Dialogue entre catholiques et orthodoxes : Document de Ravenne

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Texte intégral des conclusions de la session d’octobre 2007 de la Commission mixte

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ROME, Dimanche 13 janvier 2008 (ZENIT.org) – Le Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétien publie le « Document de Ravenne » avec un commentaire d’introduction, que nous reprenons, ainsi que le texte intégral du Document.

Nous publions ci-après la traduction française du « Document de Ravenne » discuté et approuvé à l’unanimité par les membres de la « Commission mixte internationale pour le dialogue théologique entre l’Église catholique romaine et l’Église orthodoxe » lors de la dixième session plénière de la Commission à Ravenne (8 – 15 octobre 2007). Il en découle que le document est le résultat du travail d’une Commission et ne doit pas être considéré comme une déclaration du magistère. Le premier projet et la rédaction finale du document sont en anglais. Le Conseil Pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens a vérifié la traduction française.

COMMISSION MIXTE INTERNATIONALE POUR LE DIALOGUE THÉOLOGIQUE
ENTRE L’ÉGLISE CATHOLIQUE ROMAINE ET L’ÉGLISE ORTHODOXE

CONSÉQUENCES ECCLÉSIOLOGIQUES ET CANONIQUES DE LA NATURE SACRAMENTELLE DE L’ÉGLISE

COMUNION ECCLÉSIALE, CONCILIARITÉ ET AUTORITÉ

Ravenne, 13 octobre 2007</i>

Introduction

1. « Que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu’ils soient un en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m’as envoyé » (Jn 17,21). Nous rendons grâce au Dieu Trinité qui nous a réunis – nous, membres de la Commission mixte pour le dialogue théologique entre l’Église catholique romaine et l’Église orthodoxe – afin de pouvoir répondre ensemble en obéissance à cette prière de Jésus. Nous sommes conscients du fait que notre dialogue reprend dans un monde qui a profondément changé ces derniers temps. Les processus de sécularisation et de globalisation, et le défi posé par les nouvelles rencontres entre chrétiens et croyants d’autres religions, exigent que les disciples du Christ témoignent de leur foi, de leur amour et de leur espérance avec une urgence nouvelle. Que l’Esprit du Seigneur ressuscité permette à nos cœurs et à nos esprits de porter des fruits d’unité dans les relations entre nos Églises, afin que nous puissions servir ensemble l’unité et la paix de toute la famille humaine. Que le même Esprit nous conduise à la pleine expression du mystère de la communion ecclésiale, que nous reconnaissons avec gratitude comme don merveilleux de Dieu au monde, un mystère dont la beauté rayonne spécialement dans la sainteté à laquelle tous sont appelés.

2. Suivant le plan de travail adopté à sa première réunion à Rhodes en 1980, la Commission mixte a commencé par étudier le mystère de la koinonia ecclésiale à la lumière du mystère de la Sainte Trinité et de l’Eucharistie. Cela a permis de mieux comprendre la communion ecclésiale, tant au niveau de la communauté locale réunie autour de son évêque, qu’au niveau des rapports entre les évêques et entre les Églises locales que chaque évêque préside en communion avec l’unique Église de Dieu répandue dans tout l’univers (cf. Document de Munich, 1982). Dans le but de clarifier la nature de la communion, la Commission mixte a souligné le rapport qui existe entre la foi, les sacrements – en particulier les trois sacrements d’initiation chrétienne – et l’unité de l’Église (cf. Document de Bari, 1987). Ensuite, en étudiant le sacrement de l’Ordre dans la structure sacramentelle de l’Église, la Commission a clairement indiqué le rôle de la succession apostolique comme garantie de la koinonia de toute l’Église et de sa continuité avec les Apôtres en tout temps et en tout lieu (cf. Document de Valamo, 1988). De 1990 à 2000, le principal sujet examiné par la Commission a été celui de l’«uniatisme » (Document de Balamand, 1993 ; Baltimore, 2000), sujet que nous approfondirons dans un prochain avenir. Nous abordons à présent le thème soulevé à la fin du document de Valamo en réfléchissant sur la communion ecclésiale, la conciliarité et l’autorité.

3. Sur la base de ces affirmations communes de notre foi, nous devons maintenant tirer les conséquences ecclésiologiques et canoniques qui découlent de la nature sacramentelle de l’Église. Étant donné que l’eucharistie, à la lumière du mystère trinitaire, constitue le critère de la vie ecclésiale dans son ensemble, comment les structures institutionnelles reflètent-elles visiblement le mystère de cette koinonia ? L’Église une et sainte étant réalisée à la fois dans chaque Église locale qui célèbre l’eucharistie et dans la koinonia de toutes les Églises, comment la vie des Églises manifeste-t-elle cette structure sacramentelle ?

