Benoît XVI à Venise : Discours au monde de la culture et de l'économie

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Texte intégral

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ROME, Mardi 10 mai 2011 (ZENIT.org) – Nous publions ci-dessous le texte intégral du discours que le pape Benoît XVI a adressé dimanche 8 mai au monde de la culture et de l’économie, dans la basilique de La Salute, à Venise, dans le cadre de son voyage de deux jours à Aquilée, Mestre et Venise.

Chers amis,

Je suis heureux de vous saluer cordialement, en tant que représentants du monde de la culture, de l’art et de l’économie pour Venise et son territoire. Je vous remercie de votre présence et de votre sympathie. J’exprime ma reconnaissance au patriarche et recteur qui, au nom du Studium Generale Marcianum, s’est fait l’interprète de vos sentiments à tous et a introduit cette rencontre, la dernière de mon intense visite, entamée hier à Aquilée. Je voudrais vous laisser quelques réflexions très synthétiques qui, je l’espère, vous seront utiles pour la réflexion et l’engagement commun. Je tire ces réflexions de trois mots qui sont des métaphores suggestives : trois mots liés à Venise et, en particulier, au lieu où nous nous trouvons : le premier mot est eau ; la deuxième est santé, la troisième est Sérénissime.

Je commence par l’eau – comme il est logique pour de nombreuses raisons. L’eau est un symbole ambivalent : de vie, mais aussi de mort ; les populations frappées par des inondations et des raz-de-marée le savent bien. Mais l’eau est avant tout un élément essentiel pour la vie. Venise est appelé la « Ville d’eau ». Pour vous aussi qui vivez à Venise, cette condition a une double valeur, négative et positive : elle a beaucoup d’inconvénients et, dans le même temps, une beauté extraordinaire. Que Venise soit une « ville d’eau » fait penser à un célèbre sociologue contemporain, qui a défini notre société comme « liquide », et ainsi la culture européenne : une culture « liquide », pour exprimer sa « fluidité », son peu de stabilité, voire son absence totale de stabilité, l’inconstance, l’inconsistance qui semble parfois la caractériser. Et je voudrais ici faire la première proposition : Venise non pas comme une ville « liquide » – au sens que nous avons évoqué – mais comme une ville « de la vie et de la beauté ». Bien sûr, c’est un choix, mais dans l’histoire, il faut choisir : l’homme est libre d’interpréter, de donner un sens à la réalité, et sa grande dignité est précisément dans cette liberté. Dans le cadre d’une ville, quelle qu’elle soit, même les choix à caractère administratif culturel et économique dépendent, au fond, de cette orientation fondamentale, que nous pouvons appeler « politique » dans le sens le plus noble et le plus élevé du terme ; il s’agit de choisir entre une ville « liquide », patrie d’une culture qui apparaît toujours plus celle du relatif et de l’éphémère, et une ville qui renouvelle constamment sa beauté en puisant aux sources bénéfiques de l’art, du savoir, des relations entre les hommes et les peuples.

Venons-en au deuxième mot : « santé ». Nous nous trouvons dans le « Polo della Salute », le Pôle de la santé : une réalité nouvelle qui a toutefois des racines anciennes. Ici, sur la Punta della Dogana, s’élève l’une des églises les plus célèbres de Venise, œuvre de Longhena, construite suite à un vœu à la Vierge pour la libération de la peste de 1630 : Santa Maria della Salute, Sainte-Marie de la Santé. A côté d’elle, le célèbre architecte construisit le Couvent des Somaschi, devenu par la suite le Séminaire patriarcal. « Unde origo, inde salus », dit la devise inscrite au centre de la rotonde majeure de la Basilique, expression qui indique combien l’origine de la ville de Venise, fondée, selon la tradition, le 25 mars 421, jour de l’Annonciation, est étroitement liée à la Mère de Dieu. Et c’est précisément par l’intercession de Marie que vint la santé, qu’elle fut sauvée de la peste. Mais en réfléchissant sur cette devise nous pouvons en saisir aussi une signification encore plus profonde et plus ample. Celui qui nous donne la « santé » a son origine dans la Vierge de Nazareth. La « santé » est une réalité comprenant beaucoup d’aspects : cela va du fait « d’aller bien » qui nous permet de vivre sereinement une journée d’étude et de travail, ou de vacances, jusqu’à la salus animae, dont dépend notre destin éternel. Dieu est attentif à tout cela, sans rien exclure. Il est attentif à notre santé au sens plein. Jésus le démontre dans l’Evangile : Il a guéri des malades en tout genre, mais il aussi libéré les possédés, il a racheté les péchés, il a ressuscité les morts. Jésus a révélé que Dieu aime la vie et veut la libérer de toute négation, jusqu’à la négation radicale qu’est le mal spirituel, le péché, racine venimeuse qui pollue toute chose. C’est pourquoi Jésus lui même peut s’appeler « santé » de l’homme : Salus nostra Dominus Jesus. Jésus sauve l’homme en le plaçant à nouveau dans la relation salutaire avec le Père dans la grâce de l’Esprit Saint ; il le plonge dans ce courant pur et vivifiant qui libère l’homme de ses « paralysies » physiques, psychiques et spirituelles ; il le guérit de la dureté du cœur, de la fermeture égocentrique et lui fait goûter la possibilité de se trouver vraiment lui-même en se perdant par amour de Dieu et du prochain. Unde origo, inde salus. Cette devise évoque de multiples références : je me limite à n’en rappeler qu’une, la célèbre expression de saint Irénée : « Gloria Dei vivens homo, vita autem hominis visio Dei [est] » (Adv. haer. IV, 20, 7). Que l’on pourrait paraphraser ainsi : la gloire de Dieu est la pleine santé de l’homme, et celle-ci consiste à être en relation profonde avec Dieu. Nous pouvons aussi le dire avec les mots du nouveau bienheureux Jean-Paul II : l’homme est le chemin de l’Eglise, et le Rédempteur de l’homme est le Christ.

