Dialogue judéo-chrétien : une coopération fructueuse, par le card. Koch (III)

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« Berrie Lecture » à l’Angelicum, sur « Nostra Aetate »

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Traduction d’Hélène Ginabat

ROME, jeudi 24 mai 2012 (ZENIT.org) – Dans le dialogue entre juifs et chrétiens, « beaucoup de progrès ont été faits au cours des 40 dernières années : la confrontation s’est transformée en une collaboration fructueuse et la coexistence du passé a été remplacée par une amitié porteuse », explique le cardinal Kurt Koch dans ce troisième volet de la « Berrie Lecture » qu’il a donnée à Rome, à l’Angelicum, le 16 mai dernier (cf. Zenit des 15, 17, 21 et 22 mai 2012). Une amitié qui permet d’aborder paisiblement « même les sujets controversés », précise-t-il.

3. Dialogues institutionnels au niveau mondial et leurs axes de développement

Textes et documents, aussi importants soient-ils, ne peuvent remplacer les rencontres personnelles et les dialogues face à face. Il faut mentionner tout d’abord les nombreuses initiatives prises par les Conférences épiscopales individuellement, les Eglises locales et les établissements universitaires, qui ne peuvent évidemment pas être examinées en détail ici, bien que ce soit précisément dans ces lieux que sont prises des mesures concrètes en vue d’une collaboration positive entre les juifs et les catholiques. Quoi qu’il en soit, la Commission du Saint-Siège est heureuse de soutenir de telles initiatives qui contribuent à l’intensification de notre amitié avec le judaïsme. Mais, dans notre contexte, je dois me concentrer sur les dialogues institutionnels organisés et menés par la Commission du Saint-Siège pour les relations religieuses avec les juifs.

Déjà avant la création de la Commission du Saint-Siège, il existait des contacts et des liens avec diverses organisations juives, qui étaient évidemment situés au sein du Secrétariat pour la promotion de l’unité des chrétiens. Comme le judaïsme comporte de multiples facettes et ne se présente pas comme une organisation centralisée, on était confronté, du côté catholique, à la difficulté de décider avec qui engager un réel dialogue, parce qu’il n’était pas possible de mener un dialogue individuel et indépendant avec tous les groupements et organisations juifs qui s’étaient déclarés prêts au dialogue. Pour résoudre ce problème, les organisations juives ont repris la suggestion de la partie catholique de créer une organisation unique pour le dialogue religieux. Le Comité juif international pour les consultations interreligieuses (IJCIC), ainsi qu’il fut nommé, représente, du côté juif, le partenaire officiel de la Commission du Saint-Siège pour les relations religieuses avec les juifs. Il comprend presque toutes les grandes organisations juives, dont un bon nombre ont leur siège aux Etats-Unis.

L’IJCIC a pu commencer ses travaux en 1970 et il a organisé, un an plus tard, la première conférence conjointe à Paris. Les conférences, qui ont été menées régulièrement depuis lors, sont l’expression du Comité international de liaison catholique-juif (ILC) et elles façonnent la collaboration entre l’IJCIC et la Commission du Saint-Siège. En février 2011, à la 21ème Conférence de l’ILC, nous avons pu regarder en arrière avec gratitude pour ces 40 années de dialogue institutionnel et célébrer ce jubilé une fois de plus à Paris. Beaucoup de progrès ont été faits au cours des 40 dernières années : la confrontation s’est transformée en une collaboration fructueuse, ce qui était auparavant un conflit potentiel est devenu une gestion positive des conflits, et la coexistence du passé a été remplacée par une amitié porteuse.

Ces liens d’amitié, forgés dans l’intervalle, se sont avérés stables, de sorte qu’il est devenu possible d’aborder ensemble même des sujets controversés, sans courir le risque de causer au dialogue des dommages irréversibles. C’était d’autant plus nécessaire que, durant les dernières décennies, le dialogue n’a pas toujours été exempt de tensions. Il suffit de rappeler les crises provoquées, dans les années quatre-vingt, par la fameuse « affaire Waldheim » ou le projet du « carmel d’Auschwitz ». Dans des temps plus récents, on pense à l’« affaire Williamson », ou encore aux opinions très divergentes sur la question de la béatification du pape Pie XII ; sur ce point, l’observateur attentif ne peut guère éviter la conclusion que, du côté des juifs, les verdicts sur ce pape sont passés d’une profonde gratitude, à l’origine, à une véritable anxiété, depuis la pièce de Hochhuth. En général, toutefois, on peut observer avec satisfaction que, dans le dialogue judéo-catholique, surtout depuis le tournant du millénaire, des tentatives soutenues ont été déployées pour faire face ouvertement à toute éventuelle divergence de vue ou tout conflit et cela dans un but positif ; c’est ainsi que les relations mutuelles sont devenues plus fortes et que s’est confirmée la sagesse proverbiale selon laquelle lorsque un lien déchiré est réuni à nouveau, la distance entre les deux extrémités devient plus courte.