4. Unité et multiplicité, la relation entre l’unique Église et les nombreuses Églises locales, cette relation constitutive de l’Église pose également la question du rapport entre l’autorité inhérente à chaque institution ecclésiale et la conciliarité qui découle du mystère de l’Église comme communion. Du fait que les termes « autorité » et « conciliarité » couvrent un très vaste domaine, nous commencerons par définir la façon dont nous entendons ces termes.[1]

I. Les fondements de la conciliarité et de l’autorité

1. La conciliarité

5. Le terme conciliarité ou synodalité vient du mot « concile » (synodos en grec, concilium en latin), qui indique essentiellement une assemblée d’évêques qui exercent une responsabilité particulière. Toutefois, on peut également comprendre le terme dans un sens plus global, se rapportant à tous les membres de l’Église (cf. le terme russe sobornost). En conséquence, nous parlerons d’abord de conciliarité pour indiquer qu’en vertu du baptême, chaque membre du Corps du Christ a sa place et sa propre responsabilité dans la koinonia (communio en latin) eucharistique. La conciliarité reflète le mystère trinitaire, où elle trouve son fondement ultime. Les trois personnes de la Sainte Trinité sont « énumérées », comme dit saint Basile le Grand (Sur l’Esprit Saint, 45), sans que la désignation de « deuxième » ou de « troisième » personne implique une quelconque diminution ou subordination. De même, il existe également un ordre (taxis) parmi les Églises locales, qui n´implique toutefois aucune inégalité dans leur nature ecclésiale.

6. L’eucharistie manifeste la koinonia trinitaire actualisée dans les fidèles comme une unité organique de plusieurs membres, chacun desquels a un charisme, un service ou un ministère propre, nécessaires dans leur variété et leur diversité pour l’édification de tous dans l’unique Corps ecclésial du Christ (cf. 1 Co 12,4-30). Tous sont appelés, engagés et tenus pour responsables – chacun de façon différente mais non moins réelle – dans l’accomplissement commun des actions qui, par l’Esprit Saint, rendent présent dans l’Église le ministère du Christ, « le chemin et la vérité et la vie » (Jn 14,6). De cette façon, le mystère de la koinonia salvifique avec la Sainte Trinité est réalisé dans le genre humain.

7. Toute la communauté et chaque personne en elle ont la « conscience de l’Église » (ekklesiastikè syneidesis), comme la définit la théologie grecque, le sensus fidelium dans la terminologie latine. En vertu du baptême et de la confirmation (ou chrismation), chaque membre de l’Église exerce une forme d’autorité dans le Corps du Christ. Dans ce sens, tous les fidèles (et non seulement les évêques) sont responsables de la foi professée à leur baptême. Notre enseignement commun est que le peuple de Dieu, par « l’onction reçue du Saint » (1 Jn 2,20
et 27), en communion avec ses pasteurs, ne peut être dans l’erreur en matière de foi. (cf. Jn 16,13).

8. En proclamant la foi de l’Église et en éclaircissant les normes de la conduite chrétienne, les évêques ont un rôle spécifique par institution divine. « Comme successeurs des apôtres, les évêques sont responsables de la communion dans la foi apostolique et de la fidélité aux exigences d’une vie conforme à l’Évangile » (Document de Valamo, 40).

9. Les conciles sont le principal moyen par lequel s’exerce la communion entre les évêques (cf. Document de Valamo, 52). Car « l’attachement à la communion apostolique lie tous les évêques entre eux en reliant l’episkopè des Églises locales au Collège des Apôtres. Ils forment eux aussi un collège enraciné par l’Esprit Saint dans le « une fois pour toutes » du groupe apostolique, l’unique témoin de la foi. Ceci signifie non seulement qu’ils devraient être unis entre eux par la foi, la charité, la mission, la réconciliation, mais aussi qu’ils ont en commun la même responsabilité et le même service envers l’Église » (Document de Munich, III, 4)

10. Cette dimension conciliaire de la vie de l’Église appartient à sa nature la plus profonde. C’est-à-dire qu’elle est fondée sur la volonté du Christ pour ses fidèles (cf. Mt 18,15-20), même si ses réalisations canoniques sont nécessairement déterminées également par l’histoire et par le contexte social, politique et culturel. Ainsi définie, la dimension conciliaire de l’Église doit être présente aux trois niveaux – local, régional et universel – de la communion ecclésiale : au niveau local du diocèse confié à l’évêque ; au niveau régional d’un ensemble d’Églises locales avec leurs évêques qui « reconnaissent celui qui est le premier entre eux » (Canon apostolique 34) ; et au niveau universel, où ceux qui sont les premiers (protoi) dans les diverses régions, avec tous les évêques, collaborent dans ce qui concerne la totalité de l’Église. À ce niveau également, les protoi doivent reconnaître celui qui, parmi eux, est le premier.

