Chrétiens pakistanais : citoyens de seconde zone ?

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Entretien avec Mgr Joseph Coutts

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ROME, Dimanche 11 juin 2010 (ZENIT.org) – Il est de plus en plus difficile d’être catholique dans un pays à majorité musulmane, confesse l’évêque du diocèse de Faisalabad, où les chrétiens sont souvent traités comme des citoyens de seconde zone.

Dans cette interview accordée à l’émission de télévision « Là où Dieu pleure » du Catholic Radio and Television Network (CRTN) en coopération avec l’Aide à l’Eglise en détresse (AED), l’évêque évoque sa vocation, la situation des chrétiens au Pakistan, et les autres problèmes liés à la « loi anti-blasphème » en vigueur dans ce pays.

Q : Le nom officiel du Pakistan est ‘République islamique du Pakistan’ ; la population du Pakistan est donc, à l’évidence, majoritairement musulmane, à près de 95%. Ainsi, les chrétiens constituent une minorité dans un pays à majorité musulmane. Comment vit-on le fait d’être une petite Eglise chrétienne ?

Mgr Coutts : Oui, c’est un vrai défi pour nous qui vivons dans ce milieu islamique où nous sommes quelque 2 % de chrétiens, dont plus ou moins 1% de catholiques, peut-être un peu plus.

En effet, cela devient de plus en plus difficile avec la montée, ces dernières années, du fondamentalisme islamique au Pakistan, comme dans d’autres parties du monde, et nous observons depuis quelques années une intolérance plus grande que par le passé.

Q : D’où viennent ces menaces ? Qui vous menace ?

Mgr Coutts : Le Pakistan est un pays assez grand ; comparé aux Etats-Unis, il est grosso modo, si je ne me trompe, de la taille du Texas et de l’Oklahoma, un peu plus étendu, avec une grande population. La difficulté que nous avons, par exemple, est l’existence de groupes islamiques, qui aimeraient voir le Pakistan devenir un Etat purement islamique. Si le Pakistan devient cet Etat islamique pur, soumis à toutes les lois islamiques, alors qu’il n’y en a que quelques-unes pour le moment, cela signifierait que nous serions, en tant que non musulmans, des citoyens de seconde zone en quelque sorte. L’islam a un terme spécial pour cela – « dhimmi ». Nous ne serons plus sur un pied d’égalité. Nous n’aurions plus l’égalité telle qu’elle est inscrite dans la constitution. Nous aurions la liberté, mais elle serait limitée. C’est ce que j’entends par ‘menace’. Certaines lois ont déjà été promulguées, par exemple ladite « loi anti-blasphème », le 295 C (article 295, alinéa C) comme nous l’appelons très souvent – du code pénal pakistanais.

Q : Qu’est-ce que cette « loi anti-blasphème » ?

Mgr Coutts : Une loi très dangereuse, en vertu de laquelle quiconque insulte ou profane le nom du saint prophète Mahomet, le prophète de l’islam, par la parole ou par écrit, ou encore par des images, directement ou indirectement, est passible de la peine de mort.

Donc aucune précision dans la formulation actuelle de la loi : elle ne fait pas la différence si l’acte a été délibéré, ou commis par ignorance, ou sans l’intention de le faire, la punition est la mort. C’est très dangereux.

Q : Que signifie-t-elle pour vous catholiques ?

Mgr Coutts : En fait, pour être honnête, la loi n’est pas dangereuse seulement pour les catholiques, les chrétiens ou les non musulmans, elle l’est aussi pour les musulmans eux-mêmes. Il y a une autre loi, je vais vous l’expliquer.

Il y a le 295 C, et aussi le 295 B ; l’article B stipule que profaner le saint Coran, livre saint des musulmans, est également punissable. Ainsi, si vous laissez tomber le saint Coran, même sans faire exprès, vous pouvez être puni.

