Chine : « Liturgie et Inculturation »

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Par le P. Jean Charbonnier, MEP

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ROME, jeudi 23 février 2012 (ZENIT.org) – « Liturgie et Inculturation » en Chine, c’est le thème de cette réflexion publiée par « Eglises d’Asie », l’agence des Missions étrangères de Paris, et due au P. Jean Charbonnier, MEP.

« Liturgie et Inculturation »

Un peu partout dans le monde, le cinquantième anniversaire du concile Vatican II est l’occasion d’un bilan. A l’époque du concile (1962-1965), les communications de l’Eglise de Chine avec l’Eglise universelle étaient quasi impossibles du fait de la révolution maoïste. Aujourd’hui, après trente années de politique d’ouverture en Chine, l’heure est aussi au bilan dans l’Eglise de Chine. Du 15 au 18 novembre 2011, un colloque s’est tenu à Shijiazhuang, dans le Hebei, sur le thème « Liturgie et Inculturation ». Le P. Jean Charbonnier, des Missions Etrangères, y a pris part. Il en rend compte dans le texte ci-dessous.

par le P. Jean Charbonnier, MEP

Au matin du 16 novembre 2011, une clientèle bigarrée se côtoie dans la vaste salle à manger de l’Hôtel Junxing de Shijiazhuang, dans la province du Hebei. Les plats habituels du petit déjeuner sont alignés sur une série de tables accolées sur toute la largeur de la grande salle : nouilles grillées, fricassée de légumes verts, beignets youtiao, mantou, baozi, cacahuètes, bouchées de poisson séché, etc. Au bout de la table, on peut puiser dans de grandes gamelles de la soupe au millet, du lait de soja et le fameux xifan de riz liquide parfaitement insipide. Deux longues files progressent tout au long de cette table buffet, chacun picorant suivant son goût : d’un côté, une file de prêtres taoïstes en toge noire, tous coiffés de leur bonnet rituel, de l’autre, une file plus variée de prêtres catholiques, malheureusement sans la barrette qui leur donnerait la face, mais avec le col romain, accompagnés d’une douzaine de religieuses en habit et de quelques laïques. Deux grands colloques, chacun réunissant une centaine de participants, prennent place dans cet « Hôtel de l’armée victorieuse » les 16, 17 et 18 novembre 2011.

Il ne s’agit nullement d’une rencontre interreligieuse. Car si la nourriture est la même pour tous, ces deux groupes ne communiquent pas du tout entre eux. Le groupe catholique est pleinement absorbé par le thème choisi pour ce colloque : « Liturgie et Inculturation ». Je n’ai pas l’idée de demander à l’un des prêtres taoïstes de quoi ils discutent. Il est peut-être aussi question de leurs rituels à adapter à la société contemporaine… D’autres grandes assemblées taoïstes se sont réunies à ce sujet fin 2011.

Rattraper le retard du continent en matière de réforme liturgique

Le colloque catholique est organisé par l’Institut ‘Foi et Culture’ de Shijiazhuang ou plus exactement l’« Institut La Foi pour les études culturelles ». L’institut La Foi (Xinde) en effet a d’abord été le nom du journal catholique La Foi (Xinde) qui est désormais devenu un hebdomadaire après plus de vingt ans d’existence. Sur ce tronc d’origine s’est greffé un service social catholique qui a pris le nom voisin de « Jinde » (‘Entrer dans la vertu’). Le P. Jean-Baptiste Zhang Shijiang, ancien étudiant aux Philippines, est la cheville ouvrière de cet ensemble. Le réseau de relations créé par le journal La Foi lui permet maintenant d’organiser des colloques de formation théologique. Le choix du sujet, « Liturgie et inculturation », intéresse particulièrement les prêtres. L’institut La Foi a pu ainsi s’associer aux dix grands séminaires de Chine pour mettre sur pied ce colloque : séminaire national de Daxing à Pékin, séminaires régionaux du Hebei, de Xi’an, de Taiyuan, de Wuhan, de Sheshan, de Shenyang, de Chengdu, séminaire diocésain de Pékin. La faculté de théologie de l’Université Fujen de Taipei est sans doute comptée au nombre des dix séminaires impliqués.