11. L’Église existe dans de nombreux lieux différents, ce qui manifeste sa catholicité. Étant « catholique », elle est un organisme vivant, le Corps du Christ. Chaque Église locale, lorsqu’elle est en communion avec les autres Églises locales, est une manifestation de l’Église de Dieu, une et indivisible. Par conséquent, être « catholique » signifie être en communion avec l’unique Église de tous les temps et de tous les lieux. C’est pourquoi rompre la communion eucharistique veut dire faire atteinte à l’une des caractéristiques essentielles de l’Église, sa catholicité.

2. L’autorité

12. Lorsque nous parlons d’autorité, nous nous référons à l’exousia, telle qu’elle est décrite dans le Nouveau Testament. L’autorité de l’Église lui vient de son Seigneur et Maître, Jésus Christ. Ayant reçu son autorité de Dieu le Père, le Christ, après sa résurrection, l’a partagée, par l’Esprit Saint, avec les Apôtres (cf. Jn 20, 22). Par eux, elle a été transmise aux évêques, leurs successeurs, et par ceux-ci à toute l’Église. Jésus Christ notre Seigneur a exercé cette autorité de manières diverses, par quoi le Royaume de Dieu, jusqu’à son accomplissement eschatologique (cf. 1 Co 15,24-28), se manifeste au monde en enseignant (cf. Mt 5,2 ; Lc 5,3), en opérant des miracles (cf. Mc 1,30-34 ; Mt 14,35-36), en chassant les esprits impurs (cf. Mc 1,27 ; Lc 4,35-36), en pardonnant les péchés (cf. Mc 2,10 ; Lc 5,24), et en guidant ses disciples sur les chemins du salut (cf. Mt 16,24). Conformément au mandat reçu du Christ (cf. Mt 28,18-20), l’exercice de l’autorité propre des apôtres et, par la suite, des évêques, comprend la proclamation et l’enseignement de l’Évangile, la sanctification par les sacrements, en particulier l’eucharistie, et la direction pastorale des croyants (cf. Lc 10,16).

13. Dans l’Église, l’autorité appartient à Jésus Christ lui-même, l’unique Chef de l’Église (Ep 1,22 ; 5,23). Par son Esprit Saint, l’Église, qui est son Corps, participe à son autorité (cf. Jn 20, 22-23). L’autorité dans l’Église a pour but de rassembler tout le genre humain en Jésus Christ (cf. Ep 1,10 ; Jn 11,52). L’autorité liée à la grâce reçue dans l’ordination, n’est pas le bien privé de ceux qui la reçoivent, ni quelque chose qui leur est déléguée par la communauté ; au contraire, c’est un don de l’Esprit Saint destiné au service (diakonia) de la communauté et qui ne s’exerce jamais en dehors d’elle. Son exercice comprend la participation de toute la communauté, l’évêque étant dans l’Église et l’Église dans l’évêque (cf. saint Cyprien, Ep. 66,8).

14. L’autorité exercée dans l’Église au nom du Christ et par la puissance de l’Esprit Saint, doit être, sous toutes ses formes et à tous les niveaux, un service (diakonia) d’amour, comme l’était celui du Christ (cf. Mc 10,45 ; Jn 13,1-16). L’autorité dont nous parlons, en ce qu’elle exprime l’autorité divine, ne peut subsister dans l’Église en dehors de l’amour entre celui qui l’exerce et ceux qui en s #8217;objet. Il s’agit donc d’une autorité sans domination, sans contrainte physique ni morale. Étant une participation à l’exousia du Seigneur crucifié et glorifié, à qui toute autorité a été donnée au ciel et sur la terre (cf. Mt 28,18), elle peut et doit demander l’obéissance. En même temps, en raison de l’incarnation et de la croix, elle est radicalement différente de celle des gouvernants des nations et des grands de ce monde (cf. Lc 22,25-27). Alors que cette autorité est sans aucun doute confiée à des personnes qui, par faiblesse et à cause du péché, sont souvent tentées d’en abuser, par sa nature même l’identification évangélique entre autorité et service constitue néanmoins une norme fondamentale pour l’Église. Pour les chrétiens, gouverner c’est servir. De cette façon, l’exercice et l’efficacité spirituelle de l’autorité ecclésiale sont assurés à travers le libre consentement et la coopération volontaire. À un niveau personnel, cela se traduit par l’obéissance à l’autorité de l’Église afin de suivre le Christ qui a été obéissant au Père par amour jusqu’à la mort et à la mort sur la croix (cf. Ph 2,8).

