Défendre les droits de la femme en Ethiopie : une priorité

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Interview de Mgr Rodrigo Mejía Saldarriaga

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ROME, Dimanche 4 juillet 2010 (ZENIT.org) – Le vicaire apostolique de Soddo en Ethiopie, un jésuite colombien, a fait des droits de la femme une de ses priorités.

Enseigner aux Ethiopiens cette vérité évangélique que les hommes et les femmes sont d’une égale dignité représente un défi à relever tout particulièrement dans ce pays, déclare Mgr Rodrigo Mejía Saldarriagas.

Le vicaire apostolique de Soddo, né à Medellin (Colombie) en 1938, est venu pour la première fois en Afrique en 1964. Après 20 ans dans la République du Congo, il a passé 14 ans au Kenya et vit maintenant en Ethiopie depuis 12 ans. 

Dans cette interview accordée à l’émission de télévision « Là où Dieu pleure » du Catholic Radio and Television Network (CRTN) en coopération avec l’Aide à l’Eglise en détresse (AED), l’évêque évoque les difficultés de l’œcuménisme en Ethiopie et les raisons qui l’ont conduit à faire de la défense des droits de la femme une priorité.

Q : Est-ce difficile d’être évêque d’une petite communauté ? (L’Ethiopie est un pays majoritairement orthodoxe et protestant, avec une présence catholique très réduite.)

Mgr Mejía Saldarriaga : Je dirais qu’il y a des avantages et des inconvénients. Le fait que la communauté ne soit pas très importante donne peu de soucis administratifs mais, d’un autre côté, pose aussi de grands défis sur le plan pastoral, surtout en ce qui concerne les relations avec les autres Eglises. 

Q : Pouvez-vous citer des exemples de ces relations ? 

Mgr Mejía Saldarriaga : Nous sommes tous chrétiens : Eglises catholiques, orthodoxes et protestantes. L’Eglise orthodoxe, qui est l’Eglise d’origine en Ethiopie, nous pose des problèmes ; des problèmes pour entrer en dialogue avec elle et nouer des relations œcuméniques. 

Q : Le dialogue est-il possible avec l’Eglise orthodoxe ? 

Mgr Mejía Saldarriaga : Je pense qu’il est possible, surtout sur le plan personnel. A ce niveau, nous avons de bonnes relations avec les évêques et prêtres locaux. A l’échelle nationale, le dialogue est plus difficile, car il implique des accords et des politiques.

Q : Pouvez-vous nous donner un exemple de dialogue avec l’Eglise orthodoxe ? 

Mgr Mejía Saldarriaga : Un des principaux dialogues au plus haut niveau porte sur l’engagement de tous les chefs religieux à construire ensemble la paix. Durant la dernière guerre avec l’Erythrée, les chefs religieux se sont réunis et ont publié une déclaration conjointe en faveur de la paix. Ils ont invité tout le monde à participer à ce combat pour la paix. 

Q : Vous vous êtes exprimé longuement en faveur des droits de la femme. Pourquoi est-ce nécessaire ? 

Mgr Mejía Saldarriaga : C’est nécessaire, car il s’agit d’un aspect de la culture africaine qui requiert une évangélisation. Dans son encyclique « Evangelii Nuntiandi », le pape Paul VI a souligné le fait que c’est la culture qui doit être évangélisée. C’est sur ce point, je pense, que la culture africaine a besoin d’entendre l’Evangile dire que les femmes ont exactement la même dignité que les hommes et que, par conséquent, on ne peut les traiter comme des citoyennes de seconde zone. 

Q : Que peut faire l’Eglise ? 

Mgr Mejía Saldarriaga : Je pense qu’une des méthodes les plus efficaces passe par l’éducation. Si les femmes sont instruites, elles sont davantage appréciées et pourront se comporter comme citoyennes de la société. 

Q : Pourquoi vous battez-vous, si je puis m’exprimer ainsi, pour les droits de la femme ? 

