Deuxième prédication de l’Avent : Jean Baptiste, « plus qu’un prophète »

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Proposée par le P. Cantalamessa, au pape et à la curie romaine

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ROME, Vendredi 14 décembre 2007 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral de la deuxième prédication de l’Avent prononcée ce vendredi matin, au Vatican, dans la chapelle Redemptoris Mater, par le P. Raniero Cantalamessa OFM Cap, prédicateur de la Maison pontificale, en présence du pape et de membres de la curie romaine.

P. Raniero Cantalamessa

Deuxième prédication de l’Avent

JEAN BAPTISTE, « PLUS QU’UN PROPHETE »

La dernière fois, j’ai essayé, en partant du texte de la Lettre aux Hébreux 1, 1-3 de définir l’image de Jésus qui ressort de la confrontation avec les prophètes. Mais entre le temps des prophètes et celui de Jésus, il y a une figure spéciale qui sert de charnière entre les premiers et le second : Jean Baptiste. Rien dans le Nouveau Testament n’éclaire mieux la nouveauté du Christ que la confrontation avec Jean Baptiste.

Le thème de l’accomplissement, du tournant décisif, ressort clairement des textes dans lesquels Jésus lui-même parle de sa relation avec le Précurseur. Les experts reconnaissent aujourd’hui que les déclarations à ce sujet qui figurent dans les Evangiles ne sont ni des inventions ni des adaptations apologétiques de la communauté postérieure à la Pâque, mais remontent essentiellement au Jésus historique. Certaines d’entre elles deviennent même incompréhensibles si on les attribue à la communauté chrétienne postérieure (1).

Le meilleur moyen d’entrer en harmonie avec la liturgie de l’Avent est d’entreprendre une réflexion sur Jésus et Jean Baptiste. La figure et le message du Précurseur sont précisément au coeur de l’Evangile du deuxième et du troisième Dimanche de l’Avent. Il y a une progression dans l’Avent : la première semaine, la voix qui domine est celle du prophète Isaïe qui annonce le Messie de loin ; la deuxième et la troisième semaine, c’est celle de Jean Baptiste qui annonce le Christ présent ; la dernière semaine, le prophète et le Précurseur laissent la place à la Mère qui le porte dans son sein.

Dans cette chapelle, nous avons le Précurseur devant les yeux à deux moments : sur le mur latéral nous le voyons en train de baptiser Jésus, penché sur lui en signe de reconnaissance de sa supériorité ; sur le mur du fond, dans l’attitude de la Deesis typique de l’iconographie byzantine.

1. Le grand tournant

Le texte le plus complet dans lequel Jésus s’exprime sur sa relation avec Jean Baptiste est le passage de l’Evangile que la liturgie nous fera lire dimanche prochain à la messe. De sa prison, Jean envoie ses disciples demander à Jésus : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » (Mt 11, 2-6 ; Lc 7, 19-23).

Jean a l’impression que la prédication du Maître de Nazareth qu’il avait lui-même baptisé et présenté à Israël, prend une direction bien différente de la direction flamboyante à laquelle il s’attendait. Il prêche davantage la miséricorde présente, offerte à tous, justes et pécheurs, que le jugement imminent de Dieu.

Le passage le plus significatif de tout le texte est l’éloge que Jésus fait de Jean Baptiste après avoir répondu à sa question : « Qu’êtes-vous allés voir… ? …Un prophète ? Oui, je vous le dis, et bien plus qu’un prophète… Amen, je vous le dis : Parmi les hommes, il n’en a pas existé de plus grand que Jean Baptiste ; et cependant le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que lui. Depuis le temps de Jean Baptiste jusqu’à présent, le Royaume des cieux subit la violence, et des violents cherchent à s’en emparer. Tous les Prophètes, ainsi que la Loi, ont parlé jusqu’à Jean. Et, si vous voulez bien comprendre, le prophète Élie qui doit venir, c’est lui. Celui qui a des oreilles, qu’il entende ! » (Mt 11, 11-15).

