Discours que le pape aurait dû prononcer à « La Sapienza » de Rome

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ROME, Vendredi 18 janvier 2008 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte du discours que le pape Benoît XVI avait préparé pour sa visite à l’Université « La Sapienza » de Rome. Cette visite a été annulée en raison des protestations d’un petit groupe d’enseignants et d’étudiants, mais le pape a fait parvenir son discours, qui a été lu à l’université.

Monsieur le Recteur Magnifique,

Mesdames et Messieurs les Représentants des Autorités politiques et civiles,

Illustres professeurs et membres du personnel technique et administratif,

Chers jeunes étudiants !

C’est pour moi un motif de profonde joie de rencontrer la communauté de la « Sapienza – Université de Rome », à l’occasion de l’inauguration de l’Année académique. Depuis désormais plusieurs siècles cette Université marque le chemin et la vie de la ville de Rome, en faisant fructifier les meilleures énergies intellectuelles dans tous les domaines du savoir. Que ce soit à l’époque où, après sa fondation voulue par le Pape Boniface VIII, l’institution dépendait directement de l’Autorité ecclésiastique, ou successivement, lorsque le Studium Urbis s’est développé comme institution de l’Etat italien, votre communauté universitaire a conservé un haut niveau scientifique et culturel, qui l’inscrit parmi les universités les plus prestigieuses du monde. L’Eglise de Rome regarde depuis toujours avec sympathie et admiration ce centre universitaire, reconnaissant son engagement, parfois difficile et laborieux, pour la recherche et la formation des nouvelles générations. Ces dernières années, des moments significatifs de collaboration et de dialogue n’ont pas manqué. Je voudrais rappeler, en particulier, la rencontre mondiale des Recteurs à l’occasion du Jubilé des Universités, qui a vu votre communauté prendre en charge non seulement l’accueil et l’organisation, mais surtout la proposition prophétique et complexe de l’élaboration d’un « nouvel humanisme pour le troisième millénaire ».

J’ai à cœur, en cette circonstance, d’exprimer ma gratitude pour l’invitation qui m’a été adressée à venir dans votre université pour y tenir une leçon. Dans cette perspective, je me suis tout d’abord posé la question : que peut et que doit dire un Pape en une occasion comme celle-ci ? Dans ma leçon à Ratisbonne, j’ai parlé, bien sûr, en tant que Pape, mais j’ai surtout parlé en qualité d’ancien professeur de cette université, en cherchant à relier les souvenirs et l’actualité. A l’Université la « Sapienza », l’antique université de Rome, je suis cependant invité en tant qu’Evêque de Rome, et je dois donc parler comme tel. Certes, la « Sapienza » était autrefois l’Université du Pape, mais aujourd’hui c’est une université laïque avec cette autonomie qui, à partir de son concept même de fondation, a toujours fait partie de l’université, qui doit exclusivement être liée à l’autorité de la vérité. Dans sa liberté à l’égard de toute autorité politique et ecclésiastique, l’université trouve sa fonction particulière, précisément aussi pour la société moderne, qui a besoin d’une institution de ce genre.

Je reviens à ma question de départ : que peut et que doit dire le Pape au cours de la rencontre avec l’université de sa ville ? En réfléchissant à cette question, il m’a semblé qu’elle en contenait deux autres, dont la clarification devrait toute seule conduire à la réponse. En effet, il faut se demander : quelle est la nature de la mission de la papauté ? Et encore : Quelle est la nature de la mission de l’université ? Je ne voudrais pas, en ce lieu, vous retenir par de longs discours sur la nature de la papauté. Une brève explication suffira. Le Pape est tout d’abord l’évêque de Rome et, comme tel, en vertu de la succession à l’Apôtre Pierre, il possède une responsabilité épiscopale à l’égard de l’Eglise catholique tout entière. Le terme « évêque-episkopos », qui dans sa première signification renvoie à l’idée de « surveillant», a déjà été fondue dans le Nouveau Testament avec le concept biblique de Pasteur : il est celui qui, d’un point d’observation surélevé, regarde l’ensemble, en prenant soin du bon chemin et de la cohésion de l’ensemble. C’est pourquoi cette définition de sa tâche oriente tout d’abord le regard vers l’intérieur de la communauté des croyants. L’Evêque – le Pasteur – est l’homme qui prend soin de cette communauté ; celui qui la conserve unie en la gardant sur le chemin vers Dieu, indiqué selon la foi chrétienne par Jésus – mais pas seulement indiquée : Il est lui-même le chemin pour nous. Mais cette communauté dont l’Evêque prend soin – qu’elle soit grande ou petite – vit dans le monde ; ses conditions, son chemin, son exemple et sa parole influent inévitablement sur tout le reste de la communauté humaine dans son ensemble. Plus celle-ci est grande, plus ses bonnes conditions ou sa dégradation éventuelle se répercuteront sur l’ensemble de l’humanité. Nous voyons aujourd’hui très clairement de quelle manière les conditions des religions et la situation de l’Eglise – ses crises et ses renouvellements – agissent sur l’ensemble de l’humanité. C’est pourquoi le Pape, précisément comme Pasteur de sa communauté, est également devenu toujours plus une voix de la raison éthique de l’humanité.

