Béatification du card. Van Thuân, allocution du card. Vallini (I)

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Ouverture du procès au Latran

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ROME, Lundi 6 décembre 2010 (ZENIT.org) – Le diocèse de Rome a ouvert officiellement le procès de béatification du cardinal vietnamien François-Xavier Nguyên Van Thuân, le 22 octobre 2010 (cf. Zenit du 24 octobre 2010).

« Eglises d’Asie », l’agence des Mission étrangères de Paris publie cette traduction de l’allocution du cardinal Vallini à cette occasion.

Cette session d’ouverture était présidée par le cardinal Agostino Vallini, vicaire général de sa sainteté pour le diocèse de Rome. Décédé à Rome le 16 septembre 2002 alors qu’il était en charge du Conseil pontifical justice et paix, le cardinal Thuân est, avec Mère Teresa et le pape Jean XXIII, (…) l’une des rares personnalités dont la cause de béatification ait été ouverte si peu de temps après sa mort. Cinq ans auront suffi. Au cinquième anniversaire de sa mort, au mois de septembre 2007, le pape Benoît XVI avait déclaré : « J’accueille avec une joie intime la nouvelle de l’ouverture de la cause de béatification de ce prophète incomparable de l’espérance chrétienne… » (voir EDA 470). Quelque temps plus tard, dans son encyclique Spe Salvi, parue le 30 novembre 2007, il avait évoqué assez longuement la figure de « l’inoubliable cardinal Nguyên Van Thuân » et l’avait cité (voir EDA 475).

Lors des cérémonies du 22 octobre dernier, le cardinal Agostino Vallini a prononcé un discours dans lequel il retrace avec beaucoup de fidélité et de précision les grandes étapes de la vie du cardinal vietnamien. Les treize années de détention de Mgr Thuân sont, en particulier, décrits avec une particulière minutie, en s’appuyant sur les propres confidences de l’intéressé et sur les nombreux témoignages qui ont paru à ce sujet. Ce discours permettra au lecteur de suivre le parcours peu banal du cardinal et de faire connaissance avec cette personnalité qui a vécu sa foi chrétienne avec une intensité hors du commun dans l’histoire tourmentée du Vietnam au XXème siècle.

Texte intégral (1ère partie)

Messieurs les Cardinaux, chers frères dans l’épiscopat, éminentes autorités, mes chers frères et chères sœurs,

1. Dans l’Evangile selon saint Jean (12,24), on trouve : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé qui est tombé en terre ne meurt, il reste seul ; mais, s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. » Jésus parle de lui, du mystère de douleur, de solitude, d’abandon, de la mort proche désormais. Il sait qu’en se remettant lui-même, anéanti et humilié, entre les mains de son Père, la mort devient source de vie, justement comme le grain qui se décompose dans la terre pour que la plante puisse germer.

Mais, en parlant du grain de blé, Jésus voulait rappeler aussi à ses disciples ce qu’il leur avait plusieurs fois annoncé : c’est-à-dire qu’imiter le Maître exige de se renier soi-même, de prendre sa croix chaque jour et de le suivre. C’est ainsi qu’il faut sauver sa propre vie (cf. Mc 8,35-36) dans la perspective évangélique du commandement nouveau : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. » (Jn 15,13).

Cette référence évangélique me paraît être la clef d’interprétation de la vie du Serviteur de Dieu, le cardinal Nguyên Van Thuân, dont nous ouvrons aujourd’hui la cause de béatification et de canonisation dans cette session publique.

2. François-Xavier Nguyên Van Thuân est né le 17 avril 1928 à Huê, capitale du Vietnam impérial. Il descendait d’une famille de martyrs. Ses ancêtres furent victimes de nombreuses persécutions, de 1644 à 1888. Son arrière grand-père paternel lui racontait que, lorsqu’il avait 15 ans, il parcourait à pied chaque jour une trentaine de kilomètres pour apporter un peu de riz et de sel à son père, emprisonné parce que chrétien. Sa grand-mère, qui ne savait ni lire ni écrire, récitait chaque jour avec la famille le chapelet à l’intention des prêtres. Sa maman, Elisabeth, l’éleva chrétiennement, lui enseignant les histoires de la Bible, lui racontant les mémoires des martyrs de la famille et lui instillant en même temps l’amour de la patrie. François-Xavier n’oublia jamais combien sa famille avait souffert pour sa foi, et ce précieux héritage le fortifia, le préparant à affronter son « calvaire » futur comme un héritage inestimable. Formé à une vie spirituelle solide, il commença à voir la main de la Providence de Dieu en toute chose et à confier docilement sa vie à l’action de l’Esprit Saint. Le Serviteur de Dieu ressentit très tôt l’appel au sacerdoce, grâce à l’éducation familiale et à l’encouragement de son oncle prêtre, Ngo Dinh Thuc, devenu par la suite l’un des premiers évêques du Vietnam.

