Education et nouvelle évangélisation selon la vision pastorale de Jean-Paul II

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« Education et nouvelle évangélisation »

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« Éducation et nouvelle évangélisation selon la vision pastorale de Jean-Paul II »: c’était le thème de cette intervention du Père Jean-Marc Barreau (IVD), Docteur en théologie (PH.D), de Montréal, au Canada, ce samedi 1er février, lors du colloque organisé à Rome par la communauté de l’Emmanuel (31 janvier-2 février), sur le thème: « Education et nouvelle évangélisation ».

Ce colloque en est à sa 7e édition. Il est organisé en collaboration avec l’Institut pontifical Redemptor Hominis, qui dépend du Latran, l’Institut universitaire Pierre Goursat (IUPG) et les Associations familiales catholiques (AFC).

Parmi les intervenants, des personnalités de la curie romaine, dont le secrétaire du Conseil pontifical pour la famille, Mgr Jean Laffitte, Mgr Vincenzo Zani, secrétaire de la congrégation pour l’éducation catholique, le président du Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation, Mgr Rino Fisichella, mais aussi notamment le recteur de l’université du Latran, Mgr Enrico Dal Covolo, et Mgr Pascal Ide, secrétaire général de l’IUPG.

A.B.

Education et nouvelle évangélisation selon la vision pastorale de Jean-Paul II

1. Introduction 

De prime abord, la théologie de Jean-Paul II ne semble pas établir un lien explicite entre le thème de l’« éducation » et celui de la « nouvelle évangélisation ». Le legs du Pasteur polonais à l’humanité est celui d’une vision pastorale sculptée, dynamisée, unifiée par l’urgence de faire entrer l’Église dans le XXIe siècle. L’introduction de sa première Encyclique Redemptor Hominis confirme notre dire : « Le moment où Dieu m’a confié, dans son dessein mystérieux, le service universel lié au Siège de Pierre à Rome, est déjà bien proche de l’an 2000. »     

Cependant, si nous définissons sommairement le concept d’éducation à partir de son étymologie comme une action pour guider hors de, terme dérivé de l’expression latine ex- ducere, et si parallèlement, nous prenons en compte le contenu théologique du concept de nouvelle évangélisation, un certain nombre de liens apparaissent clairement entre les deux thèmes. Ce sont eux qui justifient cette prise de parole comme d’ailleurs l’article qui en découlera. 

2. La nouvelle évangélisation sous le pontificat de Jean-Paul II 

L’ouvrage à sortir chez Salvator en mars 2014 sur « Jean-Paul II, Le Saint de la nouvelle évangélisation 20141 » définit le concept de nouvelle évangélisation à partir de la vision pastorale de Jean-Paul II autour de quatre piliers théologiques fondamentaux. Deux retiennent ici notre attention. Le premier regarde l’ancrage de la théologie de la nouvelle évangélisation dans le mystère de la personne du Christ, Jean-Paul II insistera sur la nécessité de Repartir du Christ. Le second regarde le soubassement anthropologique ou philosophique au dit concept, Jean-Paul II parlera de métaphysique de l’acte.

2.1 Repartir du Christ 

C’est bien l’ensemble du pontificat de Jean-Paul II qui serait à analyser autour de ce thème : Repartir du Christ. Le pape y précise le concept de nouvelle évangélisation comme un renouveau de l’engagement de l’Église enrichie du contenu théologique et spirituel du concile Vatican II. C’est celui de chaque baptisé, repartant de la personne du Christ à l’exemple de « Jean-Paul II, Le Saint de la nouvelle évangélisation ». De surcroît, ce concept de nouvelle évangélisation pose la question du réalisme de l’acte de foi quand la postmodernité se définit notamment par un relativisme idéologique invétéré, présent au cœur de nos sociétés occidentales telle une encre noire imprégnant un buvard, nous y reviendrons.   

En 2001, le pape Jean-Paul II publiait la Lettre apostolique Novo Millennio Ineunte (NMI). Écrite à la clôture du Jubilé de l’An 2000 dans une référence constante à l’esprit du concile Vatican II, cette Lettre s’impose par un contenu théologique que nous pourrions très aisément résumer autour de notre thème annoncé : Repartir du Christ. Ce sont pourtant, ensemble, ses quatre grandes parties ─ La rencontre avec le Christ comme héritage du grand Jubilé. Un visage à contempler. Repartir du Christ. Témoin de l’amour ─ qui nous la font considérer comme une charte de la vie chrétienne et qui nous permettent d’y reconnaître les liens latents essentiels entre éducation et nouvelle évangélisation.