Une chose apparaît clairement dans ces paroles : entre la mission de Jean Baptiste et celle de Jésus il s’est passé une chose décisive qui représente une ligne de séparation entre deux époques. Le barycentre de l’histoire s’est déplacé : l’élément le plus important ne se trouve plus dans un avenir plus ou moins imminent, mais est « maintenant et ici », dans le royaume qui est déjà à l’œuvre dans la personne du Christ. Un saut de qualité s’est produit entre les deux prédications : le plus petit dans le nouvel ordre est supérieur au plus grand dans l’ordre précédent.

Ce thème de l’accomplissement et du tournant décisif est confirmé dans de nombreux autres passages de l’Evangile. Il suffit de rappeler quelques paroles de Jésus comme : « Il y a ici bien plus que Jonas !… Il y a ici bien plus que Salomon ! » (Mt 12, 41-42). « Mais vous, heureux vos yeux parce qu’ils voient, et vos oreilles parce qu’elles entendent ! Amen, je vous le dis : beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu ! » (Mt 13, 16-17). Toutes celles que l’on a surnommées les « paroles du royaume » – on peut penser à celles du trésor caché et de la perle précieuse – expriment, chaque fois de manière différente, la même idée de fond : avec Jésus, l’heure décisive de l’histoire a sonné, devant lui s’impose la décision dont dépend le salut.

C’est cette constatation qui a amené les disciples de Bultmann a se séparer de leur maître. Bultmann situait Jésus dans le judaïsme, faisant de lui les prémisses du christianisme, pas encore un chrétien ; il attribuait en revanche le grand tournant à la foi de la communauté née après la Pâque. Bornkamm et Conzelmann se sont rendus compte de l’incohérence de cette thèse : le « tournant décisif » est déjà amorcé par la prédication de Jésus. Jean appartient aux « prémisses » et à la préparation, mais avec Jésus on est déjà dans le temps de l’accomplissement.

Dans son livre « Jésus de Nazareth », le Saint-Père confirme cette conquête de l’exégèse plus sérieuse et mise à jour. Il écrit : « Pour qu’on en vienne à ce choc radical, pour qu’on recoure à l’extrémité qui consistait à livrer Jésus aux Romains, il avait bien fallu que se produise et que se dise quelque chose de dramatique. Ce qu’il y a de scandaleux et de grand se situe justement au commencement, et l’Eglise naissante a dû faire un long chemin pour en mesurer toute la grandeur, pour la saisir progressivement dans un processus de ‘remémoration’ réflexive. […] Non, ce qu’il y a de grand, de nouveau et de scandaleux est justement le fait de Jésus. Tout cela se développe dans la foi et dans vie de la communauté, mais ce n’est pas là que cela est créé. Oui, la ‘communauté’ ne se serait pas d’abord constituée et n’aurait pas survécu, si une réalité extraordinaire ne l’avait pas précédée » (2).

Dans la théologie de Luc il est évident que Jésus occupe « le centre du temps ». Par sa venue il a divisé l’histoire en deux parties, créant un « avant » et un « après » absolus. Aujourd’hui est en train de s’affirmer, surtout dans la presse laïque, l’habitude d’abandonner la manière traditionnelle de dater les événements « avant Jésus Christ » ou « après Jésus Christ » (ante Christum natum e post Christum natum), en faveur de la formule plus neutre « avant l’ère vulgaire » et « de l’ère vulgaire ». Il s’agit d’un choix motivé par le désir de ne pas heurter la sensibilité des peuples d’autres religions qui utilisent la chronologie chrétienne ; en ce sens, elle est à respecter, mais pour les chrétiens le rôle « discriminant » de la venue du Christ pour l’histoire religieuse de l’humanité reste incontesté.

2. Il vous baptisera dans l’Esprit Saint

Maintenant, comme toujours, nous allons partir de la certitude exégétique et théologique mise en lumière pour en venir à notre vie aujourd’hui.

La comparaison entre Jean Baptiste et Jésu
s est cristallisée dans le Nouveau Testament par la comparaison entre le baptême de l’eau et le baptême de l’Esprit. « Moi, je vous ai baptisés avec de l’eau, mais lui vous baptisera avec l’Esprit Saint » (Mc 1, 8 ; Mt 3, 11 ; Lc 3, 16). « Et moi, je ne le connaissais pas, dit Jean Baptiste dans l’Evangile de Jean, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau, celui-là m’avait dit : ‘Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, c’est lui qui baptise dans l’Esprit Saint’ » (Jn 1, 33). Et Pierre, chez Corneille : « Je me suis alors rappelé cette parole du Seigneur. Jean, disait-il, a baptisé avec de l’eau mais vous, vous serez baptisés dans l’Esprit Saint » (Ac 11, 16).

