Brasilia 2012 : intervention du P. Radcliffe, 24 juillet

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La vraie compassion : se laisser aussi regarder par l’autre

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ROME, mercredi 25 juillet 2012 (ZENIT.org) – La vraie compassion, ce n’est pas seulement regarder l’autre, c’est aussi se laisser regarder par l’autre, en vérité.

C’est ce qu’a déclaré le P. Timothy Radcliffe, o.p., intervenant principal du rassemblement international des Equipes Notre Dame, organisé du 21 au 26 juillet 2012, au Brésil, à Brasilia (cf. Zenit du 7 mai 2012).

Le père dominicain s’exprimait ce 24 juillet 2012 sur le thème : « Il fut pris de compassion (Luc 10,33) », tiré de la parabole du bon Samaritain.

Intervention du P. Timothy Radcliffe, o.p. :

Le Samaritain vit l’homme étendu au bord de la route et fut pris de compassion. Cela signifie littéralement qu’il fut « pris aux tripes ». Il a été touché au cœur de son être. Le mot ‘compassion’ signifie « sentir avec quelqu’un ». Il est bon de sentir pour (à la place de) quelqu’un. Cela fait partie de la compassion, mais on pourrait le percevoir comme condescendant ou paternaliste. Je dois aussi sentir avec eux, prêtant attention à ce que EUX sentent et comment eux voient les choses.

Donc ce sont les deux faces de la compassion : je dois voir la personne comme un être humain semblable, comme mon frère ou ma sœur. Je dois aussi apprendre à les voir comme différents de moi, comme le fruit de leur expérience unique, que je ne peux pas connaître totalement. Il y a deux jours, quand j’ai parlé de l’amour, j’ai dit que cela impliquait une intention de proximité avec l’autre dans l’intimité, mais aussi de leur laisser de l’espace pour être eux-mêmes. Le Samaritain est proche mais il laisse l’homme blessé à l’auberge pour continuer sa propre vie.

Le Brésil était le pays du grand Helder Camara, le Saint Archevêque de Récife. Il est un merveilleux exemple de compassion dans ce premier sens. Il était souvent accusé d’être un communiste à cause de sa préoccupation pour les pauvres qui vivaient dans les favelas sur les collines autour de la ville. Il a dit : ‘ si je ne monte pas dans les collines dans leur favelas pour les saluer comme mes frères et soeurs, alors ils descendront des collines dans les villes avec des drapeaux et des armes ». Parfois, quand Helder Camara avait entendu dire qu’un pauvre homme avait été emmené par la police, il donnait un coup de téléphone à la police et disait, ‘ j’ai appris que vous avez arrêté mon frère ‘. Et la police était très embarrassée : ‘ Votre Excellence, quelle erreur épouvantable! Nous ne savions pas qu’e c’était votre frère. Il sera libéré immédiatement! ‘ Et quand l’Archevêque allait au commissariat de police pour chercher l’homme, la police disait ‘ Mais votre Excellence, il n’a pas le même nom de famille que vous. ‘ Et Helder Camara répondrait que chaque personne pauvre était son frère ou sa soeur.

Aimer un autre est le voir comme vous-même, un être humain semblable à vous. Saint Augustin disait que l’ami est ‘ un autre moi ‘. Il écrivait : ‘ je suis d’accord avec le poète qui appelait son ami « la moitié de sa propre âme. » Car je sentais que mon âme et celle de mon ami étaient une âme dans deux corps’. Quand nous allons vers des personnes qui vivent des relations cassées, ou qui cohabitent, ou des divorcés-remariés, nous nous voyons nous-mêmes dans leur situation. Nous nous identifions à eux et savons que nous pourrions facilement être dans leur situation.

L’autre aspect de la vraie compassion est l’acceptation que l’autre personne n’est pas comme moi. L’autre personne est unique et je ne peux pas connaître exactement sa souffrance. Il est très irritant si vous êtes dans la douleur et quelqu’un vous dise: ‘ je sais exactement ce que vous ressentez. ‘ Peut-être vous avez perdu quelqu’un que vous aimez, ou vous supportez la douleur physique et vous avez envie de dire : ‘ non, vous ne le pouvez pas! Vous n’êtes pas moi! ‘ Ma souffrance n’est pas exactement la même que celle d’un d’autre. Vous n’avez jamais perdu ma femme ou mon mari! Vous ne savez pas à ce que c’est pour moi d’être face à la mort.

La vraie compassion respecte aussi l’altérité et le mystère de l’autre. Comment pouvons-nous grandir avec cette révérence pour l’autre personne ? Hier, je parlais de la façon de regarder l’autre ; nous prions afin de pouvoir regarder avec les yeux de Jésus, mais Jésus aussi se laisse voir lui-même. Sur la croix, il est nu face à nos yeux. Ses yeux percent toutes nos dissimulations mais il a le courage de se laisser voir également même comme mort sur la croix, quand il ne peut plus regarder en arrière. Il se confie à notre regard.

La véritable compassion veut dire que nous regardions les autres avec amour, mais nous nous laissons voir nous-mêmes aussi. Si nous regardons uniquement, nous revendiquons une certaine supériorité. Dans l’Eglise primitive, lors du baptême, on nous enlevait nos vêtements. Nous descendions dans les fonds baptismaux nus et sans honte. Nous ne devions pas nous cacher devant le regard de Dieu comme Adam et Eve après la chute. Maintenant nous pouvons être devant Dieu comme nous sommes. Grégoire de Nicée écrivait : « rejetant les feuilles fanées qui voilent nos vies, nous pouvons nous présenter devant les yeux de notre créateur. »

Dans un couple, ou même dans une vie religieuse nous apprenons la réciprocité de la compassion. Nous nous laissons toucher par ce que l’autre personne vit. Nous la regardons avec les yeux ouverts. Mais nous devons aussi oser nous laisser regarder par notre époux. Nous ne devons pas cacher nos faiblesses, nos doutes, nos insécurités. Nous devons même être littéralement nu avec l’autre. Et cela demande une grande confiance, spécialement quand nous vieillissons et devenons « mous ».

Nous pouvons avoir confiance qu’il nous regardera avec pitié et compréhension. Avons-nous peur que notre époux nous voie comme nous sommes réellement, et qu’il ne puisse plus nous aimer ? Vous sentez-vous portés à ériger une façade qui vous ferait gagner l’admiration, plutôt que de faire confiance en son amour plein de compassion pour nous ? Dieu nous voit tel que nous sommes, il nous aime plus que quiconque.

Un jour je visitais un énorme dépotoir d’ordures dans la périphérie de Kingston en Jamaïque, là où vivent les plus miséreux. J’ai découvert une sorte de cabane primitive, presque comme une grande boîte en carton. Quand je m’approchais, une mère et son jeune fils en sortaient. Ils m’ont invités à l’intérieur et m’ont offert un coca-cola qu’ils avaient, je suppose, trouvé dans les ordures, et le fils m’a demandé d’échanger nos T-shirts. J’étais très touché et j’ai gardé le T-shirt pendant des années. Il semble plutôt avoir rétréci. Ce n’était simplement pas moi qui les voyais, mais c’est eux qui me voyaient, j’existais à leurs yeux, j’étais invité dans leur maison. Nous nous sommes regardés. Sans cette réciprocité, même la compassion peut devenir paternaliste et même dominatrice.

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ZENIT Staff

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