Une objection apparaît cependant immédiatement ici, selon laquelle le Pape, de fait, ne parlerait pas vraiment sur la base de la raison éthique, mais tirerait ses jugements de la foi et ne pourrait donc pas prétendre qu’ils soient valables pour ceux qui ne partagent pas cette foi. Nous devrons encore revenir sur ce thème, car c’est la question absolument fondamentale qui est posée là : qu’est-ce que la raison ? Comment une affirmation – surtout une norme morale – peut-elle se démontrer « raisonnable » ? A ce point, je ne voudrais pour le moment que brièvement observer que John Rawls, bien que niant à des doctrines religieuses compréhensives le caractère de la raison « publique », voit toutefois dans leur raison « non publique » au moins une raison qui ne pourrait pas, au nom d’une rationalité endurcie par le sécularisme, être simplement méconnue par ceux qui la soutiennent. Il voit un critère de cet aspect raisonnable, entre autres, dans le fait que de telles doctrines dérivent d’une tradition responsable et motivée, dans lesquelles au cours des temps ont été développées des argumentations suffisamment valables pour soutenir la doctrine relative. Dans cette affirmation, il me semble important de reconnaître que l’expérience et la démonstration au cours de générations, le fond historique de la sagesse humaine, sont également un signe de son caractère raisonnable et de sa signification durable. Face à une raison a-historique qui cherche à se construire toute seule uniquement dans une rationalité a-historique, la sagesse de l’humanité comme telle – la sagesse des grandes traditions religieuses – est à valoriser comme une réalité que l’on ne peut pas impunément jeter au panier de l’histoire des idées.

Revenons à la question de départ. Le Pape parle comme le représentant d’une communauté de croyants dans laquelle, au cours des siècles de son existence, a mûri une sagesse déterminée de la vie ; il parle comme le représentant d’une communauté qui conserve en soi un trésor de connaissance et d’expérience éthiques, qui est important pour l’humanité tout entière : en ce sens, il parle comme le représentant d’une raison éthique.

Mais on doit alors se demander : qu’est-ce que l’université ? C’est une question immense, à laquelle, encore une fois, je ne peux chercher à répondre qu’en style presque télégraphique, en effectuant quelques observations. Je pense que l’on peut dire que la véritable origine profonde de l’université se trouve dans la soif de connaissance qui est propre à l’homme. Il veut savoir ce qu’est tout c
e qui l’entoure. Il veut la vérité. C’est dans ce sens que l’on peut voir l’interrogation de Socrate comme l’impulsion à partir de laquelle est née l’université occidentale. Je pense, par exemple – pour ne mentionner qu’un texte – au dialogue avec Euthyphron, qui, face à Socrate défend la religion mythique et sa dévotion. Socrate oppose à ce point de vue la question suivante : « Tu crois sérieusement qu’entre les dieux il y a des querelles, des haines, des combats… Euthyphron, devons-nous recevoir toutes ces choses comme bonnes ? » (6 b – c). Dans cette question apparemment peu pieuse – qui chez Socrate dérivait cependant d’une religiosité plus profonde et plus pure, de la recherche du Dieu vraiment divin – les chrétiens des premiers siècles se sont reconnus eux-mêmes, ainsi que leur chemin. Ils n’ont pas accueilli leur foi de manière positiviste, ou comme une issue à des désirs non satisfaits ; ils l’ont comprise comme la dissipation du brouillard de la religion mythologique, pour faire place à la découverte de ce Dieu qui est Raison créatrice et, dans le même temps, Raison-Amour. C’est pourquoi, l’interrogation de la raison sur le Dieu le plus grand, ainsi que sur la véritable nature et le véritable sens de l’être humain n’était pas pour eux une forme problématique de manque de religiosité, mais faisait partie de l’essence de leur façon d’être religieux. Ils n’avaient donc pas besoin de répondre à l’interrogation socratique, ou de la mettre de côté, mais ils pouvaient et devaient même accueillir et reconnaître comme une partie de leur identité la recherche difficile de la raison, pour parvenir à la connaissance de la vérité tout entière. C’est ainsi que pouvait et devait même naître dans le cadre de la foi chrétienne, dans le monde chrétien, l’université.