Que signifie affirmer que Jésus est celui qui baptise dans l’Esprit Saint ? Cette expression ne sert pas seulement à différencier le baptême de Jésus de celui de Jean ; elle sert aussi à distinguer toute la personne et l’œuvre du Christ de celles de son Précurseur. En d’autres termes, dans toute son œuvre, Jésus est celui qui baptise dans l’Esprit Saint. Baptiser a ici un sens métaphorique ; cela signifie inonder, envelopper de toutes parts, comme fait l’eau avec les corps qui y sont immergés.

Jésus « baptise dans l’Esprit Saint » dans le sens où il reçoit et donne l’Esprit « sans mesure » (cf. Jn 3, 34), qui « répand » son Esprit (Ac 2, 33) sur toute l’humanité rachetée. Cette expression se réfère davantage à l’événement de la Pentecôte qu’au sacrement du baptême. « Jean, lui, a baptisé avec de l’eau, mais vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés sous peu de jours » (Ac 1, 5), dit Jésus aux apôtres, en faisant bien sûr référence à la Pentecôte qui allait avoir lieu quelques jours plus tard.

L’expression « baptiser dans l’Esprit » définit donc l’œuvre essentielle du Messie qui, déjà dans les prophètes de l’Ancien Testament se présente comme orientée à régénérer l’humanité à travers une grande et universelle effusion de l’Esprit de Dieu (cf. Jl 3, 1 ss.). Si nous appliquons tout cela à la vie et au temps de l’Eglise, nous devons conclure que Jésus ressuscité ne baptise pas dans l’Esprit Saint uniquement à travers le sacrement du baptême mais, de manière différente, également à d’autres moments : dans l’Eucharistie, dans l’écoute de la Parole, et, en général, à travers tous les moyens de grâce.

Saint Thomas d’Aquin écrit : « Il y a une mission invisible de l’Esprit chaque fois que s’accomplit un progrès dans la vertu ou une augmentation de grâce… ; lorsque quelqu’un passe à une nouvelle activité ou à un nouvel état de grâce » (3). La liturgie même de l’Eglise enseigne cela. Toutes ses prières et ses hymnes à l’Esprit Saint commencent par le cri : « Viens ! » : « Viens Esprit Créateur », « Viens, Esprit Saint ». Et pourtant, celui qui prie ainsi a déjà reçu une fois l’Esprit. Cela signifie que l’Esprit est quelque chose que nous avons reçu et que nous devons recevoir toujours à nouveau.

3. L’effusion de l’Esprit

Dans ce contexte il faut évoquer ce que l’on a appelé le « baptême de l’Esprit », une expérience vécue depuis un siècle par des millions de croyants de presque toutes les dénominations chrétiennes. Il s’agit d’un rite fait de gestes d’une grande simplicité, accompagnés par des dispositions de repentir et de foi dans la promesse du Christ : « Le Père donnera l’Esprit Saint à ceux qui l’en prient ».

Il s’agit d’un renouvellement et d’une activation, non seulement du baptême et de la confirmation mais de tous les événements de grâce de notre état : ordination sacerdotale, profession religieuse, mariage. La personne intéressée s’y prépare, à travers une bonne confession mais aussi en participant à des rencontres de catéchèse, dans lesquelles il redécouvre de manière vivante et joyeuse les principales vérités et réalités de la foi : l’amour de Dieu, le péché, le salut, la vie nouvelle, la transformation dans le Christ, les charismes, les fruits de l’Esprit. Le tout dans un climat de profonde communion fraternelle.

Parfois en revanche, tout se passe de manière spontanée, en dehors de tout plan précis, et on est comme « surpris » par l’Esprit. Un homme a donné ce témoignage : « J’étais dans l’avion et je lisais le dernier chapitre d’un livre sur l’Esprit Saint. A un moment donné, c’est comme si l’Esprit Saint était sorti des pages du livre et était entré dans mon corps. Les larmes commencèrent à ruisseler de mes yeux. Je me mis à prier. J’étais submergé par une force qui me dépassait totalement » (4).

