en vue de l’adoption du Traité constitutionnel, n’a été soutenue par autant d’européens. Les chefs d’Etat et de Gouve
rnement ne peuvent rester indifférents. Cette pétition populaire, ainsi que les nombreux colloques et conférences de presse organisés au Parlement Européen auront permis de maintenir la question dans l’actualité, alors que beaucoup d’hommes politiques pensaient que ce point était clos avec les travaux de la Convention.
Enfin, forts du succès de la pétition (le projet de Traité reconnaît le droit d’initiative populaire, à condition qu’une question soit signée par un million d’européens –art 46-al-4) annoncé le jour même de la réunification de l’Europe, le 1er mai 2004, sept chefs d’Etat ont envoyé une lettre à la Présidence irlandaise pour faire de cette référence une priorité.
Bien sûr, une inscription dans le Préambule ne suffit pas : il faut que les décisions de l’Union Européenne soient fidèles à notre héritage chrétien. La référence à pour but de nous le rappeler.

Pour terminer, je voudrais citer Rocco Buttiglione, Ministre italien des affaires européennes et ancien député européen : « si nous n’avons pas cette référence, nous savons que nous avons déjà gagné dans les cœurs et les esprits ».
Oui, cet élan populaire, venu de tous les pays d’Europe nous aura permis de prendre conscience que notre héritage commun c’est l’héritage chrétien et c’est en lui restant fidèle que nous pourrons construire l’Europe de la paix, de la liberté et de la justice, l’Europe ou chaque homme est aimé et respecté.

Elizabeth Montfort est auteur de « Dieu a-t-il sa place en Europe ? » (dir.) (Liberté Politique- FX de Guibert, 2003) et administrateur de la Fondation de service politique.
Pour tout renseignement sur la pétition de demande de reconnaissance de l’héritage chrétien dans le Traité constitutionnel de l’Europe, cf. http://www.libertepolitique.com/public/initiatives/petition.php.

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ZENIT Staff

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