15. Dans l’Église, l’autorité est fondée sur la Parole de Dieu, présente et vivante dans la communauté des disciples. L’Écriture est la Parole de Dieu révélée, telle que l’Église, par l’Esprit Saint présent et actif en elle, l’a discernée dans la Tradition vivante reçue des apôtres. L’Eucharistie est au cœur de cette Tradition (cf. 1 Co 10,16-17 ; 11,23-26). L’autorité de l’Écriture découle du fait que la Parole de Dieu, lue dans l’Église et par l’Église, transmet l’Évangile de salut. À travers l’Écriture, le Christ parle à la communauté rassemblée et au cœur de chaque croyant. L’Église, par l’Esprit Saint présent en elle, interprète l’Écriture de manière authentique, en réponse aux besoins des temps et des lieux. La coutume constante des Conciles d’introniser les Évangiles au centre des assemblées atteste la présence du Christ dans sa Parole, qui est la référence nécessaire pour toutes leurs discussions et leurs décisions, et en même temps elle affirme l’autorité de l’Église dans l’interprétation de cette Parole de Dieu.

16. Dans son économie divine, Dieu veut que son Église ait une structure orientée vers le salut. À cette structure essentielle appartiennent la foi professée et les sacrements célébrés dans la succession apostolique. Dans la communion ecclésiale, l’autorité est liée à cette structure essentielle : son exercice est réglé par les canons et les statuts de l’Église. Certains de ces règlements peuvent être appliqués différemment selon les besoins de la communion ecclésiale en temps et lieux différents, à condition que la structure essentielle de l’Église soit toujours respectée.
Par conséquent, de même que la communion dans les sacrements présuppose la communion dans la même foi (cf. Document de Bari, nos 29-33), ainsi, pour qu’il y ait une pleine communion ecclésiale, il faut qu’entre nos Églises il y ait une reconnaissance réciproque des législations canoniques dans leurs diversités légitimes.

II. La triple actualisation de la conciliarité et de l’autorité

17. Ayant mis en évidence les fondements de la conciliarité et de l’autorité dans l’Église, et remarquée la complexité du contenu de ces termes, nous devons à présent répondre aux questions suivantes : Comment des éléments institutionnels de l’Église expriment-ils et servent-ils visiblement le mystère de la koinonia ? Comment les structures canoniques des Églises expriment-elles la vie sacramentelle de celles-ci ? À cette fin, nous avons distingué trois niveaux d’institutions ecclésiales : celui de l’Église locale autour de son évêque, celui d’une région comprenant plusieurs Églises locales voisines ; celui de toute la terre habitée (oikoumene) qui englobe toutes les Églises locales.

1. Le niveau local

18. L’Église de Dieu existe là où il y a une communauté réunie par l’Eucharistie, présidée directement, ou à travers ses presbytres, par un évêque légitimement ordonné dans la succession apostolique, enseignant la foi reçue des apôtres, en communion avec les autres évêques et leurs Églises. Le fruit de cette Eucharistie et de ce ministère est de rassembler en une authentique communion de foi, de prière, de mission, d’amour fraternel et d’aide mutuelle, tous ceux qui ont reçu l’Esprit du Christ dans le baptême. Cette communion est le cadre dans lequel s’exerce toute autorité ecclésiale. La communion est le critère de cet exercice.

19. Chaque Église locale a pour mission d’être, par la grâce de Dieu, un lieu où Dieu est servi et honoré, où l’Évangile est annoncé, où les sacrements sont célébrés, où les fidèles s’efforcent de soulager la misère du monde et où chaque croyant peut trouver le salut. Elle est la lumière du monde (cf. Mt 5,14-16), le levain (cf. Mt 13,33), la communauté sacerdotale de Dieu (cf. 1 Pi 2,5 et 9). Les normes canoniques qui la gouvernent ont pour but d’assurer cette mission.