La première partie de la Lettre considère chaque aspect du vécu du Jubilé à la lumière de la rencontre avec le Christ. En d’autres termes, cette rencontre avec la personne du Christ ouvre à un nouveau regard sur la vie, sur l’Église, sur le monde et sur soi-même. 

Sa seconde partie exhorte à la contemplation du Christ. « C’est vers le Christ ressuscité que désormais l’Église a les yeux fixés. Elle le fait en suivant les traces de Pierre, insiste Jean- Paul II, lequel versa des larmes après son reniement, et reprit son chemin en manifestant son amour au Christ, dans une appréhension parfaitement compréhensible : Tu sais bien que je t’aime (NMI 28). » 

Sa troisième partie aborde la thématique visée : Repartir du Christ. Elle se distingue par l’insistance à ce que les chrétiens acquièrent une attitude conforme à leur vocation et choisissent un programme de vie qui soit en cohérence avec celle-ci. En fait, l’attitude à acquérir jaillit de la certitude que le Christ est « avec nous tous jusqu’à la fin du monde (NMI 29) » et implique un programme de vie ad hoc. Jean-Paul II le suggère point par point : La sainteté (NMI 30), La prière (NMI 32), L’Eucharistie dominicale (NMI 35), Le sacrement de réconciliation (NMI 37), Le primat de la grâce (NMI 38), L’écoute et l’annonce de la Parole (NMI 39-40). 

La quatrième et dernière partie de la Lettre ouvre cette charte de vie au témoignage, il s’agit d’être des témoins de l’amour. Jean-Paul II y affirme notamment l’urgence de faire de « l’Église, la maison et l’école de la communion : tel est le grand défi qui se présente à nous dans le millénaire qui commence, si nous voulons être fidèles au dessein de Dieu et répondre aussi aux attentes profondes du monde, insiste-t-il (NMI 43). »

De la rencontre à la contemplation, de cette exigence évangélique à Repartir du Christ jusqu’à devenir des témoins de son amour, la structure de cette Lettre dessine parfaitement l’archétype de la nouvelle évangélisation selon la vision pastorale de Jean-Paul II : « un élan renouvelé pour notre vie chrétienne (NMI 29). » Et puisque la nouvelle évangélisation concerne l’Église et chaque croyant, cet archétype s’applique directement à l’éducation. Éduquer, comme une action de guider hors de, exige donc d’apprendre à l’autre cette intelligence de la rencontre, cet amour de la contemplation, cette audace de repartir concrètement du Christ jusqu’à retenir un programme d’action dans un réalisme qui exige d’aller jusqu’au bout du témoignage. Le témoignage devenant l’indicateur par excellence d’une éducation intégrée.    

Pour autant, cet archétype peut et doit être revisité sur le plan humain comme il se propose sur le plan chrétien. N’y-a-t-il pas une éducation chrétienne et une éducation humaine ? Pour rendre compte de cette double dimension qui devrait caractériser toute l’éducation, il est nécessaire d’aller puiser chez Jean-Paul II dans le second pilier marqueur de la nouvelle évangélisation les aspects essentiels de sa métaphysique de l’acte. Deux ouvrages majeurs se présentent à nous : « Personne et acte 2 » et « Aux Sources du renouveau 3. »  

2.2 Métaphysique de l’acte 

Au risque de brûler quelques étapes qu’il serait nécessaire de développer si nous étions dans un milieu académique, cet expo
sé considère comme un présupposé ce que notre ouvrage « Jean-Paul II, Le Saint de la nouvelle évangélisation » prend le temps d’expliciter : l’œuvre de Karol Wojtyla est celle d’un pasteur avant d’être celle d’un philosophe. En d’autres termes, c’est comme Pasteur que Jean-Paul II pose un regard sur l’humain et donc sur le corps, sur la famille, sur la politique et sur l’éducation. Tout en justifiant les apories qui traversent son anthropologie, cette affirmation nous conduit à nous poser cette question : quel archétype sur l’éducation humaine peut-on dégager ou déduire de cette vision du Pasteur sur l’Église ? Attention, il ne s’agit pas de faire une philosophie de l’éducation à partir de sa vision pastorale, il est question ici de reconnaître ce qui dans sa vision de Pasteur assume une dimension humaine à l’éducation. Pour répondre à cette question, retenons cette affirmation de Jean-Paul II tirée de Aux Sources du renouveau : « L’éducation chrétienne doit servir aux chrétiens, afin qu’ils deviennent chaque jour plus conscients du don de la foi ; elle doit donc servir à l’enrichissement de la foi. Il faut que cet enrichissement se fasse dans le sens de la participation définie par le concile, grâce à laquelle le chrétien se retrouve lui-même dans le Christ, qu’il redécouvre alors, comme il redécouvre sa mission en soi, dans les dimensions de sa propre vie et dans sa propre vocation 4. »