A l’ouverture de la session, les participants reçoivent un document précieux. Il s’agit d’un bilan de la formation en compétences liturgiques au cours de vingt dernières années. Jusqu’à ce jour, vingt prêtres et une religieuse chinois se sont spécialisés dans les études liturgiques à l’étranger : Amérique, Italie, Allemagne, Philippines, Suisse. L’un d’eux a obtenu un doctorat, treize autres une licence, les autres sont encore en cours d’étude. Onze d’entre eux sont de retour en Chine et enseignent la liturgie dans les dix grands séminaires. Une étude menée par l’Institut ‘Foi et Culture’ fournit aussi le bilan statistique des publications en Chine concernant la liturgie :

– messe et sacrements : 33 titres – dont une par la Commission liturgique de la Conférence épiscopale –, sept au Shanxi, onze par la société Guangqi de Shanghai, onze par l’Institut La Foi au Hebei et trois autres ;

– autres publications au nombre d’une centaine pour des sujets tels que introductions à la liturgie, instruments liturgiques, lectures et homélies, prières liturgiques, deux périodiques liturgie et spiritualité, calendriers liturgiques, livres de chants sacrés.

En vingt ans, l’Eglise en Chine a ainsi rattrapé trente années de retard sur la mise en œuvre de la réforme liturgique à Taiwan, Hongkong et autres lieux.

Quelle inculturation pour la liturgie catholique ?

D’après la liste officielle des participants au colloque, on peut compter un évêque, Mgr Yang Xiaoting évêque « officiel » (et légitime) de Yan’an, 44 prêtres, deux séminaristes, onze religieuses, onze laïques et six personnalités de niveau universitaire intéressées par le rituel catholique et par sa base ecclésiale. Notons parmi eux le professeur Liu Guopeng, de l’Institut pour l’étude des religions mondiales de Pékin, auteur d’un gros ouvrage sur Mgr Celso Costantini, premier délégué apostolique en Chine en 1922, Mme Kang Zhijie, professeur à l’Université de Wuhan, auteur d’ouvrages sur les fêtes catholiques et sur la communauté catholique de Chayuangou, au nord du Hubei.

Une trentaine d’intervenants présenteront leur sujet au cours des trois jours du colloque. La plupart d’entre eux ont bénéficié de longues années d’étude en Amérique ou en Europe. Plusieurs sont professeurs de liturgie dans leur grand séminaire ou au séminaire national de Daxing à Pékin. C’est le cas en particulier du P. Yao Shun, de Mongolie intérieure, accueilli en Amérique par les pères de Maryknoll en 1994 et étudiant au St John’s Seminary de 1994 à 1998. Son exposé bien structuré sur la liturgie en relation à l’évangélisation pastorale est bien reçu. De même ses réponses aux questions diverses soulevées par l’assemblée. Un forum d’une soirée dirigé par le P. Jean Zhu Xile, un ancien de Fribourg en Suisse, donne lieu à quantité de questions très pratiques.

Signalons entre autres la confusion actuelle dans la traduction du nom des saints. Saint Pierre peut donner Boduolu, d’après le latin Petrus, ou bien Boduo car les prénoms chinois sont de deux mots ou encore Bide d’après l’anglais Peter. Et pourquoi pas le prénom chinois des 120 martyrs canonisés à la place du prénom de leur baptême ?

Autres questions concernant la liturgie de la messe : l’offertoire, les danses et la mémoire des saints. Peut-on offrir des intentions de prière écrites sur papier et demander au célébrant de les brûler ensuite en signe d’acceptation par Dieu ? Le P. Pan répond par la négative. Les intentions de prières sont réunies dans la prière universelle et offertes par le célébrant. Pour ce qui est des danses, il signale que Rome demand
e beaucoup de prudence. A Taiwan, pour célébrer les 150 ans de l’Eglise dans l’île, des danses étaient prévues pendant la messe. Elles ont ensuite été supprimées, car elles tournaient trop au spectacle et pouvaient détourner de Dieu le cœur des fidèles.