20. En vertu de ce même baptême, qui en a fait un membre du Christ, chaque personne baptisée est appelée, selon les dons de l’unique Esprit Saint, à servir dans la communauté (cf. 1 Co 12,4-27). Ainsi, à travers la communion, par laquelle tous les membres sont au service les uns des autres, l’Église locale apparaît déjà « synodale » ou « conciliaire » dans sa structure. Cette « synodalité » ne se manifeste pas seulement dans les relations de solidarité, d’assistance mutuelle et de complémentarité qui existent entre les différents ministères ordonnés. Bien sûr, le presbyterium est le concile de l’évêque (cf. saint Ignace d’Antioche, Aux Tralians, 3) et le diacre est son « bras droit » (Didascalia Apostolorum, 2, 28, 6), de sorte que, selon la recommandation de saint Ignace d’Antioche, tout doit être fait de concert (cf. Aux Ephésiens, 6). Toutefois, la synodalité implique également tous les membres de la communauté dans l’obéissance à l’évêque, qui est le protos et le chef (kephale) de l’Église locale, comme l’exige la communion ecclésiale. Conformément aux traditions orientale et occidentale, la participation active des laïcs, hommes et femmes, des membres des communautés monastiques et des personnes consacrées, a lieu dans le diocèse et dans la paroisse par de nombreuses formes de service et de mission.

21. Les charismes des membres de la communauté ont leur origine dans l’unique Esprit Saint, et sont orientés vers le bien de tous. Ce fait met en lumière à la fois les exigences et les limites de l’autorité de chacun dans l’Église. Il ne devrait y avoir ni passivité ni substitution de fonctions, ni négligence ni domination de quiconque sur un autre. Dans l’Église, tous les charismes et les ministères convergent dans l’unité sous le ministère de l’évêque qui est au service de la communion de l’Église locale. Tous sont appelés à être renouvelés par l’Esprit Saint dans les sacrements, et à répondre par une conversion constante (metanoia), de façon à ce que leur communion dans la vérité et la charité soit assurée.

2. Le niveau régional

22. L’Église se révélant elle-même comme catholique dans la synaxis de l’Église locale, cette catholicité doit se manifester effectivement dans la communion avec les autres Églises qui confessent la même foi apostolique et qui partagent la même structure ecclésiale fondamentale, en commençant par celles qui sont les plus proches en vertu de leur responsabilité commune pour la mission dans leur région (cf. Document de Munich, III, 3, et Document de Valamo, nos 52 et 53). La communion entre les Églises est exprimée dans l’ordination des évêques. Cette ordination est conférée selon l’ordre canonique par trois évêques ou plus, ou tout au moins par deux d’entre eux (cf. Nicée I, canon 4), qui agissent au nom du corps épiscopal et du peuple de Dieu, ayant eux-mêmes reçu leur ministère de l’Esprit Saint par l’imposition des mains dans la succession apostolique. Lorsque cela est accompli en conformité aux canons, la communion entre les Églises à travers la foi véritable, les sacrements et la vie ecclésiale est assurée, de même que la communion vivante avec les générations précédentes.

23. Cette communion réelle entre plusieurs Églises locales, chacune d’elles étant l’Église catholique dans un lieu particulier, a été exprimée par certaines pratiques : la participation des évêques de sièges voisins à l’ordination d’un évêque de l’Église locale ; l’invitation d’un évêque d’une autre Église à concélébrer dans la synaxis de l’Église locale ; l’accueil des fidèles de ces autres Églises au partage de la table eucharistique ; l’échange de lettres à l’occasion d’une ordination ; et enfin, l’offre d’assistance matérielle.

24. Un canon accepté en Orient comme en Occident décrit les rapports entre les Églises locales d’une même région : « Les évêques de chaque nation (ethnos) doivent reconnaître celui qui est le premier (protos) parmi eux et le considérer comme leur chef (kephale), et ne rien faire d’important sans son consentement (gnome) ; chaque évêque ne peut faire que ce qui concerne son propre diocèse (paroikia) et les territoires qui en dépendent. Mais le premier (protos) ne peut rien faire sans le consentement de tous. Car de cette façon la concorde (homonoia) règnera et Dieu sera glorifié par le Seigneur dans l’Esprit Saint » (Canon apostolique 34).

25. Cette norme, qui réapparaît sous plusieurs formes dans la tradition canonique, s’applique à toutes les relations entre les évêques d’une même région, que ce soit d’une province, d’une métropolie ou d’un patriarcat. On peut en trouver l’application pratique dans les synodes ou les conciles d’une province, d’une région ou d’un patriarcat. Le fait qu’un synode régional soit toujours composé essentiellement d’évêques, même lorsqu’il comprend d’autres membres de l’Église, révèle la nature de l’autorité synodale. Seuls les évêques ont voix délibérante. L’autorité d’un synode est basée sur la nature du ministère épiscopal lui-même et manifeste la nature collégiale de l’épiscopat au service de la communion des Églises.

26. En soi, un synode (ou concile) implique la participation de tous les évêques d’une région. Il est gouverné selon le principe du consensus et de la concorde (homonoia), exprimé par la concélébration eucharistique, comme l’implique la doxologie finale du Canon apostolique 34 mentionné ci-dessus. Il reste toutefois que chaque évêque, dans l’exercice de son ministère pastoral, est
juge et responsable devant Dieu des affaires de son diocèse (cf. saint Cyprien, Ep. 55, 21) ; ainsi, il est le gardien de la catholicité de son Église locale et doit toujours veiller attentivement à la promotion de la communion catholique avec d’autres Églises.