Outre le dialogue avec l’IJCIC, il faut aussi mentionner la conversation institutionnelle avec le Grand Rabbinat de Jérusalem, qui doit être clairement vue comme un fruit de la rencontre du Pape Jean-Paul II avec les Grands Rabbins à Jérusalem, lors de sa visite en Israël en mars 2000. La première réunion a été organisée en juin 2002 à Jérusalem, et depuis lors, un total de 11 réunions de ce type ont été menées, à Rome et à Jérusalem alternativement. Les deux délégations sont relativement petites, rendant possible une discussion très personnelle et soutenue sur divers sujets, comme le caractère sacré de la vie, le statut de la famille, l’importance des textes sacrés pour la vie ensemble, la liberté religieuse, les fondements éthiques du comportement humain, le défi écologique, les relations entre autorité séculière et autorité religieuse et les qualités essentielles du leadership religieux dans la société laïque.

Ceux qui participent à ces réunions étant, du côté catholique, des évêques et des prêtres et, du côté juif, presque exclusivement des rabbins, il n’est guère surprenant que les sujets relevant du domaine privé soient également examinés dans une perspective religieuse. Cette remarque est étonnante car, normalement, dans le judaïsme orthodoxe, la tendance qui prévaut est d’éviter les questions religieuses et théologiques. A cet égard, le dialogue avec le Grand Rabbinat a permis une plus grande ouverture du judaïsme orthodoxe à l’égard de l’Eglise catholique romaine à l’échelle mondiale. Après chaque réunion, une déclaration commune est publiée, qui, dans chaque cas, témoigne de la richesse du patrimoine spirituel commun du judaïsme et du christianisme ainsi que des précieux trésors qui sont encore à mettre au jour. En passant en revue dix ans de dialogue, nous pouvons affirmer avec reconnaissance qu’il a fait naître une amitié profonde qui représente une base solide pour s’acheminer vers l’avenir.

Les efforts de dialogue de la Commission du Saint-Siège pour les relations religieuses avec les Juifs ne peuvent évidemment pas se limiter à ces deux dialogues institutionnels. Cette commission veut être ouverte à tous les courants au sein du judaïsme et maintenir le contact avec tous les groupes et organisations juives qui souhaitent établir des liens avec le Saint-Siège. Du côté juif, on montre un intérêt particulier pour les audiences privées avec le Pape qui sont, dans tous les cas, préparées par nous-mêmes. Au-delà des contacts directs avec le judaïsme, la Commission s’efforce également de donner l’impulsion au sein de l’Eglise catholique pour le dialogue avec le judaïsme et de travailler avec les Conférences épiscopales pour les soutenir localement dans la promotion de la conversation judéo-catholique. L’introduction du « Dies Judaicus » (le 17 janvier, nd
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en est un bon exemple.

Au cours des dernières décennies, le « dialogue ad extra » comme le « dialogue ad intra » ont conduit avec une clarté croissante à une prise de conscience que chrétiens et juifs sont dépendants les uns des autres et que le dialogue entre eux, en ce qui concerne la théologie, n’est pas une question de choix mais une obligation. Juifs et chrétiens sont, précisément dans leur différence, le peuple de Dieu, capables de s’enrichir l’un l’autre dans une amitié réciproque. Je n’ai pas le droit de juger ce que le judaïsme peut gagner de ce dialogue pour son propre compte. Je ne peux que rejoindre le cardinal Walter Kasper en formant le vœu qu’il reconnaisse que « séparer le judaïsme du christianisme» signifierait « le priver de son universalité », qui avait déjà été promise à Abraham[1]. Mais en ce qui concerne l’Eglise chrétienne, il est certainement vrai que, sans le judaïsme, elle court le risque de perdre sa place dans l’histoire du salut et, finalement, de se perdre dans une gnose contraire à l’histoire.

[1] Cardinal Walter Kasper, Zwei Hinweise zu einer Theologie des Volkes Gottes, in : Pontificia Università Lateranese (Ed.), Festliche Eröffnung des Lehrstuhls für die Theologie des Volkes Gottes (Urfeld 2009) 17-20, cit. 20.

(à suivre)

Traduction de l’anglais par ZENIT [Hélène Ginabat]

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ZENIT Staff

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