Mgr Mejía Saldarriaga : Eh bien parce que, surtout depuis mon arrivée dans ce vicariat en Ethiopie, je me rends compte qu’en comparaison avec les autres pays africains où j’ai vécu, le rôle des femmes est dévalorisé. J’ai eu de très belles expériences de travail pastoral au Congo et au Kenya, avec des femmes catéchistes, directrices de petites communautés chrétiennes, d’autres qui ont été mes collaboratrices. Et quand j’ai essayé de faire la même chose en Ethiopie, je me suis heurté au tout début à une forte résistance et à la surprise des hommes, à de mauvaises interprétations. Je me suis donc dit qu’il y avait là un défi à relever, qui nécessitait une évangélisation dans ce domaine. 

Q : Avez-vous eu également à évangéliser des hommes ? 

Mgr Mejía Saldarriaga : Oui, et la société tout entière, notamment les jeunes ; pour changer leur mentalité, leur montrer que nous vivons dans ce monde, et que nous sommes tous égaux  ; pour leur enseigner les droits humains et que ces droits s’appliquent à tous. 

Q : Comment vous y prenez-vous pour leur enseigner les droits de l’homme ? Avez-vous des écoles catholiques ? 

Mgr Mejía Saldarriaga : Oui. Nous avons 16 écoles primaires et trois écoles secondaires dans notre vicariat. L’Eglise catholique se porte bien partout en Ethiopie, grâce à l’éducation, à la qualité et au nombre d’établissements d’enseignement catholiques. 

Q : Quel genre d’étudiants viennent dans ces écoles ? 

Mgr Mejía Saldarriaga : Elles sont ouvertes à tous. C’est ce qui caractérise les institutions catholiques dans les domaines de l’éducation et de la santé. Nous sommes au service de tous, pas seulement des catholiques. Nous sommes peut-être une minorité, mais nos institutions sont ouvertes à tous et appréciées de tous, du gouvernement et des autres Eglises. 

Q : Il reste encore beaucoup de tribus dans votre diocèse. Est-il si important de préserver ces traditions tribales ? 

Mgr Mejía Saldarriaga : Mon diocèse est multiculturel et rural, situé à environ 400 kilomètres (248 miles) au sud d’Addis Abeba, à la frontière du Kenya. Ces traditions sont extrêmement vivantes, et il est important de les préserver, car elles sont porteuses de grandes valeurs. On ne peut pas tout bonnement détruire ces valeurs culturelles et tribales sans les remplacer par quelque chose de meilleur ; il pourrait s’ensuivre de graves dommages pour les gens et les nouvelles générations à venir. 

Q : Ces valeurs sont-elles compatibles avec les valeurs de l’Eglise catholique ? 

Mgr Mejía Saldarriaga : Beaucoup d’entre elles, oui, notamment la solidarité, par exemple, le respect de la vie humaine, le service et les valeurs familiales – unité et cohésion de la famille – sont autant de valeurs africaines traditionnelles – et d’autres comme l’hospitalité. Ce sont de grandes valeurs. 

Q : Ces tribus dans votre diocèse sont-elles pour la plupart catholiques ou orthodoxes ? 

Mgr Mejía Saldarriaga : Ces tribus appartiennent à diverses confessions : orthodoxes, protestantes, et même musulmanes. Les tribus du sud, plus primitives que les autres, n’ont pas été évangélisées. Il y a 16 tribus et elles pratiquent les religions traditionnelles africaines. Q : Et ceci au sein de votre diocèse ? 

Mgr Mejía Saldarriaga : Oui, mon diocèse est encore ainsi, c’est un défi qui se pose pour nous. 

Q : Comment vous y prenez-vous avec ces tribus ? 

Mgr Mejía Saldarriaga : Nous essayons d’être présents parmi elles, mais nous avons des difficultés de personnel, prêtres, religieux, religieuses, sans compter les défis économiques pour construire des infrastructures facilitant notre présence ici. 

Q : Quelle devise d’évêque avez-vous choisie ? 

