Albanie: vocation de la première Petite soeur de la Sainte Famille du pays

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Dimanche prochain, 21 septembre, « c’est Pâques pour l’Albanie »

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Dimanche prochain, 21 septembre, « c’est Pâques pour l’Albanie », avec la venue du pape François: « Dieu passe », témoigne soeur Mira Koleci, première Petite sœur de la Sainte Famille en Albanie, qui raconte la situation de son pays et sa vocation.

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Je suis soeur Mira, une fille du peuple albanais qui est née et a grandi en Albanie sous la dictature communiste. J’écrirai quelques lignes sur notre histoire, car  rien n’est compréhensible en dehors de l’Histoire. La dictature communiste, pour tant de pays du monde, est quelque chose d’inconnu, mais nous, nous étions un emblème mondial pour avoir réussi à être « uniques »: nous étions la seule nation à avoir été proclamée  athée dans le monde et par la constitution même du pays. Pour notre pays, le Seigneur Dieu était le dictateur Enver Hoxha (1908-1985). Mais qui est cet homme ? D’où sort-il ? Voici quelques brèves notes historiques pour mieux comprendre l’histoire d’aujourd’hui.

De par sa position géographique et ses communications maritimes vers l’Italie, l’Albanie a toujours subi diverses dominations. Ainsi, en plus de celle des Grecs, il y a eu celle des Romains de 167 av. J-C., jusqu’à 395 ap. J.-C, de Venise avec la IVe croisade, des Serbes et puis au début du XVème siècle des Ottomans. Toutes ces invasions ne lui permettant d’avoir une conscience nationale. Sous domination turque, le pays connut sa période la plus noire, marquée par l’exode massif d’intellectuels qui ne supportaient pas cette domination. Beaucoup cédaient aux conversions forcées, d’autres se convertissaient pour avoir des privilèges économiques et sociaux. Et ce, jusqu’à l’indépendance du pays, en 1912.

Après les Turcs, l’instabilité politique se poursuit, avec le régime de Zog. En 1939 Mussolini prend l’Albanie sous son protectorat et en 1941, avec la Seconde guerre mondiale, les partisans antifascistes et les intellectuels socialistes fondent le parti communiste en 1944. Comme disait Mgr Prenushi, victime de la dictature: « Ce fut la libération de la pluie en grêle ». La dictature communiste entraîna une fermeture hermétique de l’Albanie : 50 ans d’isolement du reste du monde, sous la main du grand dictateur Enver Hoxha qui domina le pays pendant 40 ans.

Après la seconde guerre mondiale, celui-ci força la transformation du pays, le faisant passer de relique à demi féodale de l’empire Ottoman à une économie industrialisée très contrôlée. Avec lui, la liberté religieuse, culturelle et politique fut limitée, et il déclencha dès le début des opérations de persécution méthodique à l’encontre du clergé et des intellectuels. Puis, il noua des liens avec la Chine: dans sa phase « chinoise » (1961-1978) l’Albanie tomba sous l’emprise de ceux qui promouvaient une  idéologie commune et une fraternité marxiste-léniniste.

La distance prise avec la Chine, commencée en 1975 à cause de son rapprochement avec l’Occident, conduisit l’Albanie à un état d’isolement total par rapport au reste du monde: le dictateur repoussa toutes les puissances mondiales et il fit du nationalisme un élément essentiel du régime, déclarant vouloir faire de l’Albanie, pour « le bonheur du peuple », un modèle de république socialiste, l’ordre le plus « progressiste » du monde qui aurait fait de l’homme un être libre, dans le seul Etat athée, libéré des chaînes de l’oppression et de la religion qui est l’opium du peuple. Tout effort culturel et intellectuel était mis au service du socialisme et de l’Etat, et si quelqu’un avait une autre idée, elle devait être soumise au dictateur, pour que son auteur ne risque pas d’être jugé un « ennemi » du parti et du peuple, et par conséquent condamné à la prison.

L’Eglise catholique, qui s’efforçait de secouer les consciences et tentait une ouverture dans un plus large circuit culturel européen, fut particulièrement persécutée. « Frapper l’Eglise catholique signifiait donc aussi annuler la tradition au profit d’une « nouvelle idéologie ». Car le catholique était culturellement et intellectuellement très élevé. « L’Albanie communiste était devenue, pour les chrétiens, mais aussi pour tous les habitants, comme un grand camp de concentration où la vie personnelle était tenue à des règles de fer et soumise à un contrôle inflexible. La tradition religieuse était entretenue dans le secret de la vie familiale, mais toujours au risque de se faire prendre, tant était fort le contrôle du régime. Les enfants, à l’école surtout, étaient invités à dénoncer les activités antisocialistes et religieuses de personnes au sein de leurs propres familles. »

La mort d’Hoxha, en 1985, ne mettra pas fin tout de suite au cauchemar de l’Albanie. Son successeur, Ramiz Alia, déjà à ses côtés au début des années 80, lorsque celui-ci commençait à être malade, continua à gérer la politique albanaise avec Nexhmije, l’épouse d’Hoxha, donnant « quelque timide signe d’ouverture et de renouveau ». En 1991, Alia autorisa le pluralisme des partis : ce fut le début des manifestations populaires contre le dictateur, au cours desquelles des manifestants abattirent la statue dHo’xha. Alia pensa lancer quelques réformes: terre aux paysans, abolition de la peine de mort, abandon de l’athéisme d’Etat, liberté de presse, possibilité de se rendre à l’étranger … Les premières élections libres eurent lieu finalement le 31 mars 1991.