De cette affirmation, trois éléments attirent notre attention et deviennent essentiels à notre exposé. Si l’éducation doit servir l’enrichissement de la foi, c’est que l’éducation qualifie structurellement la personne à trois niveaux : celui quoi consiste à « repartir » de la personne du Christ, celui qui est de se « retrouver » dans le Christ et, enfin, celui qui se résume dans le fait de se « dévoiler » à soi-même sa propre vocation.

Une mise en parallèle de ces trois niveaux avec la structure de la Lettre apostolique Novo Millennio Ineunte permet d’affirmer que l’archétype suggéré par le Pasteur sur la nouvelle évangélisation offre trois étapes essentielles à toute éducation humaine et chrétienne : « repartir » ; « retrouver » ; « dévoiler ». 

Repartir 

Si nous reprenons le concept d’enrichissement de la foi tel que développé par Karol Wojtyla dans Aux sources du renouveau, il me semble que nous pouvons définir le verbe « repartir » comme une expérience de rencontre analogue à celle de la foi. Le verbe repartir définit alors le fondement de toute éducation, comme d’ailleurs celle de toute rééducation. 

Fondamentalement, l’éducation exige de faire l’expérience de l’autre, de repartir de l’autre grâce à cette transformation intérieure qui permettra progressivement ce passage hors de… Sur le plan métaphysique, l’introduction de Personne et acte donne raison à ce fondement éducatif. Citons : « L’homme ne fait jamais l’expérience de quelque chose hors de lui sans faire d’une certaine façon l’expérience de lui-même dans cette expérience5. » Et c’est cette nouvelle expérience de lui-même qui lui permettra de repartir, ou de partir tout simplement… Cette expérience est celle de l’autre, d’autrui, du mentor ou du modèle, du saint ou du frère en Jésus-Christ, ultimement de Jésus-Christ.   

Retrouver (Se) 

Dès lors, nous comprenons que faire l’expérience de l’autre est essentiel dans l’éducation. Le connais-toi toi-même de Delphes repris par Socrate prend ici une force particulière puisqu’il s’agit de se connaître à partir de l’autre. Et de repartir, fort de la cette nouvelle conscience de ce que je suis puisée dans l’expérience d’altérité. La rencontre révèle, elle transforme, elle change, elle sculpte et elle éduque profondément la personne. C’est donc cette expérience qui permet à la personne de se « retrouver », pour ne pas dire de se découvrir. Jean-Paul II use de ce deuxième verbe au sujet du Christ, mais il me semble que nous pouvons aussi l’appliquer à la dimension humaine de l’éducation. Il faut comprendre alors qu’il y a deux lieux de retrouvailles. 

En l’autre premièrement, lequel m’éduque, à son insu ou non. C’est la raison pour laquelle l’éducateur est souvent adulé par ses protégés. 

En moi, deuxièmement, où progressivement j’intègre les valeurs ou l’enseignement reçu jusqu’à me retrouver en moi-même. 

En termes métaphysiques, ce sont deux modes de retrouvailles avec soi que Karol Wojtyla tient à sauvegarder. Les deux relèvent de la métaphysique de la puissance et de l’acte et induisent simultanément un rapport existentiel au devenir. L’éducation se joue dans cette double retrouvaille ─ en l’autre et en soi ─ par laquelle la personne se construit. Karol Wojtyla présente cette réalité en disant que « la puissance et l’acte se réfèrent à deux états de l’être (…) et que le passage de la puissance à l’acte, autrement dit l’actualisation, est un passage dans l’ordre de l’existence qui exige un devenir6. » 

Ce sera tout le génie de l’éducateur que de savoir accueillir la personne quand elle est au stade de se retrouver en lui … et de s’effacer, quand la même personne a acquis suffisamment d’autonomie pour se retrouver … en elle-même.  

