Cambodge : le souvenir des martyrs est une force

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Par le P. Enrique Figaredo Alvargonzález, s.j.

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Propos recueillis par Maria Lozano

Traduction d’Hélène Ginabat
ROME, mardi 31 juillet 2012 (ZENIT.org) – « En nous souvenant de nos martyrs, nous avons aussi grandi dans la foi, parce que ces personnes sont mortes avec une foi vivante », affirme le P. Enrique Figaredo Alvargonzález, , au Cambodge depuis plus de vingt-cinq ans.

Le jésuite espagnol, âgé de 52 ans, partage son expérience dans cet entretien avec Maria Lozano pour l’émission radio-télévisée hebdomadaire « Là où Dieu pleure », réalisée en coopération avec l’Aide à l’Église en Détresse (AED).

Maria Lozano – Père, vous êtes entré au noviciat de la Compagnie de Jésus à Madrid à l’âge de 20 ans. Quand et pourquoi êtes-vous allé au Cambodge?
Père Figaredo –
Je cherchais à faire une rencontre avec Dieu, je l’ai faite au noviciat et lorsque j’étudiais la philosophie. Cependant, à la fin de mes études d’économie, j’ai voulu mettre un visage sur ces chiffres que j’avais étudiés pendant mon cursus ; j’ai dit à mon Provincial que je voulais faire du bénévolat pour les réfugiés et que je voulais apprendre de ces gens. Jésus est le Christ souffrant dans le monde et je pensais que les réfugiés allaient m’apprendre à quoi ressemblait ce Jésus, le Christ. J’étais prêt à tout et un jour j’ai reçu une lettre de Bangkok, du Service jésuite des réfugiés : « Nous vous attendons ici le 1er septembre ». Cette lettre est arrivée en mai ; j’avais encore des examens à passer pour mon diplôme, j’étais très nerveux.


Le Cambodge était encore en guerre…

Oui. J’ai dû regarder une carte pour voir où c’était. Sur les premières photos de Cambodgiens, ils portaient tous la krama, le vêtement que je porte. La krama est un foulard qui répond à de multiples usages au Cambodge ; il est utilisé aussi bien pour la transpiration que pour se protéger du soleil, comme une serviette, ou comme un hamac pour faire dormir les enfants. Si nous devions choisir un symbole du Cambodge pour identifier ce peuple, nous choisirions la krama. Donc, quand je porte la krama, c’est un peu comme si j’emportais le Cambodge avec moi, comme dans ces premières photos de réfugiés cambodgiens que j’ai vues, où tous portaient la krama et cela avait vraiment attiré mon attention.

Vous êtes arrivé au Cambodge en 1985 : quelle a été votre première impression?
La peur d’abord, je mourais de peur. Quand je suis allé dans les camps de réfugiés, cela a été une véritable odyssée. Il fallait passer cinq contrôles militaires, et chaque fois qu’on en avait passé un, les choses devenaient plus inquiétantes : des militaires vêtus de noir, sans un sourire, nous demandaient nos papiers brutalement. Quand je suis arrivé à la porte du camp de réfugiés, je ne l’oublierai jamais, le passage à niveau s’est ouvert et nous sommes rentrés. Devant moi, tout à coup, des enfants, très mal habillés, pieds nus, mais joyeux ! Je me souviens de beaucoup de joie, de vie … la vie … la vie, la vie en plénitude alors qu’ils étaient enfermés dans un camp de réfugiés, comme des prisonniers de guerre pourraient-on dire.

Que s’est-il passé ensuite?
Je suis allé leur rendre visite et j’ai été reçu par Jhaimet, qui était comme leur chef. Je m’en souviens très bien : il était debout avec ses béquilles, il n’avait qu’une jambe, l’autre ayant été grièvement blessée, et qu’un œil. Je ne parlais pas cambodgien, mais il y avait un garçon qui traduisait pour moi. Il a dit : « J’ai entendu dire que vous êtes venus pour nous aider », et moi, mort de peur, j’ai répondu : «Oui, oui ». Et il a dit : « Eh bien ne vous inquiétez pas, je vais vous dire ce dont nous avons besoin . « A cet instant, j’ai ressenti une immense paix, pour ainsi dire, Jhaimet était la voix de Dieu qui me disait : « Ne t’inquiète pas, nous te souhaitons la bienvenue ici, nous t’aimons ».


Dans ces camps de réfugiés, la majorité des gens étaient de religion bouddhiste, comme dans le pays ?

Oui, ils sont bouddhistes en majorité. Bien sûr, il y a des catholiques, mais ils sont peu nombreux. En outre, la guerre était également responsable de la disparition des catholiques. Beaucoup de gens ont été tués : des prêtres, des évêques, tout le monde. Dans les camps il y avait un petit reste d’Israël, du christianisme, de petites familles, souvent sans le chef de famille. La majorité étaient des veuves et souvent, même ce chef de famille avait disparu. C’était des enfants de catholiques, mais sans aucune formation et ils ont aussi besoin d’un soutien particulier.

Lors de la cérémonie de votre installation en tant que préfet de la Préfecture Apostolique, une femme rescapée a donné son témoignage et elle a parlé de l’Eglise au Cambodge comme d’« une Eglise qui, au cours des 30 dernières années, a été une Église de larmes et de sang »: elle faisait allusion à la persécution des Khmers rouges de Pol Pot car l’Eglise au Cambodge est une Eglise martyre…
Oui, c’est une Eglise martyre. L’Eglise au Cambodge a été complètement rasée. Tous nos dirigeants, comme je l’ai dit précédemment, les évêques, les prêtres, les religieuses, les nombreux catéchistes, ont été tués. Ceux qui n’ont pas été tués sont morts de faim ou de maladie, et la communauté est restée dans une situation très critique. Aujourd’hui, nous avons des lieux au Cambodge à la mémoire des martyrs. Nous les commémorons les 7 et 8 mai. Toutefois, en nous souvenant de nos martyrs, nous avons aussi grandi dans la foi, parce que ces personnes sont mortes avec une foi vivante. Mgr Paul Tep Im Sotha, premier Préfet Apostolique de Battambang, à qui je succède, a célébré la messe et béni tous les fidèles deux jours avant de mourir, en leur disant : « Des temps difficiles vont venir, prenez soin de votre foi, prenez soin de la foi des autres ». A l’issue de la messe, il est monté dans une voiture et il a été tué. Mgr Joseph Chhmar Salas, de Phnom Penh, a été nommé évêque quatre jours avant l’entrée des Khmers rouges dans Phnom Penh. Son évêché était dans les champs de riz.

C’était une sorte de camps de concentration ?
C’est cela, et dans ces camps de concentration, il travaillait comme pasteur et rendait visite aux catholiques. Il priait et célébrait l’Eucharistie malgré de très nombreuses limites, mais il le faisait. Il s’occupait de son peuple comme un pauvre et il est mort de faim et de maladie, mais à sa mort, ses parents ont pris sa croix pectorale et les gens se sont rassemblés pour prier autour de la croix pectorale de Mgr Salas.

Maintenant, même si ce n’est plus une Eglise martyre, c’est encore une Église « en détresse »?
C’est vrai. Après Pol Pot, un régime communiste pro-vietnamien a été instauré, causant beaucoup de souffrances. Il n’a pas apporté la liberté de religion et le peuple a continué à être éprouvé et à souffrir de la pauvreté. Cependant, le souvenir de tous nos martyrs nous donne une grande force parce que nous les avons vus se donner dans la souffrance et nos catholiques ont aussi beaucoup souffert et aujourd’hui ils sont témoins par leur vie.

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ZENIT Staff

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