L’effet le plus courant de cette grâce est que l’Esprit Saint, qui était un objet de foi intellectuelle plus ou moins abstrait, devient un fait d’expérience. Karl Rahner a écrit : « On ne peut nier que l’homme puisse faire ici-bas des expériences de grâce, qui lui donnent un sentiment de libération, lui ouvrent des horizons complètement nouveaux, s’impriment profondément en lui, le transforment, et façonnent, même pour longtemps, son comportement chrétien le plus profond. Rien n’interdit d’appeler ces expériences effusion de l’Esprit » (5).

A travers ce que l’on appelle justement « effusion de l’Esprit » [littéral. « baptême de l’Esprit », ndlr] on fait l’expérience de l’onction de l’Esprit Saint dans la prière, de sa puissance dans le ministère pastoral, de son réconfort dans l’épreuve, de sa présence comme guide dans les choix. Avant même de le percevoir dans la manifestation des charismes, on le perçoit comme Esprit qui transforme intérieurement, donne le goût de la louange de Dieu, ouvre l’esprit à la compréhension des Ecritures, enseigne à proclamer Jésus « Seigneur » et donne le courage d’assumer des tâches nouvelles et difficiles, au service de Dieu et de son prochain.

Cette année, c’est le quarantième anniversaire de la retraite qui marqua, en 1967, la naissance du Renouveau charismatique dans l’Eglise catholique que l’on estime avoir touché, en quelques années, pas moins de quatre-vingts millions de catholiques. Voici comment l’une des personnes présentes à cette première retraite décrivait les effets de l’effusion de l’Esprit :

« Notre foi est devenue vive : notre croyance est devenue une sorte de connaissance. À l’improviste, le surnaturel est devenu plus réel que le naturel. En bref, Jésus est devenu une personne vivante pour nous… La prière et les sacrements sont vraiment devenus notre pain quotidien et non plus de ‘pieuses pratiques’. Un amour pour les Écritures que je n’aurais jamais cru possible, une transformation de nos relations avec les autres, un besoin et une force de témoigner au-delà de toute attente ; tout cela fait maintenant partie de notre vie. L’expérience initiale du baptême dans l’Esprit ne nous a pas donné une émotion extérieure particulière mais la vie s’est remplie de calme, de confiance, de joie et de paix… Nous avons chanté le Veni creator Spiritus avant chaque rencontre, en prenant au sérieux ce que nous disions et nous n’avons pas été déçus… Nous avons aussi été inondés de charismes et tout cela nous a mis dans une parfaite atmosphère œcuménique » (6).

Nous voyons tous clairement que ce sont précisément les choses dont l’Eglise a le plus besoin aujourd’hui pour annoncer l’Evangile à un monde devenu réfractaire à la foi et au surnaturel. Il n’est pas dit que tous soient appelés à faire l’expérience de la grâce d’une nouvelle Pentecôte de cette manière. Cependant, nous sommes tous appelés à ne pas rester en dehors de ce « courant de grâce » qui traverse l’Eglise de l’après Concile. Jean XXIII parla, à son époque, d’une « nouvelle Pentecôte » ; Paul VI est allé plus loin et a parlé d’une « perpétuelle Pentecôte », d’une Pentecôte continuelle. Cela vaut la peine de réentendre les paroles qu’il prononça au cours d’une audience générale :

« Nous nous sommes demandés souvent […] que
l est le besoin premier et dernier pour notre Église bénie et très chère […]. Nous devons le dire, presque anxieux et en priant parce que c’est son mystère et sa vie, vous le savez : l’Esprit, l’Esprit-Saint, animateur et sanctificateur de l’Église, son souffle divin, le vent de ses voiles, son principe unificateur, sa source intérieure de lumière et de force, son soutien et son consolateur, sa source de charismes et de chants, sa paix et sa joie, son gage et son prélude de vie bienheureuse et éternelle (cf. Lumen gentium, 5). L’Église a besoin de sa perpétuelle Pentecôte ; elle a besoin de feu dans le cœur, de parole sur les lèvres, de prophétie dans le regard […] L’Église a besoin d’acquérir de nouveau l’anxiété, le goût, la certitude de sa vérité » (7).