Dévoiler 

C’est uniquement dans cette autonomie acquise que le dernier verbe prend tout son relief : « dévoiler ». Qu’il s’agisse d’une vocation humaine ou chrétienne, l’éducation consiste à ce que chacun découvre ce à quoi il est appelé et ce, à partir de ce qu’il est profondément. En des mots savants, Karol Wojtyla affirme qu’« étant agent de l’acte, l’homme s’accomplit en même temps lui-même en lui. S’accomplit, c’est-à-dire réalise, porte pour ainsi dire à sa plénitude propre cette structure qui est pour lui caractéristique du fait de son caractère personnel, du fait qu’il est quelqu’un et pas seulement quelque chose. C’est là la structure d’automaître et d’autodétermination 7. » 

L’éducateur est donc ce partenaire de route qui permet à celui que la vie lui donne de rencontrer de « repartir », de se « retrouver », de se « dévoiler » à lui-même ce qu’il est vraiment …       

3. Trois liens à retenir 

Nous sommes partis de la vision pastorale postconciliaire de Jean-Paul II au lendemain du jubilé de l’An 2000 et en avons retenu quelques aspects théologiques et anthropologiques. Ensemble, ils ne dessinent que trop sommairement l’archétype de la vision du Pasteur sur l’Église, sur la nouvelle évangélisation et sur la personne. En ce sens, cet archétype peut servir de canevas pour établir une vision humaine et chrétienne sur l’éducation. Trois verbes ont été retenus : « Repartir » ; « Retrouver » ; « Dévoiler ». Mais parce que cette vision est appelée à s’arrimer à notre culture d’aujourd’hui, il nous faut clairement distinguer la modernité… celle que nous avons laissée dernière nous depuis quelques décennies, de la… postmodernité, celle qui nous accompagne dans les enchevêtrements de ce début du nouveau millénaire.      

Le frère Thierry-Dominique Humbrecht distingue la modernité et la postmodernité par trois caractéristiques établies autour de l’articulation chez la personne entre volonté et intelligence. Ainsi, la modernité qui ne date pas d’hier8 se démarque sous le rapport de l’intelligence premièrement par « la primauté conférée à la raison, donc à l’universalité des valeurs déterminées par cette raison et par elle seule, au besoin sans Dieu ; deuxièmement, par la croyance au progrès, vue optimiste de l’histoire de l’humanité ; troisièmement, par la distinction croissante de la raison et de la religion, puisque celle-ci est perçue comme une marâtre dont la raison doit se débarrasser 9. » 

La
même modernité se démarque sous le rapport de la volonté premièrement par « ce désir de communauté humaine (…) bien que la raison suscite aussi un désir d’individualisme ; deuxièmement, par le fait de vouloir un but, par exemple une société plus juste ; troisièmement, par l’engagement de la liberté sur le long terme et la construction de l’homme 10. »

La postmodernité, quant à elle, fait suite à cette structure moderne du monde. Mais elle « inverse et renverse » la modernité tout en en demeurant « héritière. » 11 Dès lors, toujours au regard de l’articulation entre l’intelligence et la volonté, deux éléments fondamentaux la définissent : 

« La raison se fissure, l’esprit postmoderne ne croit plus guère à la force d’un argument ni à l’universalité de la vérité 12. » 

La volonté est particulièrement fragilisée, il s’agit d’« un temps de faiblesse de la volonté où au dynamisme communautaire succède la considération des conditionnements, sociaux aussi bien que psychologiques 13. » C’est sur cette toile de fond qu’il nous faut revisiter nos trois verbes. 

3.1 Repartir 

Repartir du Christ disait Jean-Paul II. Ce thème n’ouvre pas la porte à une univocité religieuse quelconque. Sous l’angle de l’éducation, il faut comprendre que pour palier à ces maux qui traversent la postmodernité et qui rongent la structure même de la personne ─ la coopération entre son intelligence et sa volonté ─, il faut à tout prix retrouver ce réalisme de l’autre… Repartir de l’autre ! Cet autre peut être le Christ quand il s’agit d’une éducation chrétienne, mais cet autre peut être ce leader rencontré, ce mentor connu, cet éducateur de rue, ce parent ou ce grand parent. 