Il est nécessaire d’accomplir un pas supplémentaire. L’homme veut connaître, il veut la vérité. La vérité est avant tout un élément en relation avec le fait de voir, de comprendre, avec la theoría, comme l’appelle la tradition grecque. Mais la vérité n’est jamais seulement théorique. Augustin, en établissant une corrélation entre les Béatitudes du Discours sur la Montagne et les dons de l’Esprit mentionnés dans Isaïe 11, a affirmé une réciprocité entre « scientia » et « tristitia »: le simple savoir, dit-il, rend triste. Et de fait – celui qui voit et qui apprend seulement tout ce qui a lieu dans le monde, finit par devenir triste. Mais la vérité signifie davantage que le savoir : la connaissance de la vérité a pour objectif la connaissance du bien. Tel est également le sens de l’interrogation socratique : quel est le bien qui nous rend vrais ? La vérité nous rend bons, et la bonté est vraie : tel est l’optimisme qui est contenu dans la foi chrétienne, car à celle-ci a été accordée la vision du Logos, de la Raison créatrice qui, dans l’incarnation de Dieu, s’est en même temps révélée comme le Bien, comme la Bonté elle-même.

Dans la théologie médiévale, il y eut un débat approfondi sur le rapport entre théorie et pratique, sur la juste relation entre connaître et agir – un débat que nous ne devons pas développer ici. De fait, l’université médiévale avec ses quatre Facultés présente cette corrélation. Commençons par la Faculté qui, selon la conception de l’époque, était la quatrième, la Faculté de médecine. Même si elle était considérée davantage comme un « art » que comme une science, toutefois, son inscription dans le cosmos de l’universitas signifiait clairement qu’on l’inscrivait dans le domaine de la rationalité, que l’art de guérir était sous la conduite de la raison et se trouvait soustrait au domaine de la magie. Guérir est une tâche qui requiert toujours davantage que la simple raison, mais c’est précisément pour cela qu’il a besoin de la connexion entre savoir et pouvoir, il a besoin d’appartenir à la sphère de la ratio. Inévitablement apparaît la question de la relation entre pratique et théorie, entre connaissance et action dans la Faculté de droit. Il s’agit de donner une juste forme à la liberté humaine qui est toujours liberté dans la communion réciproque : le droit est le présupposé de la liberté et non son antagoniste. Mais se pose ici immédiatement la question : comment définir les critères de la justice qui rendent possible une liberté vécue ensemble et permettent à l’homme d’être bon ? Ici un saut dans le présent s’impose : il s’agit de la question sur la manière dont peut être trouvée une norme juridique qui puisse constituer un ordonnancement de la liberté, de la dignité humaine et des droits de l’homme. C’est la question qui nous intéresse aujourd’hui dans les processus démocratiques de formation de l’opinion et qui dans le même temps nous angoisse comme une question pour l’avenir de l’humanité. Jürgen Habermas exprime, selon moi, un vaste consensus de la pensée actuelle, lorsqu’il dit que la légitimité d’une charte constitutionnelle, en tant que présupposé de la légalité, dériverait de deux sources : de la participation politique égalitaire de tous les citoyens et de la forme raisonnable sous laquelle les controverses politiques sont résolues. Par rapport à cette « forme raisonnable » il note qu’elle ne peut pas être seulement une lutte pour des majorités arithmétiques, mais qu’elle doit se caractériser comme un « processus d’argumentation sensible à la vérité » (wahrheitssensibles Argumentationsverfahren). C’est une belle formule, mais c’est quelque chose d’extrêmement difficile à transformer en pratique politique. Les représentants de ce « processus d’argumentation » public sont – nous le savons – principalement les partis en tant que responsables de la formation de la volonté politique. En effet, ils auront immanquablement en vue en particulier l’obtention de majorités et ainsi ils regarderont presque inévitablement à des intérêts qu’ils promettent de satisfaire ; toutefois, ces intérêts sont souvent particuliers et ne sont pas véritablement au service de l’ensemble. La sensibilité pour la vérité est toujours à nouveau renversée par la sensibilité pour les intérêts. Je trouve significatif qu’Habermas parle de la sensibilité pour la vérité comme d’un élément nécessaire dans le processus d’argumentation politique, en réinscrivant ainsi le concept de vérité dans le débat philosophique et dans le débat politique.