Enfin, le troisième mot : « Sérénissime », le nom de la République de Venise. Un titre vraiment extraordinaire, utopique pourrait-on dire, par rapport à la réalité terrestre, et toutefois capable de susciter non seulement des souvenirs de gloires passées, mais aussi des idéaux entraînants pour des projets d’aujourd’hui et de demain, dans cette grande région. Seule la Cité céleste est « Sérénissime » au sens plein, cette nouvelle Jérusalem, qui apparaît au terme de la Bible, dans l’Apocalypse, comme une vision merveilleuse (cf. Ap 21, 1 – 22, 5). Pourtant, le christianisme conçoit cette Ville sainte, entièrement transfigurée par la gloire de Dieu, comme un but qui bouleverse le cœur des hommes et entraîne leurs pas, qui anime l’engagement difficile et patient pour améliorer la ville terrestre. Il faut toujours rappeler à cet égard les paroles du Concile Vatican II : « Certes, nous savons bien qu’il ne sert à rien à l’homme de gagner l’univers s’il vient à se perdre lui-même, mais l’attente de la nouvelle terre, loin d’affaiblir en nous le souci de cultiver cette terre, doit plutôt le réveiller : le corps de la nouvelle famille humaine y grandit, qui offre déjà quelque ébauche du siècle à venir » (Const. Gaudium et spes, n. 39). Nous entendons ces mots à une époque où s’est épuisée la force des utopies idéologiques et où non seulement l’optimisme s’est assombri, mais où l’espérance aussi est en crise. Nous ne devons pas oublier alors que les pères conciliaires, qui nous ont laissé cet enseignement, avaient vécu l’époque des deux guerres mondiales et des totalitarismes. Leur perspective n’était certes pas dictée par un facile optimisme, mais par la foi chrétienne qui anime une espérance à la fois grande et patiente, ouverte sur l’avenir et attentive aux situations historiques. Dans cette même perspective le nom de « Sérénissime » nous parle d’une civilisation de la paix fondée sur le respect mutuel, sur la connaissance réciproque, sur les relations d’amitié. Venise a une longue histoire et un riche pa
trimoine humain, spirituel et artistique pour être capable aujourd’hui aussi d’offrir une précieuse contribution pour aider les hommes à croire en un avenir meilleur et à s’engager à le construire. Mais c’est pour cette raison qu’elle ne doit pas avoir peur d’un autre élément emblématique, contenu dans les armes de saint Marc : l’Evangile. L’Evangile est la plus grande force de transformation du monde, mais il n’est pas une utopie ou une idéologie. Les premières générations chrétiennes l’appelaient plutôt le « chemin », c’est-à-dire la manière de vivre que le Christ a pratiquée le premier et qu’il nous invite à suivre. C’est à la Ville « sérénissime » que conduit ce chemin, qui est le chemin de la charité dans la vérité, tout en sachant bien, comme nous le rappelle encore le Concile, que « cette charité ne doit pas seulement s’exercer dans des actions d’éclat, mais, et avant tout, dans le quotidien de la vie » et qu’à l’exemple du Christ « nous devons aussi porter cette croix que la chair et le monde font peser sur les épaules de ceux qui poursuivent la justice et la paix » (ibid., n. 38).

Voilà, chers amis, les quelques réflexions que je voulais partager avec vous. Pour moi, ce fut une joie de conclure ma visite en votre compagnie. Je remercie à nouveau le cardinal-patriarche, l’auxiliaire et tous les collaborateurs pour le magnifique accueil. Je salue la communauté juive de Venise – qui a des racines très anciennes et qui est une présence importante dans le tissu de la ville – et son président, M. Amos Luzzatto. Une pensée aussi pour les musulmans qui vivent dans cette ville. De ce lieu si plein de significations, j’adresse mes salutations cordiales à Venise, à l’Eglise qui est en pèlerinage et à tous les diocèses des trois Vénéties, en laissant, gage de mon souvenir éternel, la Bénédiction apostolique. Merci de votre attention.

© Copyright du texte original en italien : Libreria Editrice Vaticana

Traduction : Zenit

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ZENIT Staff

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