27. Par conséquent, un synode ou concile régional n’a aucune autorité sur d’autres régions ecclésiastiques. Néanmoins, l’échange d’informations et les consultations entre les représentants de plusieurs synodes sont une manifestation de catholicité, ainsi que de cette mutuelle assistance et charité fraternelle qui devrait être la règle entre toutes les Églises locales, pour le plus grand bien commun. Chaque évêque est responsable pour toute l’Église avec tous ses collègues dans l’unique et même mission apostolique.

28. De cette façon, plusieurs provinces ecclésiastiques sont parvenues à resserrer leurs liens de responsabilité commune. Ce fut l’un des facteurs qui ont donné naissance aux patriarcats dans l’histoire de l’Église. Les synodes patriarcaux sont gouvernés selon les mêmes principes ecclésiologiques et les mêmes normes canoniques que les synodes provinciaux.

29. Dans les siècles qui ont suivi, de nouvelles configurations de communion entre Églises locales se sont développées en Orient comme en Occident. De nouveaux patriarcats et de nouvelles Églises autocéphales ont été fondés dans l’Orient chrétien, et dans l’Église latine un type particulier de regroupement d’évêques est récemment apparu : les Conférences épiscopales. D’un point de vue ecclésiologique, ce ne sont pas de simples subdivisions administratives : elles expriment l’esprit de communion dans l’Église, tout en respectant la diversité des cultures humaines.

30. En fait, quels que soient les contours et la réglementation canonique de la synodalité régionale, celle-ci démontre que l’Église de Dieu n’est pas une communion de personnes ou d’Églises locales coupées de leurs racines humaines. Parce qu’elle est communauté de salut et parce que ce salut est « la restauration de la création » (cf. saint Irénée, Adv. Haer., 1, 36, 1), elle englobe la personne humaine dans tout ce qui l’unit à la réalité humaine créée par Dieu. L’Église n’est pas un simple ensemble d’individus ; elle est composée de communautés qui ont des cultures, des histoires et des structures sociales différentes.

31. Dans le regroupement d’Églises locales au niveau régional, la catholicité apparaît sous sa vraie lumière. Elle est l’expression de la présence du salut non pas dans un univers indifférencié mais dans le genre humain tel que Dieu l’a créé et qu’Il vient le sauver. Dans le mystère du salut, la nature humaine est à la fois assumée dans sa plénitude et guérie de ce que le péché lui a affecté par l’autosuffisance, l’orgueil, le mépris des autres, l’agressivité, la jalousie, l’envie, la fausseté et la haine. La koinonia ecclésiale est le don par lequel tout le genre humain est unifié dans l’Esprit du Seigneur ressuscité. Cette unité créée par l’Esprit, loin de sombrer dans l’uniformité, exige et préserve ainsi – et, d’une certaine manière, met en valeur – la diversité et la particularité.

3. Le niveau universel

32. Chaque Église locale est en communion non seulement avec les Églises voisines, mais avec la totalité des Églises locales, avec celles qui sont actuellement présentes dans le monde, celles qui le sont depuis le début et celles qui le seront dans le futur, et avec l’Église qui est déjà dans la gloire. Selon la volonté du Christ, l’Église est une et indivisible, la même toujours et en tout lieu. Dans le Credo nicéo-constantinopolitain, les deux parties confessent que l’Église est une et catholique. Sa catholicité embrasse non seulement la diversité des communautés humaines mais également leur unité fondamentale.

33. Par conséquent, il est clair qu’une unique et même foi doit être confessée et vécue dans toutes les Églises locales, que la même et unique Eucharistie doit être célébrée partout et que le même et unique ministère apostolique doit être à l’œuvre dans toutes les communautés. Une Église locale ne peut pas modifier le Credo qui a été formulé par les Conciles œcuméniques, bien que l’Eglise doive toujours « donner des réponses appropriées à de nouveaux problèmes, des réponses basées sur les Écritures, en accord et en continuité essentielle avec les expressions des dogmes précédentes » (Document de Bari, 29). De même, une Église locale ne peut modifier, par une décision unilatérale, un point fondamental concernant la forme du ministère, et aucune Église locale ne peut célébrer l’Eucharistie en se séparant volontairement des autres Églises locales, sans affecter sérieusement la communion ecclésiale. Toutes ces choses touchent au lien de communion lui-même – et donc à l’essence même de l’Église.