Mgr Mejía Saldarriaga : J’ai choisi le commandement nouveau de Jésus : « Aimez-vous les uns les autres », qui a été traduit en amharique. J’ai choisi cette devise parce que je me suis rendu compte que, en particulier dans la région où je suis évêque, il y a beaucoup de tribalisme et de division, ce qui crée des tensions, et j’ai voulu introduire ce message fondame
ntal dans mon vicariat. 

Q : Expliquez-vous votre devise quand vous visitez les différentes paroisses ? 

Mgr Mejía Saldarriaga : Oui, quand je visite des paroisses pour la confirmation, ou quand je célèbre l’Eucharistie. Je parle aux gens et je leur explique mon objectif et mon programme qui est simple : Aimez-vous les uns les autres. 

Q : Quelle langue utilisez-vous ? 

Mgr Mejía Saldarriaga : J’utilise l’amharique, que j’ai appris à Addis Abeba ; à l’époque de l’empereur Hailé Sélassié, c’était la langue officielle. Aujourd’hui, la situation a changé, l’Ethiopie est désormais une république fédérale et les différents Etats ont développé leurs langues locales. C’est pourquoi, dans mon vicariat, j’utilise au moins quatre langues différentes. Je ne les connais pas toutes, mais j’utilise encore l’amharique, qui est encore parlée par l’ancienne génération. Mais j’ai appris à lire les trois autres langues locales pour pouvoir célébrer l’eucharistie. 

Q : Vous sentez-vous missionnaire en Ethiopie ? 

Mgr Mejía Saldarriaga : Oui, techniquement je suis encore considéré comme missionnaire en Ethiopie si, par missionnaire, on entend une personne qui vient d’un autre pays, ce qui est le sens traditionnel du terme. Je me vois, toutefois, comme un serviteur de l’Eglise locale en Ethiopie.

Q : Vous sentez-vous plus Africain qu’Américain du Sud ?

Mgr Mejía Saldarriaga : Je dirais que oui. Je n’en suis pas très conscient quand je suis en Afrique, mais je le deviens quand je retourne en Colombie. Je me sens comme un étranger dans mon propre pays. 

Q : Quelle est votre espérance pour l’Eglise catholique d’Ethiopie ? 

Mgr Mejía Saldarriaga : On ne peut pas prévoir l’avenir, mais mon espérance est que l’Eglise catholique soit mieux acceptée ; qu’elle ne soit plus victime de préjugés et qu’elle puisse entrer dans un meilleur dialogue avec l’Eglise orthodoxe. J’espère surtout que nous jouirons d’une liberté plus complète et de davantage de possibilités pour nos institutions. L’Eglise catholique est engagée dans un grand projet de création d’une future université catholique dans le pays, qui sera située à Addis Ababa.

Q : Comment pouvons-nous aider l’Eglise catholique éthiopienne ? 

Mgr Mejía Saldarriaga : D’abord, vous pouvez faire ce que vous faites en ce moment avec cette interview, pour nous donner une chance d’être connus dans le monde. Qu’on sache que, même si l’Eglise est petite, elle est présente ici. Nous attendons également de l’Eglise universelle un soutien moral et des prières ainsi qu’une aide financière, qui est toujours nécessaire.

Traduit de l’anglais par ZENIT

Propos recueillis par Marie-Pauline Meyer, pour l’émission télévisée « La où Dieu pleure », conduite par la Catholic Radio and Television Network (CRTN), en collaboration avec l’association Aide à l’Eglise en Détresse (AED).

Pour la vidéo de cette interview en anglais cf. : www.wheregodweeps.org

Sur le Net :

– Aide à l’Eglise en détresse France  
www.aed-france.org

– Aide à l’Eglise en détresse Belgique

www.kerkinnood.be

– Aide à l’Eglise en détresse Canada  
www.acn-aed-ca.org

– Aide à l’Eglise en détresse Suisse 
www.aide-eglise-en-detresse.ch

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ZENIT Staff

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