Le philosophe Heidegger concluait son analyse de la société par un cri d’alarme : « Seul un dieu peut nous sauver ». Ce Dieu qui peut nous sauver, et qui nous sauvera, nous chrétiens, le connaissons : c’est l’Esprit Saint ! L’aromathérapie est aujourd’hui très à la mode. Il s’agit de l’utilisation des huiles essentielles, qui distillent un parfum, pour maintenir en forme ou pour soigner certains troubles. Internet est rempli d’annonces pour l’aromathérapie. Celles-ci ne se limitent pas à promettre un bien-être physique comme soigner le stress ; il y a aussi les « parfums de l’âme », par exemple le parfum pour obtenir « la paix intérieure ».

Les médecins invitent à se méfier de cette pratique qui n’est pas prouvée scientifiquement et qui comporte même dans certains cas, des contre-indications, mais, ce que je veux dire, c’est qu’il existe une aromathérapie sûre, infaillible, qui ne comporte aucune contre-indication : celle qui est faite avec l’arôme spécial, le « saint chrême de l’âme » qui est l’Esprit Saint ! Saint Ignace d’Antioche a écrit : « Le Seigneur a reçu sur la tête une onction parfumée (myron) pour répandre l’incorruptibilité sur l’Eglise » (8). Nous ne pourrons être à notre tour « la bonne odeur du Christ » dans le monde (2 Co 2, 15) que si nous recevons cet « arôme ».

L’Esprit Saint est avant tout un spécialiste des maladies du mariage et de la famille, qui sont les grands malades d’aujourd’hui. Le mariage consiste à se donner l’un à l’autre, c’est le sacrement du don. L’Esprit Saint est le don devenu personne ; c’est le don du Père au Fils et du Fils au Père. Là où il arrive renaît la capacité de se donner et avec elle la joie et la beauté de vivre ensemble, pour les époux. L’amour de Dieu qu’il « répand dans nos cœurs » ravive toutes les autres expressions d’amour et en premier lieu l’amour conjugal. L’Esprit Saint peut véritablement faire de la famille « la principale agence de paix », comme la définit le Saint-Père dans le message pour la prochaine Journée mondiale de la paix.

Il existe de nombreux exemple de mariages morts, ressuscités à une vie nouvelle par l’action de l’Esprit. Précisément ces jours-ci, j’ai recueilli le témoignage émouvant d’un couple que je pense faire écouter lors de mon émission télévisée sur l’Evangile pour la fête du baptême de Jésus…

L’Esprit ravive naturellement aussi la vie des consacrés qui consiste à faire de sa vie un don et une oblation d’ « agréable odeur » à Dieu pour ses frères (cf. Ep 5, 2).

4. La nouvelle prophétie de Jean Baptiste

Revenons à Jean Baptiste. Il peut nous éclairer sur la manière d’accomplir notre tâche prophétique dans le monde d’aujourd’hui. Jésus définit Jean Baptiste « plus qu’un prophète », mais où est la prophétie dans son cas ? Les prophètes annonçaient un salut à venir ; mais le Précurseur n’annonce pas un salut à venir ; il indique un salut qui est présent. Dans quelle mesure peut-on alors l’appeler prophète ? Isaïe, Jérémie, Ezéchiel, aidaient le peuple à dépasser la barrière du temps ; Jean Baptiste aide le peuple à dépasser la barrière, plus grande encore, des apparences contraires, du scandale, de la banalité et de la pauvreté avec lesquelles l’heure fatidique se manifeste.

Il est facile de croire à quelque chose de grandiose, de divin, lorsqu’il se projette dans un avenir indéfini : « en ces jours », « les derniers jours », dans un cadre cosmique, avec les cieux qui distillent la douceur et la terre qui s’ouvre pour faire germer le Sauveur. C’est plus difficile quand on doit dire : « Le voici ! Il est là ! C’est lui ! ».

Par les paroles : « Au milieu de vous se tient quelqu’un que vous ne connaissez pas ! » (Jn 1, 26), Jean Baptiste a inauguré la nouvelle prophétie, celle du temps de l’Eglise, qui ne consiste pas à annoncer un salut à venir et lointain, mais à révéler la présence cachée du Christ dans le monde, à arracher le voile qui se trouve devant les yeux des personnes, à secouer leur indifférence, en répétant avec Isaïe : « Voici que je vais faire une chose nouvelle, déjà elle pointe, ne la reconnaissez-vous pas ? » (cf. Is 43, 19).

