« Benoît XVI vient encourager les chrétiens à servir la concorde »

Analyse du P . Charbel Ouba, étudiant en France

Share this Entry

Propos recueilllis par Séverine Jahan

ROME, dimanche 16 septembre 2012 (ZENIT.org) – « Benoît XVI vient encourager les chrétiens à servir la concorde », souligne le P. Ouba.

La première visite du Benoît XVI au Liban (14-16 septembre 2012), le rôle du Liban au sein du Proche-Orient, les révolutions dans le monde arabe, mais aussi les missions spirituelles, éducatives et pédagogiques de l’école catholique au Liban ont été au cœur de l’entretien de Zenit avec un jeune prêtre libanais étudiant en France.

Arrivé en France en juillet 2009 pour se former en Sciences de l’Éducation, le P. Charbel Ouba, de l’Ordre Basilien Chouérite, est libanais et appartient à la communauté grecque-melkite catholique.

Zenit – Dans votre mission éducative, vous étiez chargé de trouver des parrainages avec des écoles catholiques françaises, pouvez-vous nous préciser les objectifs de votre projet ?

P. Charbel Ouba – Tout d’abord, j’aimerais vous dire un mot sur la relation franco-libanaise. Presque chaque Français entretient une relation particulière avec le Liban, soit avec des Libanais vivant en France, soit avec le Pays du Cèdre lui-même. À chaque fois que je me présente devant un Français comme Libanais, je vois un sourire tracé sur son visage, signe d’amour. Aussitôt il me raconte une histoire à propos du Liban ou il me dit : « Ah ! Je connais des Libanais ! »

Cette relation, née pendant le mandat français au Liban (1920-1943), et bien avant, appartient à l’histoire propre de ces deux peuples. D’autre part, la guerre civile, qui a blessé ce pays depuis 1975 jusqu’aujourd’hui, a obligé les Libanais à immigrer dans le monde entier surtout au Canada, au Brésil, en Australie et en France… c’est pour cette raison qu’on trouve des Libanais partout dans le monde.

Concernant le projet du parrainage, je suis membre d’une association (Francophonia-Liban née en 2010) qui tient à encourager les Libanais à continuer à parler la langue française, cette belle langue que j’avais passionnément envie de parler correctement. Aujourd’hui les élèves libanais ont tendance à se diriger vers l’anglais au détriment du français, d’autant que cette génération est une génération de la technologie, qui utilise l’anglais pour communiquer sur les téléphones portable, les réseaux sociaux tels msn, facebook, twitter, etc. Afin de soutenir la pratique de la langue française, Francophonia Liban favorise les partenariats entre établissements scolaires français (public et privé) et établissements scolaires libanais.

En quoi votre mission est-elle signe d’espérance pour le Liban ?

Actuellement,la situation au Liban est marquée par une très forte instabilité politique et sécuritaire. Je ne vais pas vous parler des pays environnants, car le Liban est en lui-même une synthèse des problèmes politiques que connaissent les autres pays de la région. La situation libanaise est aujourd’hui caractérisée par la transformation des chrétiens en minorité de plus en plus étroite. Cette réalité doit faire réfléchir tous les chrétiens libanais sur leur rôle et leur mission en cette terre héritière des Phéniciens.

L’éducation est l’une des richesses principales du Liban. L’Église catholique au Liban est présente sur tout le territoire libanais par ses institutions scolaires, académiques et universitaires. Une majorité de ces institutions est dirigée par des religieux : cette caractéristique reste une réalité au Liban. C’est par l’éducation que l’on peut accompagner les nouvelles générations et les aider à trouver le chemin de la vérité, de la beauté et de la paix. Ainsi, dans les établissements scolaires catholiques se côtoient quotidiennement élèves musulmans et chrétiens : ils vivent en bons termes, à la différence des partis politiques qui s’insultent mutuellement dans les médias.

