Deux visions de l´homme : celle de Satan et celle de Jésus

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Homélie du dimanche 21 février, par le P. Laurent Le Boulc´h

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ROME, Dimanche 21 février 2009 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le commentaire de l’Evangile du dimanche 21 février, proposé par le P. Laurent Le Boulc’h.

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc (4, 1-13)

Après son baptême, Jésus, rempli de l’Esprit Saint, quitta les bords du Jourdain ; il fut conduit par l »Esprit à travers le désert où, pendant quarante jours, il fut mis à l’épreuve par le démon. Il ne mangea rien durant ces jours-là, et, quand ce temps fut écoulé, il eut faim. Le démon lui dit alors : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain. »

Jésus répondit : « Il est écrit : Ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre. »
Le démon l’emmena alors plus haut, et lui fit voir d’un seul regard tous les royaumes de la terre. Il lui dit : « Je te donnerai tout ce pouvoir, et la gloire de ces royaumes, car cela m’appartient et je le donne à qui je veux. Toi donc, si tu te prosternes devant moi, tu auras tout cela. »
Jésus lui répondit : « Il est écrit : Tu te prosterneras devant le Seigneur ton Dieu, et c’est lui seul que tu adoreras. »
Puis le démon le conduisit à Jérusalem, il le plaça au sommet du Temple et lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi à ses anges l’ordre de te garder ; et encore : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. »
Jésus répondit : « Il est dit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »
Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentations, le démon s’éloigna de Jésus jusqu’au moment fixé.

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Eduquer des adolescents n’est pas toujours facile quand les jeunes éprouvent le besoin de se confronter à leurs limites, de transgresser la loi et l’autorité, de jouer à trompe la mort. « Il faut bien que jeunesse se passe » dit-on. Mais ce travail d’éducation devient plus difficile quand la société a elle aussi tendance à valoriser ces comportements : on court après l’immortelle jeunesse, on supporte difficilement les frustrations de la vie, on rêve de vivre sans contraintes…

Dans le récit de Jésus au désert, on a l’impression que le tentateur, avec beaucoup de subtilités, vise la même cible. Il fait miroiter à Jésus le rêve de transformer des pierres en pain, défier les lois de la pesanteur et posséder l’univers entier. Dans ces trois tentations, le démon rejoint notre humanité dans son désir de vivre sans limites. Qui n’a pas rêvé un jour de ne plus avoir à gagner son pain, de transcender les limites de son corps, d’être maître de l’univers ? A quand l’homme enfin libéré par sa puissance de toutes ces entraves ? On peut se demander quelques fois si ce n’est pas là un des ressorts du progrès de la science ?

Le tentateur est redoutable. Comme dans le récit d’Adam et d’Eve, il se donne le meilleur des rôles. Il colle si bien à nos rêves. On lui donnerait « le bon Dieu sans confession » !

Non seulement Satan joue avec ce désir caché en l’homme de vaincre toutes ses limites mais il joue aussi avec l’identité divine de Jésus, son identité de Fils de Dieu. Le tentateur cherche à séduire Jésus en évoquant devant lui ce qu’il prétend savoir de la vie de Fils de Dieu : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne à ces pierres… Si tu es le Fils de Dieu jette toi en bas…». Qu’un homme rêve d’être sans limites comme Dieu, quoi de plus normal aux yeux de Satan, mais si cet homme en plus est le Fils de Dieu, de la race donc de Dieu, quoi de plus logique alors à ce qu’il prétende à la toute puissance illimitée. Pourquoi celui qui est fils de Dieu ne serait pas à l’abri de toutes les frustrations de la vie ?

Plus finement encore, le tentateur justifie sa manière de voir la vie de fils de Dieu en prenant appui, comme Jésus, sur les Ecritures. Il laisse croire que ce qu’il dit est fidèle à la volonté de Dieu lui-même, « car il est écrit » dit-il.

Entre Satan et Jésus, il y a donc deux façons de comprendre ce que c’est que vivre en homme, deux manières de comprendre ce que c’est que vivre en Fils de Dieu, deux lectures de la Parole qui s’opposent totalement. Vivre en homme, vivre en enfant de Dieu, vivre selon la Parole de Dieu n’ont pas du tout le même sens pour l’un et pour l’autre. Aucun compromis n’est possible entre les deux.

Le tentateur nous fait rêver d’une vie d’homme qui soit dès ici bas délivrée de tout manque. Dieu serait celui qui comble l’homme en lui épargnant toutes les frustrations. Or, les limites, les manques et les frustrations font partie de la condition humaine. Il n’y pas d’homme qui ne soit affronté un jour à la souffrance et à la mort. L’humanité dont fait rêver Satan est une humanité sortie de la condition humaine. La divinisation qu’il met en avant est un mirage hors de l’humain.

A l’opposé de Satan, pour Jésus, être fils de Dieu ne conduit pas à la divinisation de l’humain hors de l’humain. Une mutation de l’homme par une sortie de sa condition humaine. Bien au contraire, tout le nouveau Testament donne à contempler la merveille de l’incarnation du Fils de Dieu qui entre en Jésus dans notre condition humaine, ne craignant pas de prendre sur lui nos limites, nos manques et nos souffrances.

Dans ce sens, la révélation chrétienne peut paraître bien décevante. Pas de sortie ici-bas, même avec Dieu, des limites de notre corps, du mal et de la mort. L’accès à la terre promise passe par la traversée de ce désert.

L’Evangile de Jésus nous assure que c’est de l’intérieur de notre vie d’homme que la divinisation s’opère. C’est au cœur d’une existence qui assume les limites de l’humain, limites du vieillissement et de la mort, limites de l’espace, limites de la sexualité, que le mystère de la puissance de Dieu peut travailler.

Le récit des tentations nous interroge dans notre actualité. Il conteste tout rêve d’un Dieu, pourtant tellement présent aujourd’hui, qui serait à la disposition de l’homme pour lui épargner le dur à vivre. On attend si souvent de Dieu qu’il nous libère de nos maux. On lui reproche alors son inefficacité. « Si Dieu existait, il n’y aurait pas tout ce mal ».

Or le Dieu de Jésus ne nous enlève pas de notre condition d’homme. Il ne nous entraîne pas ailleurs. Au contraire, il plonge dedans avec nous. Il vient porter avec nous nos misères et nos croix. C’est là qu’il nous offre le pain et la parole de son amour seul capable de nous donner la vie. Il nous apprend alors à aimer dans notre condition humaine et nous ouvre ainsi à sa vie d’éternité.

C’est ainsi, qu’à la suite de Jésus, l’homme peut s’étonner de la profondeur extraordinaire de sa vie. Pas celle d’un surhomme ou d’un robot surprotégé, mais une vie d’homme avec ses hauts et ses bas, que l’amour de Dieu vient rejoindre pour l’éternité.

Que ce temps du carême, en cette marche vers Pâques, nous ouvre à l’espérance de cette traversée du mal et de la mort dans la résurrection du Christ. Amen.

Le P. Laurent Le Boulc’h est curé de la paroisse de Lannion et modérateur de la paroisse de Pleumeur Bodou, secrétaire général du conseil presbytéral du diocèse de Saint Brieuc et Tréguier (Côtes d’Armor – France).

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ZENIT Staff

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