L’année 1991 fut une année de résurrection pour moi aussi. Vivant depuis 17 ans dans un contexte social où la vie n’avait aucun sens, c’était terrible pour tout le monde : pour les grands parents qui avaient grandi avec une éducation religieuse, pour les parents qui ne pouvaient pas dire, même pas à leurs enfants, qu’il existe quelqu’un d’Autre que le dictateur, car en parler c’était risquer de finir en prison. Il y avait des espions aussi dans les familles, en échange de privilèges ou d’un morceau de pain en plus pour nourrir ses enfants, et les parents n’osaient rien dire. Mais c’était difficile surtout pour ceux qui ont aujourd’hui entre 50 et 60 ans. Au moment le plus beau de leur vie, ils devaient dire à haute voix que Dieu n’existait pas.

Mais c’était difficile aussi pour nous, adolescents. En effet, la tentation du suicide était partout et en moi aussi: mais pourquoi vivrais-je ? Je suis un fruit du hasard donc à quoi bon continuer, il vaut mieux tirer un trait et ne pas prolonger une situation de souffrance mais surtout de non sens. Le Seigneur a voulu que je n’en n’arrive pas là. Le Seigneur est passé parmi nous grâce à tant de missionnaires qui, avec courage, sont venus nous parler de Dieu. Surtout ces prêtres qui ont survécu aux prisons de la dictature, mais aussi des missionnaires venus de l’extérieur. Ce fut un moment de réveil pour la foi de tant de  grands parents et d’adultes  qui avaient encore en eux le sens de Dieu, mais chez les adolescents, surtout pour moi, c’était l’inconnu.

Un de mes camarades à l’école faisait le signe de croix par terre comme signe magique pour demander de remporter un jeu ou pour prendre une bonne note à l’école. Ce signe s’est imprimé dans ma mémoire, mais sans savoir ce que cela signifiait, Qui se cachait sous ce signe?  A ceux qui le souhaitaient, les premiers missionnaires ont offert une Bible en albanais, car au Kosovo, il y avait déjà une Eglise organisée, et avec les éditions traduites. Et comment suis-je devenue chrétienne ? J’étais chrétienne par tradition. Un rite fou qui, à l’école, nous a tous fait fuir – peut-être parce que ce que l’on nous proposait était nouveau -, toute l’école nous sommes allés à l’église qui était utilisée comme entrepôt pour le blé durant la dictature. Nous sommes allés nous faire baptiser, mais je vous assure que je ne savais rien, j’ignorais ce qu’était
le baptême. Les prêtres  qui avaient été en prison durant la dictature, ont dit: « Baptisons vite car si le Parti se repent, il vaut mieux que nous sauvions les âmes ». Un baptême en masse sans parents, sans parrains, sans catéchèses, sans connaissances, mais un rite commun. Et encore aujourd’hui, certains ne savent pas très bien s’ils ont bel et bien été baptisés ou uniquement bénis avec de l’eau !?

Le baptême est un don de Dieu et ne dépend donc pas de moi, de mes connaissances, mais je sais seulement qu’en moi il n’y avait pas seulement la découverte d’une nouveauté, une curiosité ou je ne sais quoi, mais je sais qu’il y avait le désir d’une vie et d’une vie sensée … Et me l’offrait une Personne que je ne connaissais pas : Jésus-Christ. Et je ne l’ai trouvé que dans ce message d’amour : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle (Jn 3,16). Une vérité à laquelle on ne saurait rester indifférent. Il est impossible, disais-je, qu’un Dieu agisse de cette manière, mais je ne sais pas comment faire pour remercier ce Dieu, que puis-je faire, comment puis-je rendre ce message d’amour ?