En août 1941, il entra au Petit Séminaire d’An Ninh où, avec joie et engagement, il vécut les premières étapes de sa formation au sacerdoce. Il connut des éducateurs pieux et bons, qui renforcèrent sa décision. Parmi eux, se détachent le recteur, le P. Jean-Baptiste Urrutia, de la Société des Missions Etrangères de Paris, futur vicaire apostolique de Huê, auquel le jeune Thuân resta toujours très lié, et le P. Jean-Marie Cressonnier, qui le renforça dans sa dévotion à la Vierge – à travers la spiritualité de Columba Marmion, bénédictin irlandais – et lui apporta le témoignage de la beauté d’une vie pauvre, en le préparant aux privations de son emprisonnement futur.

Dès lors, il choisit pour modèle de vie trois saints : sainte Thérèse de Lisieux, que sa maman lui avait déjà fait connaître lorsqu’il était enfant et dont il avait appris le « chemin de l’enfance spirituelle » et à avoir confiance dans la prière ; saint Jean-Marie Vianney, qui lui avait enseigné les vertus d’humilité, de patience et la valeur de l’effort soutenu ; et saint François Xavier, le grand apôtre de l’Asie, dont il apprit l’indifférence face au succès ou à l’échec.

Les années passées au Petit Séminaire (1941-1947) furent celles de la deuxième guerre mondiale, de l’avènement du communisme au Vietnam, de la fuite de la famille de la ville de Huê, de l’assassinat -par les communistes – de son oncle Khoi et de son cousin Huan accusés de trahison. Le jeune Thuân souffrit énormément, plein de colère face à l’injustice que subissait sa famille qui, au contraire, avait toujours servi fidèlement la patrie. Toutefois, il comprit qu’il ne pouvait suivre le Christ que s’il réussissait à pardonner à ses ennemis. Dans cette lutte intérieure tourmentée, il fut aidé par le témoignage courageux d’un prêtre jésuite mexicain, dont il avait lu la vie, le P. Miguel Agustín Pro (1891-1927), arrêté par la police mexicaine et qui, avait-il dit, « ne craignait rien car il avait remis sa vie entre les mains de Dieu une fois pour toutes ». Thuân comprit qu’il devait faire la même chose, de sorte que, lentement, il affronta les difficultés et reprit courage en s’efforçant d’adoucir l’intense douleur.

De 1947 à 1953, il étudia au Grand Séminaire de Phu Xuan. Pendant ces années, il considéra aussi l’hypothèse de devenir religieux ; fasciné par la figure de saint François-Xavier, son patron, et du P. Pro, il pensa entrer chez les jésuites ; attiré par la vie contemplative, il prit aussi en considération la possibilité de devenir bénédictin, mais en fin de compte il opta pour le sacerdoce diocésain, auquel il se prépara avec beaucoup de zèle et de sérieux.

3. Il fut ordonné prêtre le 11 juin 1953 par Mgr Urrutia, son ancien recteur. La joie qu’il ressentit en célébrant sa première messe fut telle qu’il ne put retenir ses larmes. Sa première destination pastorale fut la paroisse de Quang Binh, à 160 km environ de Huê où, toutefois, il ne put rester que quelques semaines à cause d’une forme grave de tuberculose. Il connut alors une période de vicissitudes, passant d’un hôpital à l’autre, dans l’attente d’une intervention chirurgical
e au poumon droit. Lorsque fut venu le moment d’être opéré, il passa une dernière radiographie sur laquelle la maladie déclarée avait disparu : ses poumons étaient intacts, au point que le docteur de l’hôpital militaire Grall lui dit : « C’est incroyable ! Impossible de trouver une trace quelconque de tuberculose dans aucun des deux poumons… Vous êtes en bonne santé maintenant, et je ne trouve pas d’explication à ça ! » Don Thuân remercia Dieu et la Vierge de ce qui avait été accompli dans son corps et se proposa de toujours faire la volonté de Dieu.