34. C’est en raison de cette communion que toutes les Églises, avec les canons, règlent tout ce qui se rapporte à l’Eucharistie et aux sacrements, au ministère et à l’ordination, à la transmission (paradosis) et à l’enseignement (didaskalia) de la foi. On comprend clairement pourquoi, dans ce domaine, des règles canoniques et des normes disciplinaires sont nécessaires.

35. Au cours de l’histoire, lorsque de graves problèmes se sont posés concernant la communion et la concorde universelles entre les Églises – au sujet soit de l’interprétation authentique de la foi, ou des ministères et de leur relation avec l’ensemble de l’Église, ou de la commune discipline qu’exige la fidélité à l’Évangile – on a eu recours aux Conciles œcuméniques. Ces conciles étaient œcuméniques non seulement parce qu’ils réunissaient des évêques de toutes les régions, et en particulier ceux des cinq sièges principaux, Rome, Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem, selon l’ordre ancien (taxis). C’était aussi parce que leurs décisions solennelles en matière de doctrine, et leurs formulations communes concernant la foi, surtout sur des points cruciaux, engagent toutes les Églises et tous les fidèles, en tout temps et en tout lieu. C’est pourquoi les décisions des Conciles œcuméniques sont toujours normatives.

36. L’histoire des Conciles œcuméniques montre ce qui doit être considéré comme leurs caractéristiques particulières. Cette question devra être étudiée plus profondément dans notre futur dialogue, en tenant compte de l’évolution des structures ecclésiales au cours des derniers siècles en Orient comme en Occident.

37. Le caractère œcuménique des décisions d’un Concile est reconnu à travers un processus de réception qui peut être de longue ou courte durée, selon lequel le peuple de Dieu dans son ensemble – à travers la réflexion, le discernement, la discussion et la prière – reconnaît dans ces décisions l’unique foi apostolique des Églises locales, qui a toujours été la même et dont les évêques sont les enseignants (didaskaloi) et les gardiens. Ce processus de réception est interprété différemment en Orient et en Occident, selon les traditions canoniques respectives.

38. Par conséquent, la conciliarité ou synodalité implique beaucoup plus que des évêques réunis en assemblée. Elle implique également leurs Églises. Les premiers sont les gardiens de la foi de ces dernières, dont ils font entendre la voix. Les décisions des évêques doivent être reçues dans la vie des Églises, surtout dans leur vie liturgique. Chaque Concile œcuménique reçu comme tel, au sens propre et intégral du terme, est en conséquence une manifestation et un service rendu à toute l’Eglise comme communion.

39. Différemment des synodes diocésains et régionaux, un Concile œcuménique n’est pas une « institution » dont la fréquence peut être réglementée par des canons ; c’est plutôt un « évènement », un kairos inspiré par l’Esprit Saint qui
guide l’Église afin d’engendrer en elle les institutions qui lui sont nécessaires et qui correspondent à sa nature. Cette harmonie entre l’Église et les Conciles est si profonde, même après la rupture entre l’Orient et l’Occident qui rendrait impossible la convocation de Conciles œcuméniques au sens strict du terme, que les deux Églises ont continué de tenir des conciles chaque fois que des crises sérieuses surgissaient. Ces Conciles réunissaient les évêques des Églises locales en communion avec le Siège de Rome ou, bien que compris de manière différente, avec le Siège de Constantinople. Dans l’Église catholique romaine, certains de ces Conciles tenus en Occident étaient considérés œcuméniques. Cette situation, qui obligeait les deux côtés de la chrétienté à convoquer des Conciles propres à chacun d’eux, a favorisé les dissensions qui ont contribué à un éloignement mutuel. Il faudra chercher les moyens qui permettront de rétablir le consensus œcuménique.

40. Pendant le premier millénaire, la communion universelle des Églises, dans le cours normal des évènements, a été maintenue par les relations fraternelles entre les évêques. Ces relations des évêques entre eux, entre les évêques et leurs protoi respectifs, et également entre ces mêmes protoi dans l’ordre (taxis) canonique dont témoigne l’Église primitive, ont nourri et consolidé la communion ecclésiale. L’histoire enregistre les consultations, les lettres et les appels adressés aux principaux Sièges, en particulier au Siège de Rome, qui expriment vivement la solidarité créée par la koinonia. Les dispositions canoniques, telles que l’insertion des noms des évêques des principaux Sièges dans les diptyques, et la communication de la profession de foi aux autres patriarches à l’occasion des élections, sont des expressions concrètes de koinonia.