Et j’ai commencé à lire toute la Bible non seulement par curiosité mais parce que cela me donnait du souffle, la vie. Tout a pris un sens, la vie n’était plus ennuyeuse, elle commençait à prendre un sens qui se prolonge dans l’éternité. Quel souffle! Rencontrer la Parole, n’était pas seulement comme lire un roman, derrière cette Parole il y avait une Personne qui réchauffe les cœurs (Lc 24), qui m’a fait répondre à cet Amour en prenant une décision forte, à contre-courant, pour le suivre. L’effort fut énorme, il dura 4 ans, le temps qu’il fallu à mes parents pour me laisser faire mon choix d’entrer dans un couvent, car il y avait toujours la peur que la dictature revienne. Et puis nous ne connaissions pas cette vie et il sembalit à mes parents qu’il était mieux de nous marier … mais ma famille partait pour l’Amérique, pour y trouver une vie meilleure, en Floride, où ils se trouvent encore aujourd’hui. Pour moi il n’y avait ni Amérique, ni Italie, ni « prince charmant » pour remplacer la Personne du Christ. Le Christ m’avait prise et même devant de petits « princes » il ne disparaissait pas de ma vue. Il était désormais ma toile de fond en tout et partout.

Ainsi en 1996 je suis entrée au couvent des Petites Sœurs de la Sainte-Famille venues dans ma paroisse. Les premiers mois furent agités car quelques mois après le 13 mars 1997, il y eu une révolte à l’intérieur du pays et les missionnaires durent regagner leurs pays … Quoiqu’il en soit, nous sommes maintenant dans les mains de Dieu qui accomplira l’histoire de chacun et de tous ensemble.

Et voici maintenant la visite du pape François… Après celle de Jean Paul II en 1993, avec Mère Teresa – grand don après la dictature -,  qui nous fait sentir des privilégiés pour deux raisons, comme a dit François qui vient « confirmer dans la foi l’Eglise en Albanie et témoigner son encouragement et son amour à un pays qui a longtemps souffert suite aux idéologies du passé » (Angélus 15. 06. 2014). C’est un honneur pour nous face à toute l’Europe, d’abord parce que c’est un pays largement musulman (les statistiques d’il y a quelques années parlent de 70% de musulmans contre 20% d’orthodoxes et 10% de catholiques), et qu’il vient nous dire : je vous reconnais comme peuple de Dieu en marche indépendamment de la religion, je connais votre dignité, et comme leader de l’Eglise catholique il est important pour chaque personne, indépendamment de la religion, de nous dire que chaque personne est un don de Dieu (de ce Dieu  dont on disait qu’il n’existait pas) et que nous sommes appelés à  respecter en veillant sur Lui comme un trésor.

Le premier, que j’ai mis en deuxième, c’est pour encourager tous les chrétiens, la minorité, a être des témoins de la foi, reconnaissant que Jésus seul « l’homme nouveau » (GS 22), qu’il nous fait devenir plus « hommes » (GS 41), et nous donne le courage d’être des vrais témoins de valeurs : valeurs de la vie, de la solidarité, de la paix et du pardon dans le pays pour une cohabitation interreligieuse positive, sereine et harmonieuse. Donc pour l’Albanie, le 21 septembre 2014 c’est Pâques, car le Seigneur PASSE pour visiter son peuple par la présence du pape François – le Pierre d’aujourd’hui – il passe donner à tout le peuple une résurrection spirituelle et de valeur, il passe nous dire «  Je suis la résurrection et la Vie, quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais »  (Jn 11, 26). Nous voulons vivre et voulons vivre en ressuscités.

Le voyage de François sera surement suivi par toutes les personnes de bonnes volonté, par tous les martyrs de la dictature mais surtout par Jean Paul II et Mère Teresa, grande albanaise, mais appelée par le dictateur « la sorcière des Balkans », donc jamais connue durant la dictature. Cela peut paraître étrange mais les collèges étaient contrôlés par la dictature et il était impossible de savoir ce qui se passait en dehors de l’Albanie et nous, on savait dans les livres d’école que Dieu n’existe pas, que l’Eglise est une escroquerie pour les pauvres … et on n’a connu aucun grand personnage, nous ne savions que ce que le dictateur voulait nous dire.

Après 20 ans de démocratie je dois dire que l’Albanie a besoin avant tout d’une stabilité politique. Tous les albanais doivent avoir la certitude que Dieu nous aime et visite son peuple par la présence du pape François. Indépendamment de la religion, nous sommes tous invités à vivre en personnes qui cherchent, désirent, grandissent et vivent dans la liberté, dans la paix, dans le respect réciproque et dans le pardon. Les catholiques, qui constituent la minorité, sont encouragés en ce moment historique à être des témoins authentiques et à ne pas se laisser entrainer par des propositions faciles, à vivre pleinement notre vocation de réponse à l’amour.

La présence du pape François sera surement pour chaque albanais une parole de proximité, d’espérance pour l’avenir, le moment est venu que les valeurs humaines – hier cachées – sortent avec courage et avec respect indépendamment de tout, des genres ou de la religion.

Au Seigneur nous confions ce voyage et demandons qu’il ouvre les cœurs des albanais pour accueillir son message.

Sœur Mira Koleci

La première Petite sœur de la Sainte Famille en Albanie

Traduction de Zenit, avec Anita Bourdin

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ZENIT Staff

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