Des "Justes parmi les Nations" de la diaspora russe canonisés par Constantinople

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« France Catholique » évoque l’ »œcuménisme des saints »

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CITE DU VATICAN, Mercredi 3 mars 2004 (ZENIT.org) – Cinq personnalités orthodoxes russes, dont certaines déportées par les nazis pour avoir sauvé des Juifs en France pendant l’Occupation, ont été « canonisées » par le patriarcat de Constantinople : les PP. Alexis Medvedkov (1867-1934) et Dimitri Klépinine (1904-1944), mort en déportation en camp nazi, Mère Marie Skobstov (1891-1945), qui sauva des enfants Juifs au « Vel’ d’hiv’  » et mourut gazée à Ravensbrück, son fils Georges Skobtsov (1921-1944), mort en déportation également, et Elie Fundaminski (1880-1942), baptisé avant d’être déporté à Auschwitz.

En 1985 l’Etat d’Israël a accordé le titre de « Justes parmi les nations » au père Dimitri et à Mère Marie.

« La canonisation des premiers saints de la diaspora orthodoxe » : dans cet article à paraître dans l’hebdomadaire français « France Catholique » (www.france-catholique.fr), du 12 mars 2004 (n° 2921), Antoine Arjakovsky évoque des nouveaux saints présenté à la vénération des fidèles par le patriarche de Constantinople, Bartholomaios Ier, et cet « œcuménisme des saints » dont parle Jean-Paul II. Remarquons que le mot « canonisation » ne recouvre pas exactement la même procédure dans l’Eglise catholique et dans l’Orthodoxie.

« La canonisation des premiers saints de la diaspora orthodoxe »

Dans Ut unum sint Jean-Paul II affirme que la sainteté est l’une des expressions prophétiques du témoignage chrétien de l’unité. Encore fallait-il que l’Eglise Orthodoxe reconnaisse parmi les siens les authentiques témoins du Christ. Or depuis 1988 l’Eglise russe a canonisé plus de saints qu’au cours des dix siècles de son histoire ! Et le patriarche de Constantinople vient quant à lui de canoniser un petit groupe de martyrs ayant vécu en France dans l’entre-deux guerres. Parmi eux on trouve des disciples de Nicolas Berdiaev et du père Serge Bulgakov, ayant travaillé étroitement avec les milieux protestants (John Mott), anglicans (bishop Walter Frere), et catholiques (Emmanuel Mounier et Jacques Maritain). Membres de la Résistance, ayant sauvé de nombreux juifs pendant la guerre, ils représentent probablement les saints orthodoxes les plus œcuméniques du XXe siècle. La chaîne d’or des saints permettra-t-elle un renouveau de la conscience ecclésiale ?

Le saint-synode du patriarcat œcuménique de Constantinople a procédé, le 16 janvier dernier, à la canonisation de personnalités marquantes de l’histoire spirituelle de l’émigration russe en France, les pères Alexis Medvedkov (1867-1934) et Dimitri Klépinine (1904-1944), la mère Marie (Skobstov) (1891-1945), son fils Georges Skobtsov (1921-1944) et Elie Fundaminski (1880-1942). Cette canonisation fait suite à la demande présentée au patriarcat par Mgr Gabriel, archevêque de Comanes, qui dirige l’archevêché des paroisses de tradition russe en Europe occidentale. Il s’agit des premiers saints de la ‘diaspora orthodoxe’ répandue partout dans le monde depuis deux siècles. Leur commémoration liturgique a été fixée par le patriarcat au 20 juillet, fête du saint prophète Elie selon le calendrier grégorien. De son côté, l’archevêque Gabriel a décidé d’inscrire également leurs noms au calendrier liturgique de l’archevêché au jour du décès de chacun d’eux.

Dans une lettre du 11 février, publiée par le Service Orthodoxe de Presse sur son site Internet (http://www.orthodoxpress.com) annonçant la célébration des nouveaux saints à Paris les 1er et 2 mai prochains, l’archevêque Gabriel a dégagé le sens spirituel de cette canonisation : « Face aux épreuves de notre temps, ils nous apportent un message de réconfort et d’espoir, de fidélité absolue à l’Evangile du Christ : humilité, douceur, abnégation, souci du faible et de l’opprimé, service du frère, esprit de sacrifice et amour, car « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour son Ami (Jn 15,13) (…) L’Eglise se construit sur le sang des martyrs et par la prière des justes. Ces saints seront pour nous un réconfort dans nos épreuves terrestres, des intercesseurs infatigables auprès du Seigneur notre Dieu, en vue de notre salut, et des guides sur la voie du Royaume céleste « .

Le père Alexis Medvedkov, arrivé en France en 1930, fut nommé recteur de la petite communauté d’Ugine en Savoie par Mgr Euloge. Il y accomplit son ministère pastoral avec abnégation, dans des conditions matérielles précaires et l’indifférence de la part de bien des membres de la paroisse, avant d’être emporté par un cancer. Tous les témoignages à son sujet s’accordent à dresser le portrait d’un homme de prière et d’une grande humilité. En 1956, lors d’une exhumation à l’occasion d’un réaménagement du cimetière d’Ugine, son corps est découvert intact, de même que les vêtements liturgiques dans lesquels il était enveloppé. L’année suivante, ses restes étaient déposés dans la crypte de l’église de la Dormition, au cimetière de Sainte-Geneviève-des-Bois.