Il est vrai que vingt siècles se sont écoulés depuis et nous savons sur Jésus beaucoup plus de choses que Jean. Mais le scandale demeure. Au temps de Jean le scandale venait du corps physique de Jésus, de sa chair si semblable à la nôtre, à l’exception du péché. Aujourd’hui encore, c’est son corps, sa chair qui présente des difficultés et qui scandalise : son corps mystique, si semblable au reste de l’humanité, y compris, malheureusement, le péché.

« Le témoignage de Jésus – lit-on dans l’Apocalypse – c’est l’esprit de prophétie » (Ap 19, 10), c’est-à-dire que pour rendre témoignage à Jésus il faut un esprit de prophétie. Cet esprit de prophétie existe-t-il dans l’Eglise ? Le cultive-t-on ? L’encourage-t-on ? Ou croit-on, tacitement, pouvoir s’en passer, en misant davantage sur les moyens et les talents humains ?

Jean Baptiste nous enseigne que pour être prophète, une grande doctrine et une grande éloquence ne sont pas nécessaires. Ce n’est pas un grand théologien ; il a une christologie pauvre et rudimentaire. Il ne connaît pas encore les titres les plus élevés de Jésus : Fils de Dieu, Verbe, ni même celui de Fils de l’homme. Et pourtant, il réussit à transmettre la grandeur et l’unicité du Christ ! Il utilise des images extrêmement simples, des images de paysan. « Je ne suis pas digne de lui retirer ses sandales ». Le monde et l’humanité apparaissent, à travers ses paroles, comme contenus dans un crible que lui, le Messie, tient et secoue dans ses mains. Devant lui se décide qui reste et qui tombe, qui est le bon grain et qui est l’ivraie que le vent disperse.

En 1992 a eu lieu une retraite sacerdotale à Monterrey au Mexique, à l’occasion des 500 ans de la première évangélisation de l’Amérique latine. Environ 70 évêques et 1700 prêtres étaient présents. Au cours de l’homélie de la messe de clôture, j’avais parlé du besoin urgent de prophétie qui existe dans l’Eglise. Après la communion il y a eu une prière pour une nouvelle Pentecôte en petits groupes répartis dans la grande basilique. J’étais resté dans le chœur. A un moment donné, un jeune prêtre s’est approché de moi en silence, s’est agenouillé devant moi et avec un regard que je n’oublierai jamais il m’a dit : « Bendígame, Padre, quiero ser profeta de Dios! » (Bénissez-moi, Père, je veux être un prophète de Dieu). J’ai été saisi car je voyais qu’il était manifestement touché par la grâce.

Nous pourrions humblement faire nôtre le désir de ce prêtre : « Je veux être un prophète de Dieu ». Petit, inconnu de tous, peu importe, mais un prophète qui, comme le disait Paul VI, a « le feu dans le coeur, la parole sur les lèvres, la prophétie dans le regard ».

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NOTES

(1) Cf. J. D.G. Dunn, Christianity in the Making, I. Jesus remembered, Grand Rapids. Mich. 2003, parte III, cap. 12, trad. ital. Gli albori del Cristian
esimo
, I, 2, Paideia, Brescia 2006, pp. 485-496.

(2) Benoît XVI, Jésus de Nazareth, Flammarion 2007, p. 352

(3) S. Tommaso d’Aquino, Somma teologica, I,q. 43, a. 6, ad 2.; cf. F. Sullivan, in Dict.Spir. 12, 1045.

(4) In « New Covenant »(Ann Arbor, Michigan), Giugno 1984, p.12.

(5) K. Rahner, Erfahrung des Geistes. Meditation auf Pfingsten, Herder, Freiburg i. Br. 1977.

(6) Témoignage rapporté dans P. Gallagher Mansfield, As by a New Pentecost, Steubenville.

(7) Discours lors de l’audience générale du 29 novembre 1972, Paul VI

(8) S. Ignazio d’Antiochia, Agli Efesini 17.

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Traduit de l’italien par Gisèle Plantec/J.M. Coulet

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ZENIT Staff

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