Je vais vous donner un exemple très concret : c’était il y a deux ans dans ma ville de Faisalabad. Une pauvre femme chrétienne faisait le ménage dans la maison d’une riche famille musulmane, pendant que de vieux papiers, boîtes de conserve, vieilles bouteilles et autres ordures étaient jetés dehors.

Cette femme, qui avait chez elle son père âgé, a trié tout ce qui pouvait être recyclé – on fait beaucoup de recyclage dans notre pauvre pays, toutes les boîtes de conserve, les papiers et bouteilles – et certains papiers devaient être brûlés. C’est ainsi qu’elle les ramena pour les brûler dans le misérable espace où ils vivaient. Son vieux père, et un musulman qui passait, lui dirent : « Il y a dedans une page du saint Coran. Tu vas brûler le saint Coran ».

Il se créa alors un grand tapage, tandis que les gens se rassemblaient. Les esprits s’échauffèrent car un musulman, et cela se comprend un peu, est très choqué s’il entend que son livre sacré est profané. Cela devint une affaire très grave. Le vieillard et un autre chrétien furent immédiatement conduits au poste de police ; l’affaire fut classée sous la loi 295 B : profanation du livre saint.

Ils sont actuellement tous deux en prison ; deux ans se sont écoulés ; ils se battent pour leur cas. Le tribunal de première instance les a condamnés à cinq ans. Nous faisons appel auprès de la Haute Cour. Notre Commission Justice et paix s’est saisie de l’affaire. D’autres ONG nous ont également apporté leur soutien. Nous avons reçu l’appui même de nombreux musulmans modérés et honnêtes. Voici le genre de tension que nous vivons. Brusquement, quelque chose à quoi que tu ne t’attends pas, quelque chose que tu n’as pas fait délibérément, et te voilà à devoir payer un prix élevé. Tous les chrétiens vivant dans cette région sont également affectés.

Q : De quelle façon ?

Mgr Coutts : Il y a beaucoup de peur. La peur que les musulmans nous attaquent. En fait, beaucoup d’entre eux se sont réfugiés dans la maison de l’évêque, et nous les avons gardés dans la salle paroissiale la nuit, en fait plus d’une nuit, peut-être deux à trois jours, en attendant que les esprits se calment. Voici pourquoi cet article 295 C de la loi pakistanaise est beaucoup plus dangereux. Même un musulman, s’il fait la même chose, court le même danger.

Q : Mais c’est un point positif, si vous dites que ce n’est pas seulement contre les catholiques, ou contre les chrétiens qu’ils en ont, mais aussi contre la population musulmane ?

Mgr Coutts : Statistiquement, à l’heure actuelle, il y a plus de gens en prison en vertu de l’article 295 C du code pakistanais, qu’il n’y a de chrétiens. Mais le danger de la loi est qu’il est très facile d’accuser quelqu’un d’avoir parlé contre le prophète Mahomet, de dire ou d’écrire quelque chose contre le prophète ; aussitôt les esprits s’enflamment, et c’est là le côté dangereux. Personne ne s’arrête pour vous demander : « Excusez-moi, est-ce que c’est vrai que vous l’avez dit ou fait ? » Avant même que tu aies eu l’occasion de te défendre, les esprits s’échauffent, tout devient incontrôlable.

On connaît des cas où des gens ont été assassinés. Parmi ceux qui ont été tués pour blasphème, aucun ne l’a été en vertu de la loi, ou après un procès. En fait, dans de rares cas, des gens ont été relâchés et il y a eu un non-lieu. Mais il est arrivé que des chrétiens, et même des musulmans, aient été lynchés par la foule, massacrés, poignardés.

Q : Pour changer de sujet, chrétiens et musulmans ont un amour particulier pour la Vierge Marie. Qu’en est-t-il dans votre diocèse ?

Mgr Coutts :Oui, pas seulement dans mon diocèse mais partout ; en effet, la Vierge Marie est mentionnée dans le Coran, livre saint des musulmans, et les musulmans la considèrent comme la mère du prophète Jésus, une personne très sainte et très pure, mais ils ne rendent pas à Marie le même hommage, la même vénération que nous, catholiques.