Vers un missel unique en langue chinoise

Nombres de réponses éclairées sont fournies par les deux participants de Taiwan qui bénéficient d’une longue expérience en liturgie : le P. Charles Pan, lazariste chinois de Taipei, professeur à l’Université Fujen, et Mme Thérèse Chien Ling-chu, membre de la Commission liturgique de l’archidiocèse de Taipei et responsable du Centre de recherche liturgique de la Faculté de théologie à l’Université Fujen. Le P. Charles Pan a longtemps travaillé aux côtés du P. André Chao, homme de base de la réforme liturgique à Taiwan depuis le concile Vatican II. Son apport à Shijiazhuang tend à prendre la relève des apports passés du P. Thomas Law, de Hongkong, qui avait été le principal artisan de la diffusion des orientations de Vatican II dans les grands séminaires de Chine. Les traductions du missel et du rituel faites à Taiwan sont sans doute plus proches des milieux catholiques les plus dynamiques du nord de la Chine. L’une des questions discutées au colloque est d’ailleurs la difficulté d’adopter une traduction chinoise de référence alors que trois traductions sont actuellement concurrentes à Hongkong, Taiwan et sur le continent. Bien que l’écriture idéographique soit la même partout, les langues parlées sont différentes. Il faut parfois modifier le texte écrit de façon à éviter des lectures grossièrement déviantes.

La question est posée par le P. Pierre Zhao Jianmin, ancien doctorant en Belgique, aujourd’hui directeur des éditions Sapientia et d’une formation théologique pour universitaires à Pékin : « P. Pan, P. Yao, Prof. Qian, vous êtes des autorités dans les trois territoires des deux côtés du détroit (Taiwan, Hongkong, continent). Puis-je vous demander s’il est bon que le missel et le sacramentaire que nous utilisons actuellement soit une seule édition ou bien qu’il y ait trois éditions différentes ? S’il est bon qu’il n’y ait qu’une seule édition, comment y parvenir du point de vue liturgique ? »

La première réponse est donnée par Mme Thérèse Chien, directrice de l’ALF (Asian Liturgy Forum) à l’Université Fujen : « Dans les trois territoires de chaque côté du détroit, des expressions diffèrent. Si l’unification est forcée, il y aura des mécontents. Je maintiens pourtant que les trois territoires peuvent coopérer, car l’essentiel nous est commun. Les adaptations locales sont peu nombreuses. Le curie romaine espère qu’il n’y ait qu’une traduction officielle par langue et nous ne pouvons en envoyer qu’une. Ce n’est qu’après l’approbation de Rome que nous pourrons l’utiliser. C’est pourquoi il est important que nos trois territoires se réunissent maintenant dans l’espoir de parvenir à un seul et même texte. »

Le P. Yao Shun ajoute : « Depuis nombre d’années, la traduction que nous utilisons n’est pas celle de Taiwan mais celle de Hongkong. Il y a aussi des parties de Shanghai. Cela fait plusieurs éditions. Nous le comprenons. Mais la diversité des textes peut créer des difficultés. Bien que les habitudes soient vraiment différentes, il est préférable d’œuvrer à un texte unique en intégrant les quelques adaptations convenables en chaque lieu comme le suggère Mme Chien. »

Le P. Pan conclut : « Pour l’essentiel, ma position est la même que celle de nos deux liturgistes. Par exemple à Taiwan, outre le mandarin, il y a la messe en taïwanais et dans les langues aborigènes. La messe en taïwanais est une romanisation de la messe mandarine traduite en taïwanais par les pères de Maryknoll. Quant aux aborigènes, la plupart n’ont pas de missel dans leur langue. Ils font eux-mêmes les adaptations voulues en fonction de leur langue maternelle. »

Cette dernière remarque laisse penser que la compétence du P. Pan ne s’étend pas à la liturgie des aborigènes, car les traductions voulues dans les principales langues aborigènes ont été publiées et utilisées par les Pères des Missions étrangères de Paris au cours des soixante dernières années. Le P. Pan veut peut-être seulement forcer le trait en faveur des adaptations locales.

Il s’agit ici d’une question parmi une vingtaine d’autres débats publiés par le journal Xinde des 8, 15 et 22 décembre 2011.