Le Liban a été fondé sur la convivialité islamo-chrétienne : cette coexistence est au cœur du Pacte National signé en 1943 lors de l’Indépendance. Or, lorsque l’on considère les résultats de la « révolution arabe » dans les pays environnants, force est de constater que le fondamentalisme musulman et donc l’intolérance et l’exclusion de l’autre gagnent du terrain. Toutes les Églises au Liban – catholiques, orthodoxe et protestante – doivent donc s’unir pour faire face à ces dangers qui menacent les chrétiens du Moyen-Orient, tout en restant capable de reconnaître la richesse de l’autre et en maintenant sa volonté de vivre-ensemble avec les non-chrétiens.

Comment définiriez-vous le rôle du Liban au sein du Proche-Orient ?

Le Liban, ce beau pays blessé, est, pour reprendre les termes du Bienheureux Pape Jean-Paul II, « est plus qu’un pays, il est un message ». Le pays des Cèdres est un message de coexistence islamo-chrétienne pour toute l’humanité au début de ce troisième millénaire déjà marqué par des problèmes interreligieux. Ayant vécu côte à côte pendant de longs siècles tantôt dans la paix et même la coopération, tantôt dans l’affrontement et les conflits, les chrétiens et les musulmans au Liban doivent réaliser pratiquement ce message de convivialité.

Consacrée par la loi et la Constitution libanaise, la liberté individuelle est garantie au Liban. La présence des chrétiens au Liban garantit cette liberté et le respect de l’autre dans toutes ses différences ; elle doit être un signe d’espérance pour tous les chrétiens du Moyen et Proche-Orient. Notre message comme chrétien dans cette région du monde dominée démographiquement par les musulmans est de dire au monde entier qui nous regarde qu’il est possible de vivre en Église, avec les musulmans et de leur apporter le témoignage de toute la richesse vécue de l’Évangile. Profondément divisés en politique, les chrétiens libanais ont une mission essentielle, qui est de témoigner du Christ devant les autres religions sans enlever à l’expérience évangélique son authenticité et sa « fraîcheur ».

Pays de 10 452 km², c’est-à-dire un territoire de la taille du département de la Gironde, le Liban ne compte pas moins de 18 communautés religieuses officiellement reconnues par l’État libanais pour 4 millions d’habitants. Il a donc vocation à servir d’exemple de vivre-ensemble, de dialogue œcuménique et interreligieux aux yeux du monde entier. Aussi, après Vatican II, le dialogue œcuménique et le dialogue interreligieux ont trouvé leur place tout naturellement au Liban. Des comités se mobilisent aujourd’hui encore pour confirmer la volonté des Libanais de faire en sorte que ce vivre-ensemble reste une priorité nationale.

Les chrétiens au Liban ont la conviction que le monde islamique a besoin de l’Église ; il a besoin de rencontrer des chrétiens convaincus et joyeux de témoigner leur foi en Jésus ressuscité. Je peux vous assurer que les musulmans qui ont rencontré le Christ se sont convertis au christianisme, même si, pour des raisons sociopolitiques, on ne peut pas annoncer ces conversions très nombreuses !

Protégé par la Constitution libanaise l’enseignement est libre et les écoles catholiques au Liban sont ouvertes à tous. Elles accueillent les élèves musulmans comme les chrétiens. C’est très important pour la mission de l’Eglise. Le contact entre les enfants chrétiens et musulmans est une condition de formation au dialogue et à l’acceptation de l’autre. Par ailleurs, la majorité des musulmans connaît forcément un membre de sa famille ou de ses amis qui a étudié dans une école catholique. C’est pour cette raison notamment que l’Islam libanais ou les musulmans libanais sont plus modérés ceux dans les autres pays a
rabes.