Mais alors, la question de Pilate devient inévitable : qu’est-ce que la vérité ? Et comment la reconnaît-on ? Si pour cela on renvoie à la « raison publique », comme le fait Rawls, il s’ensuit nécessairement aussi la question : qu’est-ce qui est raisonnable? Comment démontre-t-on qu’une raison est une raison vraie ? Dans tous les cas, il devient à partir de là évident que, dans la recherche du droit de la liberté, de la vérité de la juste coexistence il faut écouter des instances différentes de ces partis ou des groupes d’intérêts, sans pour cela vouloir le moins du monde contester leur importance. Nous revenons ainsi à la structure de l’université médiévale. A côté de celle de droit, il y avait les Facultés de philosophie et de théologie, auxquelles étaient confiée la recherche sur l’existence humaine dans sa totalité et avec celle-ci le devoir de conserver vive la sensibilité pour la vérité. On pourrait même dire que cela est le sens permanent et véritable de ces deux Facultés : être des gardiens de la sensibilité pour la vérité, ne pas permettre que l’homme se détache de la recherche de la vérité. Mais comment peuvent-elles remplir cette tâche ? Il s’agit d’une question sur laquelle il faut toujours se pencher à nouveau et qui n’est jamais posée et résolue de manière définitive. Ainsi, ici, je ne peux pas non plus offrir véritablement une réponse, mais plutôt une invitation à demeurer en chemin avec cette question – en chemin avec les grands qui au fil de l’histoire ont lutté et cherché, avec leurs réponses
et leur inquiétude pour la vérité, qui renvoie continuellement au-delà de toute réponse particulière.

Théologie et philosophie forment en cela un couple de jumeaux  très particulier, dans lequel aucune des deux ne peut être totalement détachée de l’autre et, toutefois, chacune doit conserver sa propre tâche et sa propre identité. Le mérite historique revient à saint Thomas d’Aquin – face à la réponse différente des Pères en raison de leur contexte historique – d’avoir mis en lumière l’autonomie de la philosophie et avec elle le droit et la responsabilité propres de la raison qui s’interroge sur la base de ses forces. En se différenciant des philosophies néoplatoniciennes, où la religion et la philosophie s’interpénétraient de manière inséparable, les Pères avaient présenté la foi chrétienne comme la vraie philosophie, en soulignant également que cette foi correspond aux exigences de la raison à la recherche de la vérité ; que la foi est le « oui » à la vérité, par rapport aux religions mythiques devenues une simple habitude. Toutefois ensuite, au moment de la naissance de l’université, ces religions n’existaient plus en Occident, mais uniquement le christianisme, et il fallait donc souligner de manière nouvelle la responsabilité propre de la raison, qui ne disparaît pas dans la foi. Thomas œuvra à un moment privilégié : pour la première fois, les écrits philosophiques d’Aristote étaient accessibles dans leur intégralité ; les philosophes juifs et arabes étaient présents, comme des appropriations et des continuations spécifiques de la philosophie grecque. Ainsi, le christianisme, dans un nouveau dialogue avec la raison des autres, à la rencontre desquels il allait, dut lutter pour son propre caractère raisonnable. La Faculté de philosophie que l’on appelait la « Faculté des artistes » et qui, jusqu’alors, n’avait été qu’une propédeutique à la théologie, devint alors une véritable Faculté, un partenaire autonome de la théologie et de la foi qui se réfléchissait en elle. Nous ne pouvons pas approfondir ici le débat passionnant qui en découla. Je dirais que l’idée de saint Thomas sur le rapport entre philosophie et théologie pourrait être exprimée dans la formule trouvée par le Concile de Chalcédoine pour la christologie : philosophie et théologie doivent entretenir entre elles des relations « sans confusion et sans séparation ». « Sans confusion et sans séparation » signifie que chacune des deux doit conserver son identité. La philosophie doit rester véritablement une recherche de la raison dans sa liberté et dans sa responsabilité ; elle doit voir ses limites et précisément ainsi sa grandeur et son étendue. La théologie doit continuer à puiser à un trésor de connaissance qu’elle n’a pas inventée elle-même, qui la dépasse toujours et qui, ne pouvant jamais totalement s’épuiser par la réflexion, précisément pour cela met toujours à nouveau en marche la pensée. Avec le « sans confusion » s’applique également le « sans séparation »: la philosophie ne recommence pas chaque fois du point zéro du sujet pensant de manière isolée, mais elle s’inscrit dans le grand dialogue du savoir historique, que celle-ci accueille et développe toujours à nouveau, de façon à la fois critique et docile ; mais elle ne doit pas non plus se fermer à ce que les religions et en particulier la foi chrétienne ont reçu et donné à l’humanité comme indication du chemin. L’histoire a démontré que parmi des choses dites par des théologiens au cours de l’histoire ou même traduites dans la pratique par les autorités ecclésiales, plusieurs étaient fausses et nous troublent aujourd’hui. Mais dans le même temps, il est vrai que l’histoire des saints, l’histoire de l’humanisme qui a grandi sur la base de la foi chrétienne démontre la vérité de cette foi en son noyau essentiel, en la rendant ainsi également une instance pour la raison publique. Bien sûr, beaucoup de ce que disent la théologie et la foi ne peut être approprié qu’à l’intérieur de la foi et ne peut donc pas se présenter comme une exigence pour ceux auxquels cette foi demeure inaccessible. Mais dans le même temps, il est vrai que le message de la foi chrétienne n’est jamais seulement une « comprehensive religious doctrine » au sens où l’entend Rawls, mais une force purificatrice pour la raison elle-même, qu’elle aide à être toujours davantage elle-même. Le message chrétien, sur la base de ses origines, devrait être toujours un encouragement vers la vérité et ainsi une force contre la pression du pouvoir et des intérêts.

