Chrétiens en Arabie : « J'ai vu des gens pleurer de joie »

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par Mgr Paul Hinder

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Propos recueillis par Mark Riedemann

Traduction d’Hélène Ginabat

Rome, jeudi 5 avril 2012 (ZENIT.org) – « Je récolte maintenant les fruits de ceux qui ont semé avant moi », déclare le Vicaire apostolique d’Arabie, faisant allusion, entre autres, à la construction de la première église catholique du Qatar.

Mgr Paul Hinder, de l’ordre des frères mineurs capucins, est suisse et vit à Abou Dhabi. Il est responsable du plus grand territoire catholique au monde, couvrant une superficie d’environ trois millions de kilomètres carrés, pour à peu près deux millions de chrétiens.

Mark Riedemann a interviewé l’archevêque du Vicariat apostolique d’Arabie pour l’émission télévisée hebdomadaire « Là où Dieu pleure », du Réseau catholique de radio et de télévision (Catholic Radio and Television Network, CRTN), en collaboration avec l’association internationale : « Aide à l’Eglise en Détresse », (AED).

Mark Riedemann  – De quels pays parlons-nous lorsque nous parlons des états arabes ?

Mgr Paul Hinder – Il s’agit de six pays, qui sont les Emirats arabes unis, Oman, le Yémen, l’Arabie saoudite, le Bahreïn  et le Qatar. Il y a un autre Vicariat apostolique au Koweït, qui fait aussi partie de la péninsule arabe.

On dit souvent qu’il y a très peu de chrétiens, sinon pas du tout, dans ces régions. Pouvez-vous nous parler un peu de la présence chrétienne dans ces Etats arabes ?

En un sens, c’est vrai que nous n’avons pas de chrétiens locaux, mais nous avons beaucoup de chrétiens, en particulier des catholiques, qui sont des migrants venant du monde entier, plus spécialement des Philippines et d’Inde. La plupart d’entre eux devraient être là pour un temps relativement court, bien qu’un bon nombre soit ici depuis 30 ou 40 ans. Ils ont tous besoin de permis temporaires pour vivre ici. Et bien sûr, la pratique religieuse publique est limitée.

Il y a donc une liberté de pratique, mais pas de liberté de religion ?

La liberté de religion, au sens où l’entendent les droits de l’homme, n’est pas accordée, en tous cas pas totalement puisqu’ici il n’est pas question qu’un citoyen musulman devienne catholique, ou protestant, ou qu’il change de religion, d’une manière ou d’une autre, mais nous sommes libres, au moins dans certains pays, de pratiquer notre foi.

Comment se passent les relations entre les chrétiens et la communauté musulmane ?

Je dirais qu’il s’agit plus d’un « vivre à côté » que d’un « vivre avec », à cause de la situation civile, ou sociale, des personnes qui vivent ici. Les chrétiens font leur travail. Ce sont des migrants parmi d’autres migrants. Dans certains pays, ils représentent une grande majorité de la population  et ils ont, je dirais, une relation professionnelle avec les musulmans, mais dans la vie ordinaire, ils préfèrent avoir des relations avec leur propre peuple ou à l’intérieur de leur propre communauté religieuse.

Est-ce que le problème ne vient pas du fait que ce sont des travailleurs migrants alors que dans d’autres pays du Moyen Orient, il y a des chrétiens arabes, pour ainsi dire natifs du pays ?

C’est exact. Il y a une grande différence entre ces deux réalités. Cela a sûrement à voir avec le fait que notre population, et moi avec, ne parle généralement pas arabe, ou pas bien. J’ai été planté là et je ne m’y attendais pas. C’est pourquoi l’interaction n’est pas si facile, particulièrement avec les chefs religieux. Dans ces pays, un imam ne parle pas forcément anglais, ce qui crée immédiatement des problèmes de traduction, de langage,..

Cela a-t-il été un choc quand on vous a demandé d’aller en Arabie ?