En préparant la visite du Benoît XVI au Liban du 14 au 16 septembre, chrétiens et musulmans ont participé, le 12 septembre soir à Beyrouth, à une veillée de prière pour invoquer la protection de Dieu et de la Sainte Vierge sur la visite du Pape, sur un thème choisi par les organisateurs : « Ensemble dans la paix, l’amour, la liberté et la sécurité pour montrer au monde que chrétiens et musulmans peuvent coexister au Liban » ! Cette relation entre les Libanais, tous les Libanais, et le Pontife Romain est un signe d’amour mutuel. C’est ce qui a conduit le Pape à confier à la prière du monde entier son voyage.

Le voyage du pape  est-il pour vous un signe d’espoir face à la guerre civile qui règne notamment en Syrie ?

Tout d’abord, le Pape ne vient pas comme un puissant chef politique au Liban et il ne faut pas attendre de lui des consignes précises aux chrétiens syriens dans la crise actuelle. Il ne faut pas attendre non plus de lui de grandes interventions de nature politique sur la Syrie et d’autres sujets. La situation est plus compliquée que l’on imagine !

Ensuite, le Liban est aujourd’hui très différent de celui qu’a connu son prédécesseur Jean-Paul II lors de sa visite en 1997. Les problématiques ne sont pas les mêmes. En 1997, le Liban était sous tutelle syrienne et il s’agissait de recouvrer son indépendance et de se reconstruire après 15 ans de guerre civile. Aujourd’hui, la tutelle a disparu et le voisin qui était le tutélaire est lui-même sujet à des changements majeurs : l’incertitude sur l’avenir domine.

Malgré son âge et le contexte tendu, le Pape n’a pas voulu renoncer à ce voyage, peut-être le plus difficile de son pontificat. S’il l’a maintenu, c’est surtout en raison de la tragédie que vivent de nombreux chrétiens d’Orient dans le berceau du christianisme, du fait notamment de la montée de l’islamisme radical. De plus, il a la ferme conviction de se rendre dans un pays où la majeure partie de la population l’aime et où il est considéré comme un messager de paix !

Benoît XVI est l’homme de la Raison et le Pape de la « foi raisonnée », donc de la vérité. J’ai lu à la sortie de son livre Lumière du monde  un passage sur la vérité : « Quand on est arrivé dans la vérité, on ne peut plus revenir en arrière ». Or toute vérité est le produit de deux facteurs : la réalité et un témoin. Malheureusement, chez nous, la réalité est déformée et les témoins manquent de crédibilité !

Le Pape vient au Liban comme un messager de paix et de réconciliation permanente dans un monde qui vit actuellement tous genres de violence. Le but de son voyage est de remettre aux catholiques du Moyen-Orient son « exhortation apostolique » intitulée « l’Église au Moyen-Orient », fruit de trois semaines d’Assemblée des évêques en Synode, à Rome, en octobre 2010. Ainsi, Benoît XVI vient encourager les chrétiens à servir la concorde. Il devrait naturellement parler de l’exode des chrétiens du Proche-Orient ; or nous ne sommes pas arrivés dans cette région dans les fourgons de colonisateurs venus d’ailleurs ; nous y sommes depuis le début du christianisme, nous faisons partie de cette terre, nous y avons nos racines et nous avons le droit de vivre là où nous sommes nés ! C’est pourquoi, dans son message et sa prière pendant l’Angélus, il a remercié Dieu pour la présence chrétienne en Moyen-Orient comme signe d’espérance et a exhorté les chrétiens à être des bâtisseurs de paix et des agents de réconciliation.

Pour finir, je demande à Notre Seigneur Jésus-Christ Ressuscité de protéger le successeur de Pierre dans son voyage au Liban, d’apporter, avec son arrivée, une paix durable à cette région ainsi qu’au monde entier. Qu’il soit vraiment le messager de paix et de la réconciliation libanaise et moyen-orientale, comme l’indique le thème de son voyage : « Pax vobis – Je vous donne ma paix ! ».

Share this Entry

Séverine Jahan

FAIRE UN DON

Si cet article vous a plu, vous pouvez soutenir ZENIT grâce à un don ponctuel