Après une convalescence et une brève période pendant laquelle il assura divers petits ministères, il fut invité à Rome par Mgr Urrutia afin de perfectionner ses études. Il suivit les cours de l’Université Urbanienne, où il obtint un doctorat en droit canonique en 1959, avec une thèse sur l’organisation des aumôniers militaires dans le monde. De cette période, il se souvint toujours de son amour pour la Rome chrétienne et ses merveilleuses œuvres d’art, mais aussi des pèlerinages aux sanctuaires marials de Lourdes et de Fatima, où il put intérioriser encore davantage le message des apparitions de la Vierge. Les paroles que Marie avait adressées à Bernadette, à Lourdes, la troisième fois, le 18 février 1858 : « Je ne te promets pas le bonheur dans ce monde, mais dans l’autre » résonnèrent dans son âme, et le jeune prêtre les garda dans son cœur, se préparant à accepter les tribulations et les souffrances que le Seigneur lui aurait envoyées. De retour au Vietnam, il enseigna en tant que professeur, puis fut nommé recteur du Petit Séminaire de Huê, à un moment très difficile pour son pays et sa famille, au plan social et politique. En effet, la famille du Serviteur de Dieu avait une place importante dans la politique du Vietnam. Son oncle Ngo Dinh Diem fut président du pays jusqu’au coup d’Etat militaire du 1er novembre 1963, à la suite duquel il fut tué. Thuân éprouva une douleur indicible et affronta cette nouvelle épreuve grâce à sa foi et surtout aux paroles de sa mère : « Ton oncle a consacré toute sa vie à son pays et il n’y a rien d’extraordinaire à ce qu’il soit mort pour lui. En tant que moine (il était oblat bénédictin et avait prononcé ses vœux en 1954 dans le monastère de Saint-André de Bruges, en Belgique), il a consacré toute sa vie à Dieu, et il n’y a rien d’étrange à ce qu’il soit mort lorsque Dieu l’a appelé. »

Entre temps, l’archidiocèse de Huê était resté sans pasteur ; et le Conseil presbytéral appela don François-Xavier à assurer le poste de vicaire capitulaire.

4. Quatre ans plus tard, le 13 avril 1967, alors qu’il avait 39 ans, Mgr François-Xavier fut nommé évêque de Nha Trang. En apprenant la nouvelle, sa mère déclara : « Un prêtre est un prêtre. L’Eglise t’a honoré en te confiant une mission plus importante, mais tu es toujours la même personne. Tu es encore un prêtre, c’est ce qui est important et dont tu dois te souvenir. » Il fut consacré évêque le 24 juin suivant. A Nha Trang, il assura un intense ministère pastoral, approfondissant la pastorale des vocations et la formation des futurs prêtres. En huit ans, de 42 les séminaristes du Grand Séminaire passèrent à 147, et ceux du Petit Séminaire de 200 à 500. Il se consacra aussi largement à la formation des laïcs.

Moins d’un an après son élection à l’épiscopat, les communistes déclenchèrent une offensive pour conquérir plusieurs villes du Sud-Vietnam, parmi lesquelles Nha Trang. Cependant, l’apostolat du jeune évêque se poursuivait sans interruption ; et même, il s’engagea avec générosité au niveau régional et universel également. En effet, il faisait partie de la commission chargée de former la Fédération des Conférences épiscopales d’Asie et, en 1971, il fut nommé consulteur du dicastère du Saint-Siège qui allait devenir plus tard le Conseil pontifical pour les laïcs. En outre, dans son pays, il fut nommé président du COREV, l’organisme chargé de la reconstruction du Vietnam, une émanation du Conseil pontifical Cor Unum ayant pour tâche d’aider les quelque quatre millions de réfugiés que la guerre avait entraînés.

5. Huit ans plus tard, alors que le Sud-Vietnam était entièrement envahi par les troupes communistes, en avril 1975 le pape Paul VI le nomma archevêque coadjuteur de Saigon (Thàn-Phô Chi Minh, Hô Chi Minh-Ville) avec le droit de succéder à Mgr Nguyên Van Binh. Une nomination qui allait avoir de terribles conséquences.

Quelques semaines seulement s’étaient écoulées depuis le début de son service pastoral à Saigon lorsqu’il fut arrêté, faussement accusé de « complot » pour le compte du Vatican et des impérialistes. C’était l’après-midi du 15 août 1975, fête de l’Assomption. L’archevêque n’avait sur lui que sa soutane et son chapelet. C’est à la lumière de la foi qu’il interpréta cette terrible épreuve, en s’efforçant de remplir d’amour sa vie de prisonnier.

Sa première prison fut à Nha Trang, son diocèse précédent, aux arrêts domiciliaires dans la paroisse de Cay Vong. Si le lieu lui était familier et lui permettait de garder un assez bon moral, il l’invitait aussi à entreprendre un voyage spirituel de purification intérieure et de dépouillement total de soi, qui allait durer pendant treize bonnes années, dont neuf passées en isolement complet.

Il ne demeura pas inactif dans cette nouvelle situation. Dès le mois d’octobre suivant, il commença à écrire une série de messages à la communauté chrétienne. Quang, un garçonnet de sept ans, lui procurait en cachette des petits bouts de papier pris dans de vieux calendriers, qu’il emportait ensuite chez lui afin que ses frères et ses sœurs puissent recopier les messages de l’évêque et les diffuser. Ces messages ont été rassemblés ensuite dans un livre intitulé Le chemin de l’espérance.

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ZENIT Staff

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