Congélation, implantation, adoption d’embryons : réflexions du P. Mattheeuws (2)

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Le respect de la vie humaine, mais comment, concrètement?

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ROME, Vendredi 24 mars 2006 (ZENIT.org) – « Congélation, implantation, adoption d’embryons » : autant de thèmes qui recouvrent une réalité bouleversante et à propos desquels le Père Alain Mattheeuws, jésuite, docteur en théologie morale et sacramentaire de l’Institut Catholique de Toulouse offre cette contribution à la réflexion, que nous présentons en quatre volets.

Le P. Mattheeuws est actuellement professeur à l’Institut d’Etudes Théologiques de Bruxelles. Il donne également des cours au « Studium » du diocèse de Paris et dans d’autres facultés. Il aborde un thème délicat de la recherche bioéthique en théologie morale. Il a été appelé à participer au dernier synode des évêques.

Il répond entre autres à la question : « Condamner l’adoption des embryons, n’est-ce pas incohérent avec le message de l’Eglise concernant le respect de la vie et son caractère sacré ? ». Voici le deuxième des quatre volets de cet entretien.

Q : Les faits et les chiffres sont là. Que peut-on faire actuellement pour sauver les embryons congelés ?

P. Mattheeuws :La seule possibilité ouverte est l’implantation et la gestation dans l’utérus d’une femme. Cette possibilité n’assure d’ailleurs pas automatiquement leur survie. Blessés par la congélation, blessés par la décongélation, beaucoup d’enfants embryonnaires ne peuvent plus s’implanter et grandir normalement. L’implantation reste problématique, risquée : l’enfant embryonnaire congelé peut en mourir. Après l’implantation, la gestation elle-même n’est pas toujours couronnée de succès. Des projets d’utérus artificiels (ectogenèse) existent, mais la recherche est peu avancée dans ce domaine. Une question éthique reste posée sur ces projets eux-mêmes.

Q : Peut-on envisager dès lors l’« adoption » d’enfants embryonnaires comme une solution éthique ?

P. Mattheeuws :Ethique, c’est-à-dire bonne et licite ? D’ailleurs peut-on parler vraiment d’adoption au sens strict ? C’est un problème délicat. Je ne crois pas que ce soit une « réponse » réaliste car la production et la congélation d’embryons continuent. Elles prennent des proportions à la fois inhumaines, absurdes et dépassant les initiatives de protection ou de sauvetage par l’adoption par exemple. Il vaudrait mieux affronter cette question à la racine. Certains moralistes considèrent qu’adopter des enfants embryonnaires consiste uniquement à ajouter une pièce au puzzle complexe et aberrant d’un système qui ne respecte pas l’origine de la vie humaine. Question délicate d’une coopération matérielle à une technique qui, en soi, est un moyen non respectueux de l’homme. D’autres pensent qu’une adoption massive et visible de ces enfants embryonnaires témoignerait du respect qu’on leur doit et favoriserait à long terme une prise de conscience du mal qui leur a été fait, et donc du caractère mortifère de ces diverses techniques. Mais d’autres arguments doivent aussi être considérés : l’accord commun des époux, le statut du corps de la femme, le droit de l’embryon à être conçu, porté et mis au monde par sa mère et l’amour de ses parents…

Q : Pourriez-vous préciser votre position ?

P. Mattheeuws :Distinguons d’abord deux modalités de l’acte que nous cherchons à qualifier moralement. Pour certains, l’objet de l’acte consiste à sauver la vie d’un embryon congelé en lui offrant la possibilité d’une gestation au sein d’un utérus féminin jusqu’à ce qu’il soit viable. Pour d’autres, l’objet de l’acte consiste en une véritable adoption d’un enfant embryonnaire : un couple désire adopter dans sa famille un embryon ou plusieurs embryons congelés, ou plusieurs enfants aux premiers stades de leur vie. Le mari et la femme (de commun accord) désirent qu’ils soient portés, mis au monde et accueillis comme leurs propres enfants. Dans le premier cas, l’acte peut être posé par une femme seule. Dans le deuxième cas, il s’agit d’un couple que nous supposons marié et stable (une femme seule pourrait cependant désirer une telle adoption).

Quelques moralistes envisagent donc soit le « sauvetage d’embryon », soit « l’adoption d’embryon ». Du point de vue de l’embryon, il s’agit toujours de lui donner une possibilité de poursuivre son développement et donc son existence sur la terre. Du point de vue du moyen, c’est le corps de la femme (son utérus) qui est l’instrument de ce sauvetage. Les conditions personnelles de celle-ci (sa condition de femme, de mère, d’épouse) semblent peu considérées. Dans l’option de « sauvetage », l’illusion éthique est profonde : un signe en est que même en dehors du lien conjugal, le corps de la femme peut servir à ce but.

Q : L’adoption d’embryons n’implique-t-elle pas, au moins de manière tacite, l’approbation du processus par lequel ces embryons sont venus à la vie ?

P. Mattheeuws :Non. Au niveau personnel, un couple qui adopte un enfant issu de la fivete, n’est pas nécessairement complice et responsable de l’acte qui a permis cette conception. Si un couple adopte un enfant issu d’un viol, il n’approuve pas pour autant cet acte et n’en est pas complice. Du point de vue de la conscience personnelle, il est vraiment possible de distinguer ces actes.

Q : La société et les chrétiens en particulier s’occupent-ils assez de ces embryons congelés ?

P. Mattheeuws :Je le répète : dès le moment où nous reconnaissons leur statut d’enfant embryonnaire, nous devons chercher à les respecter pour ce qu’ils sont. Cette situation est un « appel éthique ». Tout être humain a une dignité intrinsèque dont il nous faut prendre conscience et qu’il convient de respecter dans la mesure de nos forces et de nos moyens. Ce que nous pouvons faire de bon pour ces enfants embryonnaires, par des moyens licites, nous devons le faire. L’adoption-gestation ne me semble pas un moyen respectueux. Est-ce d’ailleurs une « adoption » ? Elle ne rejoint pas la perfection d’un acte moralement bon. L’intention est généreuse, mais l’objet de l’acte contredit le respect qui est du à tout être humain, particulièrement à la femme.

Q : Que vient faire cet argument concernant la femme qui s’est proposée généreusement à adopter ?

P. Mattheeuws :Ne soupçonnons pas l’intention généreuse de ces femmes ni le désir des couples de faire le bien en adoptant un embryon congelé. Cependant, il nous faut considérer l’acte en lui-même et pas seulement la bonne intention. Au-delà de cette intention personnelle, il convient de réfléchir à la symbolique propre qui y est engagée. N’y a-t-il pas une « unité insécable » entre la conception et la gestation ? La réflexion doctrinale de l’Eglise s’est déjà engagée dans cette question. La femme ne peut accueillir au plus intime d’elle-même le fruit d’une conception qui n’est pas le fait de son mari et d’elle-même. La maternité de « substitution » n’est pas moralement licite, nous dit Donum vitae (II A 3). Elle est contraire « à l’unité du mariage et à la dignité de la procréation de la personne humaine ».

Q : Mais il ne s’agit pas d’une maternité de substitution, mais bien plutôt de suppléance : l’enfant d’ailleurs est déjà là, déjà disponible à être « adopté » et désireux d’être sauvé de la congélation…
(à suivre)

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ZENIT Staff

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