Si l’éducation se définit comme un passage hors de…, le réalisme de la rencontre s’impose, lui, comme ce qui permet un nouveau départ, ce repartir. C’est l’autre qui interpelle la volonté et le besoin de la qualifier par les vertus qui lui sont propres. C’est l’autre qui éveille l’intelligence et le besoin de la qualifier par les habitus qui l’ennoblissent.                                                         </p>

Simple considération, de fait. Pourtant, dans une culture où les rencontres ne se réalisent que trop souvent sur Facebook et où les informations, même les plus importantes, circulent en « tweetant », éduquer l’intelligence et la volonté par le réalisme de la rencontre semble bien se présenter en postmodernité comme une urgence. 

Il faut ajouter le fait que le concept d’enrichissement de la foi développé par Karol Wojtyla offre la même exigence. Peut-on prétendre éduquer à la vie chrétienne, si l’intelligence ne vient pas qualifier le réalisme de la foi et si la volonté ne coopère pas avec la charité ? 

3.2 Retrouver 

Nous avons mentionné le fait que pour se retrouver, que pour se découvrir, il fallait distinguer deux lieux de retrouvailles, le premier en l’autre, le second en soi. Le mensonge de la postmodernité consiste à penser que nous pouvons nous retrouver et nous découvrir… sans l’autre ! 

La concrétude qui caractérise l’anthropologie wojtylienne rectifie ce leurre en montrant qu’il n’y a pas de connaissance et donc pas de transformation de soi sans cette retrouvaille en l’autre. Il n’y a donc pas d’éducation possible sans ce premier mode d’apprentissage. Le connais-toi toi-même de Socrate est vrai à une seule condition : qu’il s’enracine dans ce rapport à l’autre. L’autonomie qui marque la fin de tout processus d’éducation ne consiste pas en une coupure à l’égard de celui par lequel je me suis retrouvé ─ ce serait considérer l’autonomie uniquement sur le plan psychologique ─, l’autonomie qui définit le passage à l’âge adulte consiste en une double inversion. 

La première inversion est celle où je suis capable de me retrouver en moi-même avant de me retrouver en l’autre. Cette première inversion marque ce que nous pourrions appeler l’intériorité de la personne adulte. La seconde inversion consiste au fait que contrairement à l’éducation, ici l’intelligence prévaut sur la volonté. Je m’explique : dans l’éducation, la volonté prime ─ d’où l’importance de l’aspect affectif ─ alors que dans la vie de l’adulte, c’est l’intelligence qui prend le pas sur la volonté … car c’est l’intelligence qui structure le devenir de la personne.               

3.3 Dévoiler 

Nous avons compris que l’éducation exige ce réalisme qui consiste à partir ou à repartir de l’autre, ce qui provoque ces retrouvailles en l’autre. Cette dynamique vitale a pour effet direct de dévoiler au jeune, à chaque personne, ce à quoi il est appelé. Dans la Lettre apostolique Novo Millennio Ineunte, Jean-Paul II parle de vocation. L’éducation consiste donc à permettre à chacun de découvrir sa vocation humaine et sa vocation chrétienne, ce vers quoi il veut aller fort de son autonomie acquise et reçue. 

Cette notion de dévoilement nous pousse donc à nous tourner vers l’éducateur. Nous pourrions le définir comme celui qui dévoile à autrui, au jeune qui lui est confié, ce qu’il est déjà en puissance. Personne et acte nous apprend que ce qui est dévoilé est déjà là tapi en attente dans le mystère de chaque personne ! L’éducateur est donc un serviteur de la croissance de celui qui lui est prêté pour un temps. Lui-même, d’une certaine manière, est appelé à repartir dans cette expérience de l’autre, appelé à se retrouver et à se dévoiler à lui- même ce qu’il est déjà. Réduire sa personne à son rôle d’éducateur, c’est prendre le risque de ne pas respecter l’autre comme personne parce qu’il ne se respecte pas lui-même comme personne.      

4. Conclusion 

Le « postchristianisme14 » caractéristique de la postmodernité, s’infiltre dans la structure même de la personne, la réduisant à un amas de relations qui de plus sont souvent fictives car numériques. 

Si la nouvelle évangélisation se présente à l’Église et au monde comme cette présence insistante du Christ, c’est pour que l’Église postconciliaire soit « Experte en humanité »  ─ Du pape Paul VI, dans sa Lettre encyclique Populorum progressio (no 13) ─. 