Un troisième expert de Taiwan intervient dans le domaine de l’architecture religieuse, symbolique de grands axes de la pensée chinoise. Il s’agit du prêtre allemand Martin Welling, SVD, missionnaire à Taiwan depuis des décennies. Ces dernières années, il dirigeait One World Community Service Center de Hsintien, un organisme d’éducation et culture, ainsi que le Genesis Conference Center. Il est maintenant affecté au service des étudiants chinois de théologie accueillis en Allemagne au centre des Pères du Verbe Divin à St Augustin, près de Cologne. Son exposé Powerpoint présente quelques constructions récentes d’églises à Taiwan combinant les requêtes de la liturgie avec une symbolique chinoise.

Ce genre de création sophistiquée dépasse encore sans doute les rêves les plus audacieux des prêtres du continent, mais elle leur ouvre un horizon. D’autres réalisations liturgiques à Taiwan ou dans la diaspora chinoise, comme à Singapour et à Paris, ne sont pas encore familières en Chine. Les images du rituel en l’honneur des ancêtres célébré à Taipei ou à Paris à l’occasion du Nouvel An lunaire semblent être reçues avec réticence et donnent lieu à des questionnements : « Ce genre de célébration est-il permis par l’Eglise ? Les gens souhaitent-ils y participer ? »

Les réponses à ces questions sont en fait données dans l’exposé du P. Chen Kaihua, professeur au séminaire de Chengdu. Le P. Chen n’a pu venir au colloque et son exposé a seulement été distribué. Le P. Chen Kaihua, de la province du Yunnan, a été étudiant de théologie en deuxième cycle au Centre Sèvres de Paris. Il explique comment le rituel des ancêtres utilisé à Paris a d’abord été célébré à Taiwan en 1971 par Mgr Yu Pin, recteur de l’Université Fujen. Ce culte « Ji Tian Jingzu » (‘Sacrifice au Ciel – Honneur aux ancêtres’) fait problème dans l’histoire de l’évangélisation en Chine. Ce fut la source d’un conflit de pouvoir entre l’empereur de Chine et Rome et d’une « querelle des rites » entre les instituts missionnaires. Il s’agit au fond d’une question de christologie : le salut par la foi au Christ sauveur et non par les rites. Aujourd’hui, pour les Chinois de la diaspora et ceux de Taiwan exilés du continent, le recours au rituel des ancêtres répond à un besoin d’identité culturelle et de lien avec la terre des ancêtres. La Conférence épiscopale chinoise de Taiwan a publié le 29 décembre 1974 un document sur le vrai sens du culte des ancêtres pour les chrétiens. Depuis 1971, Msgr Yu Pin, Lokuang, Paul Cheng, d’autres encore, ont déterminé la portée théologique de ce rituel en relation avec les principes confucéens de respect du ciel et de piété filiale (xiaodao). Pour les théologiens du continent, il y a là un lieu significatif de dialogue interreligieux et d’approfondissement théologique.

Conclusion

Le Colloque de Shijiazhuang, bien que visant à l’inculturation de la liturgie n’est en rien une recherche aventureuse ou fantaisiste. Les discussions se réfèrent constamment à la première constitution de Vatican II De Sacra Liturgia. Le fruit principal est peut-être de mettre en valeur la plénitude de sens des célébrations liturgiques bien menées et de dissuader les cél
ébrants de liturgies bâclées. Bien qu’ayant le sens des rites, les officiants chinois sont aussi pragmatiques et tentés de miser sur l’efficacité du rite pourvu qu’il soit complet dans le minimum de temps. Mais le ex opere operato doit être soigneusement distingué des rituels magiques d’origine animiste. La liturgie chrétienne a pour mérite d’associer le geste rituel au sens de la Parole. Encore faut-il que le geste soit bien visible et la Parole bien entendue. Le colloque a ainsi bien mis en relief les liens entre liturgie, pastorale et spiritualité.

En un temps où l’Eglise dans le monde s’apprête à célébrer le cinquantenaire de Vatican II, l’Eglise en Chine semble prendre les devants en portant l’attention sur la première des quatre constitutions conciliaires et en s’interrogeant sur sa mise en œuvre. On peut espérer que les trois autres constitutions feront l’objet de nouveaux colloques et que les théologiens de Taiwan et de Hongkong y prendront aussi une part active.

© Les dépêches d’Eglises d’Asie peuvent être reproduites, intégralement comme partiellement, à la seule condition de citer la source.

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ZENIT Staff

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