Cela a été un choc la première fois que j’ai appris que j’étais un candidat sérieux pour ce poste à Abu Dhabi ; cela a été un moment difficile. Au moment de ma nomination, ce n’était plus une surprise.

Vous avez accompli une sorte de percée historique, dans la mesure où vous avez aidé et travaillé en vue d’introduire la première Eglise catholique au Qatar. Comment cela s’est-il passé?

Le mérite ne me revient pas. Je pense que c’est beaucoup dû à mon prédécesseur, Mgr Giovanni Bernardo Gremoli, qui a fait un travail remarquable ces 29 dernières années ; pratiquement toutes les églises qui existent dans les différents pays ont été rénovées ou construites par lui. C’est dû aussi aux personnes qui, ici au Qatar, ont travaillé dur pour y parvenir ; c’est dû aux catholiques locaux, à certains ambassadeurs qui ont travaillé pendant de très longues années à préparer le terrain jusqu’à ce que cela devienne possible. Je récolte maintenant les fruits de ceux qui ont semé avant moi.

Quelle espérance représente la construction d’une église qui peut contenir approximativement 2700 personnes ?

Il faut se souvenir qu’il y a eu des églises ici dès 1939 au Bahreïn, et à la fin des années 60 et 70 dans les Emirats arabes unis et dans le sultanat d’Oman. Sans parler de la toute première église de la péninsule, à Aden, où a commencé la mission au XIXèmesiècle. C’est un signe d’espérance pour les chrétiens qui vivent dans ce pays. Je me souviens de ce jour ; c’était émouvant et j’ai vu des gens pleurer de joie en voyant enfin leur église, disons un lieu où vivre leur foi et c’est très important d’avoir un signe de visibilité, un endroit où les gens peuvent se rassembler pour des célébrations sans courir de risque. Cela montre aussi l’ouverture et la générosité de l’émir, et c’est le signe qu’ils souhaitent être plus ouverts, tolérants et conscients des réalités du pays.

Beaucoup de discussions ont eu lieu autour de la question de la réconciliation et de la manière d’avancer ensemble avec la communauté musulmane. Une des propositions consiste à encourager la séparation de la foi et de l’Etat. Est-ce envisageable ?

Je voudrais faire une comparaison. Jésus-Christ n’est pas venu pour fonder un état. Il n’est pas venu avec des forces militaires. Il n’est pas venu avec un projet social ou politique. Cela s’est passé trois cents ans plus tard dans le monde chrétien quand l’empereur Constantin a ouvert des possibilités pour l’Eglise. Dans les trois cents premières années, les chrétiens n’existaient pas en tant que force politique, alors que la naissance de l’Islam est très étroitement liée à un projet politique et militaire. Je ne crois pas qu’il soit facile de dépasser cela, car c’est très lié au début de l’Islam. Je ne dis pas que c’est impossible parce que je crois que, même dans le Coran, il y a des éléments qui peuvent être interprétés en faveur du développement d’une plus grande tolérance vis-à-vis des autres religions, mais malheureusement il y a aussi d’autres textes, en particulier dans la doctrine islamique traditionnelle, où nous trouvons de très grandes pierres d’achoppement sur ce chemin. Heureusement, dans le monde musulman, il y a beaucoup de travaux qui vont dans cette direction mais je pense que cela prendra du temps.

En direction de la coopération ?

Oui. Prenons par exemple la Turquie, qui est un état séculier, mais ce n’est pas facile pour les chrétiens, parce que la mentalité est marquée par cette fondation musulmane et islamique.

Quel est votre espoir pour l’Eglise catholique dans le Golfe d’Arabie ?

Mon espoir est que nous, catholiques, puissions ne pas vivre dans la crainte. J’espère davantage de tolérance. Dans la plupart des pays, nous n’avons pas vraiment à nous
cacher. Nous n’avons pas réellement de problème à Dubaï, par exemple. Si quelqu’un accroche un chapelet avec une croix devant le pare brise de sa voiture, ce n’est pas un problème.

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ZENIT Staff

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