Elle le sera, et ses éducateurs aussi, si elle approfondit ce réalisme de la rencontre. Présenter l’archétype de la nouvelle évangélisation et de l’éducation autour des verbes de « repartir », « retrouver », « dévoiler », c’est souligner cette urgence de revenir à l’intelligence de la rencontre interpersonnelle. Les méthodes d’éducations sont bonnes, les méthodes d’évaluation de nos jeunes sont positives, pourtant l’émerveillement de l’éducateur devant tel jeune nous rappelle que l’éducation consiste à « dévoiler » la richesse de chaque personne, une réalité qui dépassera toujours nos schèmes … 

Cette affirmation nous fait poser la question du rapport entre éducation humaine et éducation chrétienne. Peut-on dire que de la même manière que la nouvelle évangélisation exhorte l’Église d’aujourd’hui à développer une anthropologie qui puisse servir les défis du XXIe siècle, l’éducation est aussi appelée à retrouver une philosophie de la personne qui serve le jeune d’aujourd’hui ? Il me semble que oui. Karol Wojtyla a fait le travail. Notre ouvrage « Jean-Paul II, Le Saint de la nouvelle évangélisation » le définit comme une ontophénoménologie. L’éducateur doit le faire avec un cadre conceptuel qui puisse servir les jeunes d’aujourd’hui.

En d’autres termes, l’éducation chrétienne pose la question du soubassement philosophique qui la sert. Distinguer ne veut pas dire séparer et encore moins opposer. Distinguer éducation humaine et éducat
ion chrétienne, et proposer une anthropologie profondément humaine qui ouvre à la transcendance, n’est-ce pas faire de l’éducateur chrétien un expert en humanité ?   

Jean-Marc Barreau

***

NOTES

1 Jean-Marc BARREAU. (2014), Jean-Paul II, Le Saint de la nouvelle évangélisation, Paris, Salvator, 210 p. 

2 Karol WOJTYLA. (2011), Personne et acte (1re éd. 1969), Paris, Parole et Silence, 358 p.

3 Idem. (2012), Aux sources du renouveau. Étude sur la mise en œuvre du Concile Vatican II, Le livre fondateur de la nouvelle évangélisation (1re éd. 1972), Paris, Parole et Silence, 355 p.

4 Ibid., Aux sources…, p. 222.

5 Idem. Personne…, p. 19.

6 Ibid., p. 87-88.

7 Ibid., p. 174.

8 Thierry-Dominique HUMBRECHT. (2012), L’évangélisation impertinente, guide du chrétien au pays des postmodernes, Paris, Parole et Silence, p. 21.

9 Ibid., p. 21.  

10 Ibid., p. 21.

11 Cf. Ibid., p. 22.

12 Ibid., p. 22.

13 Ibid., p. 23.

14 Ibid., p. 63. 

*** 

Bibliographie  

BARREAU, Jean-Marc. (2014), Jean-Paul II, Le Saint de la nouvelle évangélisation, Paris, Salvator, 210 p.  

HUMBRECHT, Thierry-Dominique. (2012), L’évangélisation impertinente, guide du chrétien au pays des postmodernes, Paris, Parole et Silence, 284 p. 

WOJTYLA, Karol (2012), Aux sources du renouveau. Étude sur la mise en œuvre du Concile Vatican II, Le livre fondateur de la nouvelle évangélisation (1re éd. 1972), Paris, Parole et Silence, 355 p.    

WOJTYLA, Karol. (2011), Personne et acte (1re éd. 1969), Paris, Parole et Silence, 358 p. 

Table des matières  

ÉDUCATION ET NOUVELLE ÉVANGÉLISATION SELON LA VISION PASTORALE DE      JEAN-PAUL II   

INTRODUCTION                

2. LA NOUVELLE ÉVANGÉLISATION SOUS LE PONTIFICAT DE JEAN-PAUL II ……………………………………2 

2.1 Repartir du Christ …………………………………………………………………………………………………………. 3 

2.2 Métaphysique de l’acte ………………………………………………………………………………………………….. 5 

3. TROIS LIENS À RETENIR …………………………………………………………………………………………………………8 

3.1 Repartir ……………………………………………………………………………………………………………………….. 9 

3.2 Retrouver …………………………………………………………………………………………………………………… 10 

3.3 Dévoiler …………………………………………………………………………………………………………………….. 11 

CONCLUSION 

BIBLIOGRAPHIE 

TABLE DES MATIÈRES    

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Jean-Marc Barreau

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