Déclaration du card. Poupard au Sommet interreligieux de Moscou

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ROME, Dimanche 2 juillet 2006 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte de la déclaration rédigée par le cardinal Paul Poupard, président du Conseil pontifical de la Culture et du Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux, à l’occasion du Sommet mondial des représentants des grandes religions qui se tiendra à Moscou du 3 au 5 juillet.

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SON ÉMINENCE
LE CARDINAL PAUL POUPARD

Président du Conseil Pontifical de la Culture
et du Conseil Pontifical pour le Dialogue interreligieux

SAINT-SIEGE

DÉCLARATION
AU SOMMET MONDIAL DES REPRESENTANTS DES GRANDES RELIGIONS

Moscou – 3-5 juillet 2006

1. J’ai l’honneur et le plaisir d’unir ma voix à celles de l’ensemble des membres de la délégation de l’Église catholique, pour remercier Sa Sainteté le Patriarche Alexis II et le Conseil Interreligieux de Russie pour cette importante initiative d’un Sommet qui réunit en cette ville chargée d’histoire, les Représentants des Grandes Religions du monde. Ainsi, nous pouvons partager ensemble nos communes préoccupations en ce commencement du IIIème millénaire, et affirmer notre engagement commun pour œuvrer avec un élan renouvelé dans un confiant dialogue interculturel et interreligieux au service d’un humanisme intégral et solidaire. Chacun est appelé à trouver la place qui lui revient dans le concert des nations, en sa plénitude humaine qui voit son accomplissement dans sa dimension religieuse. Ensemble, nous souhaitons réaffirmer devant les hommes d’État et les citoyens du monde, le rôle irremplaçable des religions pour édifier des sociétés plus justes où règnent l’harmonie et la paix. Nous voulons ici redire notre volonté commune de renforcer le dialogue entre les religions, mais aussi avec les autorités civiles et politiques, chacun dans la conscience de ses responsabilités propres.

2. Le phénomène croissant de la mondialisation présente aux hommes et aux femmes de notre temps des défis que nous voulons affronter avec courage. Le contexte historique et culturel, en rapide évolution, entraîne des mutations de divers ordres qui suscitent de nouveaux comportements. L’objectif fondamental reste cependant toujours le même : bâtir une cité digne de l’homme. Il s’agit, pour ce faire, de veiller à ce que les hommes et les femmes de notre temps ne cèdent pas à l’indifférence à l’égard des valeurs humaines universelles, et donc d’être attentifs à tout ce qui peut porter atteinte à leur transmission. Parmi elles, au premier chef, le respect de la dignité de l’homme, de tout l’homme et de tous les hommes parce que créés par Dieu, est au fondement de la vie en société. Il implique le respect de la liberté religieuse, comme un droit constitutif de la personne que nulle autorité n’est en droit de nier, mais a au contraire le devoir d’en respecter l’affirmation et d’en favoriser l’exercice pacifique, toujours et partout.

3. En tant que responsables religieux, nous sommes aujourd’hui vivement préoccupés par les orientations de systèmes politiques prioritairement focalisés sur le pouvoir économique au détriment de la justice et de la solidarité, et par la crise des valeurs qui gagne des couches entières de la population mondiale, notamment chez les jeunes et pose de graves questions quant à l’avenir de l’humanité. La mondialisation de modèles culturels vidés de valeurs humanisantes favorise la perte d’identité de pans entiers de nos sociétés, noyés dans l’uniformité factice d’un modèle économique aux prétentions universelles. De là naissent les tentations de replis identitaires : le sentiment d’injustice devant l’absence de répartition équitable des richesses conjoint avec le mépris pour une civilisation en perte de repères et de références éthiques, peut entraîner le ressentiment et se traduire en actes de violence de diverses formes, y compris le terrorisme que nous condamnons fermement avec Jean-Paul II : « La haine, le fanatisme et le terrorisme profanent le nom de Dieu et défigurent l’image authentique de l’homme ».