Q : Et votre propre dévotion à Marie ? Où l’avez-vous acquise ? Vos parents ont-ils influencé votre dévotion à Marie ?

Mgr Coutts : Oui, car je suis né et j’ai grandi dans une famille cath
olique ; nous sommes des catholiques pratiquants, et dans la grande ville de Lahore, où je suis né et où j’ai grandi. Notre maison se trouvait juste en face de l’église. A la maison, ma mère insistait toujours pour réciter le rosaire en famille et, enfant, je faisais partie de la Légion de Marie junior. J’avais donc déjà cette dévotion, et j’ai grandi dans un climat de grande dévotion envers notre Mère Bénie.

Q : Est-ce un facteur qui a influencé votre vocation de prêtre ?

Mgr Coutts : En regardant en arrière, je ne sais pas si je peux vraiment me focaliser sur un point particulier de ma vocation. J’élargirais beaucoup plus. Les pères capucins belges oeuvraient dans notre région. Il en reste encore quelques-uns au Pakistan. Et j’ai été fortement impressionné par leur dévouement et la manière dont ils nous traitaient. J’ai également étudié dans une école catholique et nos professeurs étaient les Frères irlandais. Nous avions des retraites annuelles et, comme je l’ai dit, j’ai rejoint la Légion de Marie. Nous avions donc beaucoup de dévotions catholiques et, comme nous n’étions pas loin de l’église, ma mère était très impliquée dans les activités paroissiales. Aussi cela a été tout un ensemble de choses, je crois, et l’environnement dans lequel j’ai grandi, qui ont encouragé cette vocation en moi. Je ne saurais dire s’il y a eu un point particulier, vraiment.

Q : Etes-vous le seul de vos frères et sœurs à être entré en religion ?

Mgr Coutts : Oui, je suis le seul. Mon frère n’a pas été content quand je suis entré au séminaire.

Q : Pourquoi ?

Mgr Coutts : Au début il disait : « Quoi ? Tu vas devenir prêtre, tu es sérieux ? » et des choses de ce genre. Mais à présent, ils apprécient tous, même mes amis. Vous savez, à cet âge, quand vous êtes à l’école, vous avez beaucoup d’idéaux, et j’avais très envie d’être pilote. J’aime tout ce qui est technique et ingénierie, j’aurais voulu être ingénieur en aéronautique car en regardant tous ces films… Mais il y a eu un film sur la « Vie de St. François d’Assise » et, à l’époque, il y avait un acteur d’Hollywood, Bradford Dillman, qui jouait le rôle de François d’Assise. J’ai alors pensé qu’il existe d’autres types de héros, pas seulement ceux qui deviennent pilotes de chasse ou autres, qu’il existe un autre type d’héroïsme auquel on peut être appelé. Et j’ai toujours eu en moi le désir d’aider les autres. J’ai été, grâce à Dieu, élevé dans une famille très bien ; nous n’avons jamais manqué de rien. J’ai eu une bonne éducation. Nous avions tout ce que nous voulions et j’ai toujours désiré aider les autres.

Propos recueillis par Marie-Pauline Meyer, pour l’émission télévisée « La où Dieu pleure », conduite par la Catholic Radio and Television Network (CRTN), en collaboration avec l’association Aide à l’Eglise en Détresse (AED).

Traduit de l’anglais par ZENIT

Pour la vidéo de cette interview en anglais cf. : www.wheregodweeps.org

Sur le Net :

– Aide à l’Eglise en détresse France  
www.aed-france.org

– Aide à l’Eglise en détresse Belgique

www.kerkinnood.be

– Aide à l’Eglise en détresse Canada  
www.acn-aed-ca.org

– Aide à l’Eglise en détresse Suisse 
www.aide-eglise-en-detresse.ch

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ZENIT Staff

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