41. Les deux parties sont d’accord pour dire que cette taxis canonique était reconnue par tous pendant la période de l’Église indivise. Ils sont également d’accord que Rome, en tant qu’Église qui « préside dans la charité », selon l’expression de saint Ignace d’Antioche (Aux Romains, Prologue), occupait la première place dans la taxis et que l’évêque de Rome était par conséquent le protos parmi les patriarches. Toutefois, ils ne sont pas d’accord sur l’interprétation des témoignages historiques de cette période concernant les prérogatives de l’évêque de Rome comme protos, une question déjà comprise de différentes manières pendant le premier millénaire.

42. La conciliarité au niveau universel, exercée dans les Conciles œcuméniques, implique un rôle actif de l’évêque de Rome en tant que protos des évêques des Sièges principaux, dans le consensus des évêques rassemblés. Bien que l’évêque de Rome ne convoquait pas les Conciles œcuméniques durant les premiers siècles et ne les a jamais présidés personnellement, il était néanmoins étroitement impliqué dans le processus décisionnel des Conciles.

43. Primauté et conciliarité sont réciproquement interdépendantes. Pour cette raison la primauté aux différents niveaux de la vie de l’Église, locale, régionale et universelle, doit toujours être vue dans le contexte de la conciliarité et, de même, la conciliarité dans le contexte de la primauté.

En ce qui concerne la primauté aux différents niveaux, nous désirons affirmer les points suivants :

1. La primauté, à tous les niveaux, est une pratique fermement fondée dans la tradition canonique de l’Église.

2. Alors que le fait de la primauté au niveau universel est accepté en Orient comme en Occident, il existe des différences de compréhension concernant la manière dont cette primauté doit être exercée et également concernant ses fondements scripturaires et théologiques.

44. Dans l’histoire de l’Orient et de l’Occident, tout au moins jusqu’au IXe siècle, une série de prérogatives, toujours dans le contexte de la conciliarité et selon les conditions des temps, a été reconnue au protos ou kephale à chacun des niveaux ecclésiastiques établis : localement, pour l’évêque comme protos de son diocèse par rapport à ses presbytres et à ses fidèles ; régionalement, pour le protos de chaque métropolie par rapport aux évêques de sa province, et pour le protos de chacun des cinq patriarcats par rapport aux métropolites de chaque circonscription ; et universellement, pour l’évêque de Rome en tant que protos parmi les patriarches. Cette distinction de niveaux ne diminue pas l’égalité sacramentelle de chaque évêque ni la catholicité de chaque Église locale.

Conclusion

45. Nous devons étudier de manière plus approfondie la question du rôle de l’évêque de Rome dans la communion de toutes les Églises. Quelle est la fonction spécifique de l’évêque du « premier Siège » dans une ecclésiologie de koinonia et en vue de ce que nous avons dit sur la conciliarité et l’autorité dans le présent texte ? Comment l’enseignement des Conciles Vatican I et Vatican II sur la primauté universelle devrait-il être compris et vécu à la lumière de la pratique ecclésiale du premier millénaire ? Ce sont des questions cruciales pour notre dialogue et pour nos espoirs de rétablissement de la pleine communion entre nous.

Nous, les membres de la Communion mixte internationale pour le Dialogue théologique entre l’Église catholique romaine et l’Église orthodoxe, sommes convaincus que la déclaration ci-dessus concernant la communion ecclésiale, la conciliarité et l’autorité, représente un progrès positif et significatif dans notre dialogue, et qu’elle offre une base solide pour de futures discussions sur la question de la primauté au niveau universel de l’Eglise. Nous sommes conscients que de nombreuses questions épineuses restent à éclaircir, mais nous espérons que, soutenus par la prière de Jésus : « Que tous soient un … afin que le monde croie » (Jn 17,21), et en obéissance à l’Esprit Saint, nous pouvons progresser à partir de l’accord déjà obtenu. En réaffirmant et en confessant « un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême » (Ep 4,5), nous rendons gloire à la Sainte Trinité, à Dieu le Père, le Fils et le Saint Esprit, qui nous a réunis ensemble.

[1] Des participants orthodoxes ont estimé qu’il était important de souligner que l’emploi des termes « l’Église », « l’Église universelle », « l’Église indivisible » et « le Corps du Christ » dans ce document et dans des documents analogues produits par la Commission mixte, n’amoindrit nullement l’auto-compréhension de l’Église orthodoxe comme étant l’Église une, sainte, catholique et apostolique, dont parle le Credo de Nicée. Du point de vue catholique, la même conscience de soi s’applique également : l’Église une, sainte, catholique et apostolique « subsiste dans l’Église catholique » (Lumen Gentium, 8) ; cela n’exclut pas la reconnaissance de la présence d’éléments de l’Eglise véritable en dehors de la communion catholique.

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ZENIT Staff

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