4. Devant les dérives du fondamentalisme qui se greffent sur l’humiliation ressentie par certains croyants quand les États les privent de leurs droits culturels et religieux, les replis du communautarisme provoqués par le mal-être de certains groupes dans ce monde déséquilibré, et les risques d’applications inhumaines de certaines avancées de la science et de la technologie, nous voulons lancer un cri d’alarme : ce sont autant de défis qui exigent des réponses urgentes et pertinentes pleinement humaines, sous peine d’un grave éclatement de nos sociétés. Nombre de pays déjà en phase de suicide démographique, ont comme perdu le sens du caractère sacré de la vie et introduisent dans leur législation des dispositions qui dénaturent le mariage et déstabilisent la famille, cellule de base de la société, ouvrant ainsi la voie à des déséquilibres plus graves encore et à un avenir lourd de menaces.

5. Le christianisme a été pour le continent européen un facteur primordial d’unité entre les peuples et leurs cultures. Depuis deux millénaires, il ne cesse de promouvoir une vision intégrale de l’homme et de ses droits et devoirs, et l’histoire d’un grand nombre de nations atteste son extraordinaire fécondité culturelle. Pour sa part, l’Église catholique est résolument engagée dans le dialogue interculturel et interreligieux, consciente du rôle irremplaçable des religions dans l’humanisation de la société des hommes, de leur capacité à œuvrer en son sein comme un authentique levain capable de féconder les échanges entre les personnes et les cultures sur les valeurs les plus hautes sans lesquelles l’homme redevient un loup pour l’homme. Ces valeurs sont le respect de la dignité de tous les hommes sans exception, comme créatures aimées et voulues pour elles-mêmes par Dieu leur Créateur, à son image et ressemblance, le respect de la liberté de conscience et du droit à pratiquer librement et publiquement leur culte religieux, la conscience de l’universelle destinée des hommes appelés à construire les uns avec les autres une civilisation de l’amour, dans la justice et la paix.

6. Les religions, depuis des millénaires, contribuent notablement au développement et à la sauvegarde du patrimoine culturel de l’humanité. Elles demandent que partout, en leur reconnaissant le mérite de cette fécondité créatrice de culture, les pouvoirs responsables veillent à ce que les biens et les monuments sacrés, puissent continuer d’exprimer leur foi et d’en vivre. Dans un monde de la convivialité pacifique et d’échange des richesses culturelles, matérielles et immatérielles, les religions sauront toujours se présenter comme des maisons ouvertes où s’enseignent et se pratiquent le dialogue, le respect de la différence et de la dignité de tout homme, l’amour de la vérité, la conscience d’appartenir à une seule grande famille des peuples voulue par Dieu et appelée à vivre sous son regard dans un amour partagé. L’histoire atteste que l’Église, par son enseignement moral et religieux, contribue pour sa part activement et de façon remarquable à la croissance de la cohésion sociale.

7. Soucieux d’honorer l’exigence moderne d’une juste laïcité des États en toutes ses composantes religieuses et laïques, au rebours d’un laïcisme réducteur, inspirateur de certaines politiques, le Saint-Siège réaffirme la disponibilité et la capacité des religions à contribuer à édifier la communauté des hommes, en apportant en particulier leur concours pour remédier au défi de la désagrégation sociale et donner un idéal aux jeunes et un sens à la vie et à l’histoire. Ma conclusion sera celle de Son Éminence le Métropolite Kyrill de Smolensk et de Kaliningrad : « La crise vers laquelle la mondialisation conduit l’humanité ne peut être surpassée que par les efforts communs de tous les croyants et de tous les hommes de bonne volonté dans le domaine de la formation éthique de la personne, de la création de fondements justes à la coexistence des hommes. » (1)
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1. Métropolite Cyrille
, L’Évangile et la liberté. Les valeurs de la Tradition dans la société laïque, Cerf, Paris 2006, p. 239.

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ZENIT Staff

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