Don Ciotti contre la mafia : "l'Europe doit ouvrir les yeux"

Print Friendly, PDF & Email

Entretien avec Daniele Zappala  (1/2)

Share this Entry
Print Friendly, PDF & Email

« L’Europe entière est aujourd’hui dans le collimateur des trafics illicites et autres crimes mafieux. Et selon un souci très cher à don Ciotti, elle devrait pleinement ouvrir les yeux sur cette menace quotidienne », estime Daniele Zappala, journaliste du quotidien italien Avvenire.

A l’occasion de la sortie du livre d’entretien avec don Ciotti « Un prêtre contre la Mafia » (Ed. Bayard), Daniele Zappalà évoque pour Zenit l’œuvre du prêtre italien qu’il a interviewé aux côtés du journaliste Nello Scavo.

Zenit – Comment avez-vous eu l’idée de ce livre ? Comment a-t-il été réalisé concrètement ?

Daniele Zappala – L’éditeur Bayard a eu l’idée d’approfondir le thème de l’action spirituelle et civile d’un homme d’Église face au fléau de la présence mafieuse, à travers le témoignage de don Luigi Ciotti, une personnalité dont l’action est reconnue depuis longtemps tant au niveau national, qu’international. Avec Nello Scavo, qui travaille lui aussi pour le quotidien italien Avvenire et qui a enquêté sur le crime et le terrorisme internationaux, nous nous sommes donc longuement entretenus à Turin avec don Ciotti, toujours dans une configuration à trois. Les rencontres ont eu lieu au siège du Groupe Abel, l’association voulue par don Ciotti il y a 50 ans pour vivre aux côtés des victimes de l’exclusion.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué lors de vos rencontres avec don Ciotti ?

D’emblée, sa force de conviction et l’énergie incroyable que ce prêtre arrive à dégager. Une énergie et un « souffle » vraiment au-delà de toute attente, d’autant plus si l’on considère qu’il fêtera cette année ses 70 ans. En tant qu’intervieweur, on croise très rarement des personnalités qui paraissent à un tel point portées par ce qu’elles disent. Personnellement, dans mon expérience professionnelle, je crois que je n’ai vécu cela qu’en interviewant l’abbé Pierre et en rencontrant la kenyane Wangari Maathai, prix Nobel de la paix.

En plus, don Ciotti a une connaissance très profonde de ce dont il parle. On se rend vite compte qu’il pourrait multiplier les exemples, les souvenirs, les « retours de terrain » à longueur de journée.

Mais c’est également un personnage d’une humilité presque confondante. Il nous a souvent dit : « Je ne suis qu’une petite personne ». Il le pense vraiment, car il est profondément convaincu que seul le « nous » peut changer véritablement les choses dans la lutte contre les mafias, ainsi que face à tous les autres défis posés à nos sociétés.

Cette humilité ne l’empêche pas de hausser la voix à chaque fois qu’il l’estime nécessaire. Par exemple, ce fut le cas à l’époque de la campagne nationale pour faire voter une loi au Parlement italien visant à confier les biens confisqués aux mafieux à des coopératives de jeunes et à d’autres associations avec un but social.

Quel impact espérez-vous que cet ouvrage aura auprès des lecteurs ? Dans la société ?

A travers ce témoignage, le livre voudrait sensibiliser les lecteurs francophones aux enjeux sociaux, civils et spirituels majeurs liés à l’expansion des réseaux mafieux aussi bien en Italie que dans les autres contrées européennes. A rebrousse-poil par rapport aux idées reçues, ce livre rappelle que la mafia est loin d’être seulement un problème italien. Par exemple, plusieurs parrains des mafias italiennes ont été arrêtés en France ou dans d’autres pays européens devenus des lieux de « cavale ». L’Europe entière est aujourd’hui dans le collimateur des trafics illicites et autres crimes mafieux. Et selon un souci très cher à don Ciotti, l’Europe devrait pleinement ouvrir les yeux sur cette menace quotidienne. Le message de don Ciotti est réaliste, donc forcément alarmant au vu des signaux inquiétants venant du terrain, mais également fortement traversé par l’espérance chrétienne. Il montre que toute une génération de personnes responsables, qu’elles soient croyantes ou pas, est en train de prendre conscience qu’on ne peut pas laisser la lutte contre les mafias aux seules forces de l’ordre et aux magistrats.

Comme vous dites, la lutte contre la mafia est en effet souvent considérée comme une lutte typiquement « italienne »…

Les mafias ne connaissent pas les frontières des États. Les trafics (drogue, armes, êtres humains, déchets toxiques etc.) et les investissements mafieux sont pleinement « globalisés ». Une lutte contre les mafias qui se cantonnerait à l’intérieur des frontières d’un pays comme l’Italie n’a plus de sens. Les magistrats qui enquêtent sur les crimes mafieux l’ont compris depuis longtemps. Juste pour rappeler un exemple célèbre, déjà dans les années 1980, le juge Giovanni Falcone (tué ensuite par la mafia en 1992 et resté comme l’un des symboles de la résistance civile en Italie contre les mafias) dut se rendre au Brésil pour avoir sa première confrontation avec Tommaso Buscetta, un parrain sicilien qui devint ensuite un « collaborateur de justice » prêt à révéler beaucoup de secrets d’envergure sur le monde mafieux.

A suivre, demain, 17 avril… 

Share this Entry

Anne Kurian-Montabone

Baccalauréat canonique de théologie. Pigiste pour divers journaux de la presse chrétienne et auteur de cinq romans (éd. Quasar et Salvator). Journaliste à Zenit depuis octobre 2011.

FAIRE UN DON

Si cet article vous a plu, vous pouvez soutenir ZENIT grâce à un don ponctuel