Or, jusqu’à présent, j’ai uniquement parlé de l’université médiévale, en tentant toutefois de laisser transparaître la nature permanente de l’université et de sa tâche. A l’époque moderne, se sont ouvertes de nouvelles dimensions du savoir, qui sont mises en valeur dans l’université en particulier dans deux grands domaines : tout d’abord dans les sciences naturelles, qui se sont développées sur la base de la connexion entre l’expérimentation et une rationalité présupposée de la matière ; en second lieu, dans les sciences historiques et humanistes, où l’homme, en scrutant le miroir de son histoire et en éclaircissant les dimensions de sa nature, tente de mieux se comprendre lui-même. Dans ce développement s’est ouverte à l’humanité non seulement une mesure immense de savoir et de pouvoir, mais la connaissance et la reconnaissance des droits et de la dignité de l’homme ont également grandi, et nous pouvons être reconnaissants de cela. Toutefois, le chemin de l’homme ne peut jamais se dire complètement achevé et le danger de la chute dans le manque d’humanité n’est jamais tout simplement conjuré : nous le voyons bien dans le panorama de l’histoire actuelle ! Le danger pour le monde occidental – pour ne parler que de celui-ci – est aujourd’hui que l’homme, justement en considération de la grandeur de son savoir et de son pouvoir, baisse les bras face à la question de la vérité. Et cela signifie que dans le même temps la raison, en fin de compte, se plie face à la pression des intérêts et à l’attraction de l’utilité, contrainte de la reconnaître comme critère ultime. Du point de vue de la structure de l’université, il existe un danger que la philosophie, ne se sentant plus en mesure de remplir son véritable devoir, se dégrade en positivisme ; que la théologie avec son message adressé à la raison, soit confinée dans la sphère privée d’un groupe plus ou moins grand. Toutefois, si la raison – inquiète de sa pureté présumée – devient sourde au grand message qui lui vient de la foi chrétienne et de sa sagesse, elle se dessèche comme un arbre dont les racines n’atteignent plus les eaux qui lui donnent la vie. Elle perd le courage de la vérité et, ainsi, ne grandit plus, mais devient plus petite. Appliquée à notre culture européenne, cela signifie : si elle veut seulement se construire sur la base du cercle de ses propres argumentations et de ce qui à un moment donné la convainc et – inquiète de sa laïcité – si elle se détache des racines qui lui ont donné vie, alors, elle ne devient pas plus raisonnable et plus pure, mais elle se décompose et se brise.

Je retourne ainsi à mon point de départ. Qu’est-ce que le Pape a à faire ou à dire à l’université ? Assurément, il ne doit pas tenter d’imposer aux autres de manière autoritaire la foi, qui peut seulement être donnée en liberté. Au-delà de son ministère de pasteur dans l’Eglise et sur la base de la nature intrinsèque de ce ministère pastoral, il est de son devoir de maintenir vive la sensibilité pour la vérité ; inviter toujours à nouveau la raison à se mettre à la recherche du vrai, du bien, de Dieu et, sur ce chemin, la solliciter à découvrir les lumières utiles apparues au fil de l’histoire de la foi chrétienne et à percevoir ainsi Jésus Christ comme la lumière qui éclaire l’histoire et aide à trouver le chemin vers l’avenir.

Du Vatican, le 17 janvier 2008

Benedictus XVI

© Copyright du texte original plurilingue  : Librairie Editrice du Vatican
Traduction réalisée par Zenit

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ZENIT Staff

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