Cinquante ans après, la liturgie catholique

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Par le Président de l’Académie catholique de France

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Avec le cinquantième anniversaire de la Constitution de Vatican II Sacrosanctum Concilium, signée le 4 décembre 1963, nous faisons mémoire d’un texte qui a lancé la réforme liturgique et, ce faisant, a formé l’un des points de cristallisation des tensions postconciliaires.

Il replace ainsi au cœur de ce qui a fait pendant un demi-siècle le destin contrasté voire tourmenté de l’Eglise catholique. Mais par-delà les réactivités passionnelles, il nous rapporte à un moment de décisions spirituelles, théologiques et pastorales dont les Pères conciliaires s’accordaient à dire le caractère de nécessité. Leur audace fut grande, à la mesure du diagnostic dont le cardinal Joseph Ratzinger, évoquant la situation du début du 20è siècle dans son livre L’esprit de la liturgie, a résumé les termes : « La liturgie, à ce moment-là, donnait l’apparence d’une fresque parfaitement préservée, mais presque entièrement recouverte de couches successives. Dans le missel que le prêtre utilisait pour célébrer la messe, la liturgie apparaissait telle qu’elle s’était développée depuis les origines, alors que pour les croyants, elle était en grande partie dissimulée sous une foule de rubriques et de prières privées ». Le cardinal Ratzinger faisait ici écho au mot de Jean-Paul II qui, dans sa lettre de 1988 sur le renouveau de la liturgie, citait saint Pie X dont le Motu Proprio du 23 octobre 1913 « Abhinc duos annos » disait de l’édifice liturgique qu’il devait être « nettoyé des enlaidissements dus à l’âge » !

Le fait que les fidèles, depuis un demi-siècle, aient pu connaître une participation liturgique active, notamment par le chant, les « répons » et l’utilisation des langues vernaculaires, a été généralement vécu comme un acquis bienfaisant en dépit de faiblesses notoires dont la surprenante marginalisation voire l’élimination, pendant plus de deux décennies en certains lieux, du chant grégorien. Une plus grande compréhension des gestes rituels a été certes relevée. Enfin, un meilleur choix de textes a permis aux catholiques d’accéder comme jamais aux trésors de l’Ecriture sainte et de la tradition spirituelle. Mais face aux désaffections persistantes, il est permis de se demander si, depuis l’intention conciliaire de renaissance liturgique, quelque chose a été perdu ou manqué à travers ses différentes mises en œuvre.

Dans la période postconciliaire, pasteurs, prêtres et évêques n’ont certes pas ménagé leurs efforts pour ré-initier à la place de la liturgie dans la vie chrétienne. Mais ce qu’il faut bien appeler « l’oubli liturgique » ne peut que nous réinterroger. « Le Jour du Seigneur », que l’Eglise depuis toujours célèbre, n’occupe plus en France et en Europe la place qu’il mérite. Les chiffres globaux sont connus : 27% de pratiquants dominicaux dans les années 1950, 4% aujourd’hui. Ainsi, 95-96% de nos concitoyens n’ont plus aucun contact avec la ritualité hebdomadaire fondatrice de notre espace culturel et croyant, excepté en effet les îlots privilégiés de certaines grandes villes et les lieux ruraux les plus fervents où un frisson de renouveau est ressenti.

Nous pouvons toujours nous demander comment nous en sommes arrivés là et déplorer que le geste sacramentel, brutalement, ait été tenu pour optionnel, ou considéré comme un terme, le point d’arrivée difficile du chemin de foi, au lieu d’être honoré pour ce qu’il est essentiellement : son augure mystérieux, sa puissance instauratrice. C’est que la ritualité la plus antique ne se définit point d’abord comme l’expression d’un état de conscience ; de principe, elle fait « monde », elle fait « temps ».

Lorsqu’on relit les 7 chapitres qui composent cette vénérable Constitution aujourd’hui célébrée, on voit le bel équilibre que les Pères conciliaires ont voulu observer, notamment autour des deux vocables « restauration » et « progression » : il s’agissait de restaurer dans la progression et de progresser dans la restauration. Les trois mots latins usités nous rapprochent de leurs intentions : « instauranda » (« établir », « instaurer » avec parfois l’idée de réparer), « fovendam » (« favoriser », « encourager » au sens de « dorloter ») et « progressum » (qui signifie « progression » plutôt que « progrès »).

On portera également l’attention sur le titre et le sous-titre de la Constitution : Sacrosanctum Concilium et Sacra liturgia. Ils préservent de la relégation du sacré dans la quête de la sainteté. Beaucoup ont été fascinés ces dernières décennies par les développements tendant à opposer, sous l’emprise de quelque anthropologie religieuse contestable, le sacré païen et le saint de la révélation divine. Mais nécessaire dans son ordre, la distinction « sacré-saint » ne vaut pas pour séparation, ni pour trajectoire. Depuis les débuts du christianisme, la recherche humaine dans ce qu’elle comporte de sacré a été assumée dans le geste de « récapitulation » christique, jamais congédiée. Comme le philosophe Schelling l’avait fortement revendiqué, le christianisme va jusqu’à aimer le païen. Il suffit de contempler certains tympans de nos cathédrales pour s’en persuader aisément.

De même, la Constitution Sacrosanctum Concilium confère un poids remarquable au vocabulaire sacral  (64 occurrences pour « sacré » et une vingtaine  pour « saint »).
La liturgie est une action sacrée en effet, qui dit la précédence divine, qui appelle à la conversion humaine et qui donne la nourriture pour le monde : elle est ainsi mystère, transfiguration et mission. Sans doute est-ce dans la cohérence induite par ces trois caractères de l’alliance humano-divine que la liturgie catholique trouve son incomparable noblesse et son attrait salvateur. La tâche qu’elle nous inspire est immense et sans doute urgente ; elle ne peut que mobiliser les intelligences. De fait, le christianisme est porteur du principe liturgique en tant que principe d’humanité.

(c) Editorial in Académie catholique de France, décembre 2013

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Philippe Capelle-Dumont

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