Les quatre autres saints faisaient partie de l’Action orthodoxe, mouvement créé à l’automne 1935 à Paris par mère Marie Skobtsova (présidente) avec la bénédiction de Mgr Euloge. Mère Marie était une poétesse et artiste de l’Age d’argent, amie de Alexandre Blok, mariée puis séparée de son mari, première femme à être élue maire d’une ville russe en 1917. Dans l’émigration, elle devint ‘moniale dans le monde’ en 1932. Pour créér l’Action Orthodoxe, elle obtint le soutien du philosophe N. Berdiaev, le directeur de la revue Put’ (il trouva le nom de l’association), du père S. Bulgakov doyen de l’Institut saint Serge, du critique littéraire K. Motchoulski (vice président), de F. Pjanov (secrétaire), et de la jeune génération : G. Kazatchkine, T. Bajmakova, l’assistante de N. Berdiaev et l’auteur de la bibliographie des œuvres du philosophe, S. Jaba, membres de la revue Novig Grad de G. Fedotov, le fondateur de l’hagiologie orthodoxe, ou du Krug créé par I. Fundaminskij. Le mouvement installé dans l’immeuble du 77 rue de Lourmel accueillait chaque jour des centaines de personnes en situation de détresse physique et morale et leur apportait réconfort, soins médicaux et repas chauds. Dans le même foyer se pressaient les étudiants de l’Académie de philosophie religieuse et les congrès de la Ligue de la culture orthodoxe. Dans son manifeste l’Action orthodoxe proposait une nouvelle conception de l’engagement intellectuel. Celui-ci devait se faire non au service d’une grande cause ou d’un énorme Etat. Il devait être modeste, concret et paradigmatique.

Le père Dimitri Klépinine, apparenté à la poétesse Zinaida Hippius, diplômé de l’Institut Saint-Serge, marié à T. Bajmakova et père de deux enfants, Hélène et Paul, fut chargé, à partir de 1939, de la paroisse dédiée à la Protection-de-la-Mère-de-Dieu, qui avait été ouverte auprès du foyer. Durant l’occupation allemande, de nombreux juifs persécutés y furent accueillis et cachés. En 1942, lors de la rafle du Vélodrome d’hiver, mère Marie réussit à pénétrer à l’intérieur de l’édifice et à sauver la vie de quelques enfants. Le 8 février 1943, une perquisition eut lieu dans les locaux de la rue de Lourmel. En l’absence des dirigeants de l’association, le fils de mère Marie, Georges, âgé d’une vingtaine d’années, fut emmené en otage par la Gestapo. Le 9 février, soit un an jour pour jour avant sa mort, le père Dimitri célébrait une dernière liturgie eucharistique dans la chapelle du foyer, avant de se rendre à la convocation de la Gestapo. Le lendemain, mère Marie, venue obtenir la libération de son fils était elle aussi arrêtée. Tous trois furent internés, d’abord au fort de Romainville, puis au camp de Compiègne, ava
nt d’être déportés en Allemagne. Au camp de Dora le père Dimitri, refusa le signe qui le désignait comme français, mais voulut porter la marque des soviétiques, les plus maltraités. Il mourut, le 9 février 1944, tout comme Georges Skobtsov.

Elie Fundaminski, un intellectuel russe d’origine juive, venu peu à peu à la foi chrétienne, avait été quant à lui arrêté par les nazis dès 1941. Il reçut le baptême alors qu’il était interné au camp de Compiègne, avant d’être déporté à Auschwitz où il devait périr le 19 novembre 1942. Mère Marie fut gazée à Ravensbrück, le 31 mars 1945, le jour de Pâques.

Très vite après leur mort se multiplièrent les signes de leur vénération dans le monde à travers de nombreuses publications et films, commémorations et appels œcuméniques en faveur de leur canonisation. En Occident, le père Serge Hackel, Stratton Smith, Heinrich Boll, Geneviève Anthonioz-de Gaulle, Olivier Clément, Hélène Arjakovsky-Klépinine, le père Boris Bobrinskoy, Nikita Struve firent connaître la spiritualité ouverte de l’Action Orthodoxe . En 1985 l’Etat d’Israël accorda à Yad Vashem le titre de Justes parmi les nations au père Dimitri et à la mère Marie. La même année en URSS mère Marie fut réhabilitée puis un film fut réalisé sur elle. Mais son action y était présentée comme idéologique plus qu’ecclésiale. En revanche les métropolites Antoine Blum et Cyrille de Smolensk insistèrent sur le caractère à la fois traditionnel et moderne de la piété du groupe de l’Action Orthodoxe. Et le père Alexandre Men parla de la sainteté de mère Marie et du père Dimitri lors d’une conférence organisée à Moscou le 2 septembre 1990…une semaine avant son propre martyr.

Le 9 février 2004, de façon providentielle, sans que cela n’ait été prévu de la part de l’exarque de Constantinople, la famille du père Dimitri Klépinine a appris la nouvelle de sa canonisation, soit soixante ans, jour pour jour, après sa naissance au ciel.

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