Aide à l'Eglise en détresse: Entretien de France catholique avec Didier Rance

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Une minute de silence le Mardi Saint

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CITE DU VATICAN, Lundi 14 avril 2003 (ZENIT.org) – Demain, mardi 15 avril à midi, l’Aide à l’Eglise en Détresse appelle à une minute de silence en communion avec l’Eglise persécutée. L’hebdomadaire français « France Catholique » (www.France-catholique.fr) a rencontré Didier Rance, diacre et infatigable directeur national français de l’Aide à l’Eglise en Détresse, et l’a interrogé sur ce qui le fait vivre et agir.

FC – Didier Rance, vous avez commencé votre carrière dans l’humanitaire. Pourquoi ?
DR – Lycéen à Paris – je devais avoir quatorze ans -, un coopérant est venu nous parler du tiers-monde. Je me suis dit : « Pourquoi ne pas y aller, moi aussi, un an ou deux ? » Et j’y suis resté près de dix, d’abord comme coopérant en Egypte, puis comme volontaire avec Frères des Hommes, l’Unicef, et encore Frères des Hommes en Afrique…

FC – Le christianisme avait-il un rôle dans votre engagement ?
DR – Pas directement. J’avais quitté sur la pointe des pieds à l’adolescence une Eglise en crise. Elle semblait appartenir au passé. « Dieu, oui, le Christ, oui ; mais l’Eglise, non ! » Je cherchais en tâtonnant. C’est en Afrique que je suis revenu vers l’Eglise, surtout grâce au témoignage des chrétiens africains.

FC – Comment ?
DR – D’abord, j’ai compris la vérité de la parole du Christ : « L’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole sortant de la bouche de Dieu ». Je travaillais pour l’Unicef dans les secours d’urgence au Tchad. Les organisations humanitaires faisaient des calculs : pour x personnes menacées, il fallait x calories par jour. On larguait des stocks de nourriture… et les gens continuaient à mourir. Leur vie n’avait plus de sens, ils avaient tout perdu, même leurs enfants. Il fallait leur donner à manger, bien sûr, mais aussi des raisons de vivre.
Ensuite, toujours au Tchad, cette conversation avec un vieux paysan qui me dit : « Vous, vous êtes des malins. Quand j’étais petit, j’ai vu arriver vos missionnaires. Vous veniez nous apporter votre Jésus. Aujourd’hui, vous ne nous parlez plus que de développement, et plus du tout de Jésus. J’ai compris. Vous voulez nous refiler vos machines, votre pollution dont vous ne voulez plus, mais ce que vous avez de mieux, votre Jésus, vous voulez le garder pour vous. » Bouleversant. Peu après, j’ai compris qu’être chrétien, ce n’est pas d’abord « avoir gagné le gros lot » mais retrousser les manches pour que tous le gagnent. Et puis, si en France l’Evangile et l’Eglise pouvaient sembler du réchauffé, en Afrique, c’était du brut de brut, et cela aussi m’a remué ! Le jour où j’ai rencontré des catholiques qui croyaient toujours à leur Eglise – un petit Frère de Foucauld, ma future épouse – , j’y suis revenu.

FC – Pourquoi avez-vous quitté l’Afrique ?
DR – J’avais épousé Catherine, une volontaire de Frères des Hommes, en 1979, et Pierre, notre premier enfant, s’annonçait. J’étais encore en Afrique, un mois dans un pays, un mois dans un autre, et elle en France. Pas facile… Frères des Hommes prenait à ce moment-là une tournure marxiste ; ayant travaillé dans des pays marxistes, je n’avais aucune illusion là-dessus et j’étais hostile à cette évolution.
Et puis, après avoir travaillé dix ans dans l’humanitaire, je voulais servir l’Eglise. Et voici que je reçois une lettre d’un cousin de Catherine, moine de Solesmes : « Je ne sais pas si tu veux rester en Afrique. Mais l’AED cherche des gens en France. » C’était providentiel : l’AED, c’est la prière, le témoignage, le partage avec l’Eglise qui souffre. Il y avait un bureau régional à créer à Metz. J’ai signé.

FC – L’AED était-elle une œuvre marquée par l’anticommunisme ?
DR – J’avais une certaine défiance vis-à-vis de la politique et de la grille droite/ gauche qu’on appliquait partout, même dans l’Eglise. Pour moi, ce qui comptait ce n’était pas l’idéologie, mais les hommes. Je rejoignais l’AED pour aider des frères souffrants. C’était toute la force de l’intuition du fondateur, le père Werenfried. Je suis allé le voir à Königstein, et suis revenu enthousiasmé – nous avons récemment écrit dans vos colonnes tout ce que nous lui devions. Et, pour répondre à votre question, il n’était pas d’abord contre les communistes, mais pour nos frères chrétiens que ceux-ci persécutaient.

FC – Comment est venue l’idée du diaconat ?
DR – Je ne suis pas helléniste pour rien ! En grec, cela signifie service. Il y avait plusieurs diacres à l’AED mais je ne me sentais pas encore concerné. Et puis, en 1983, un prêtre vietnamien qui devait prêcher pour l’AED à Münster a eu un accident de voiture sur la route. Le curé n’avait rien préparé et m’a demandé de parler à sa place. A la fin de la messe, il m’a demandé : « Pourquoi n’êtes-vous pas diacre ? » Quinze jours plus tard, dans la banlieue de Strasbourg, même scénario. Juste après, je partais en pèlerinage à Assise (mon épouse et moi sommes devenus tertiaires franciscains). C’est un bon endroit pour demander conseil au Seigneur. En repartant, j’avais la conviction que j’étais appelé. J’en ai parlé à mon évêque, Mgr Schmitt, qui a été d’accord.

FC – A quoi sert un diacre aujourd’hui ?
DR – Tout ce que le diacre peut faire comme ministre ordonné, le prêtre peut aussi le faire. Quant au « service de la charité », tous les baptisés doivent l’accomplir. Dans un monde de l’efficacité où l’homme est déterminé par ses fonctions, le diacre n’a donc rien de spécifiquement visible, il est donc « inutile ». Alors, à quoi bon des diacres ? Ce n’est qu’à partir du sacrement comme grâce donnée par le Christ qu’on peut le comprendre, et c’est très bien ainsi.

FC – Vous êtes ensuite devenu diacre de rite byzantin. Pourquoi ?
DR – A l’époque soviétique je suis allé, en « touriste », en Ukraine. Le prêtre gréco-catholique clandestin que je devais rencontrer secrètement n’était pas au rendez-vous et pour cause : surpris en train de célébrer la liturgie, il avait été arrêté et déporté – non pas au Goulag, mais à Tchernobyl… Quelques mois plus tard, je prêchais à la cathédrale de Besançon à l’occasion des fêtes du millénaire de la Rus’ de Kyev. J’y ai parlé de la liquidation de cette Eglise, des martyrs. Et voici qu’à la fin de la messe, une dame vient me voir en pleurant : « C’est la première fois, depuis 1946, que j’entends parler de mon Eglise des catacombes dans une église française. » J’y ai vu un signe de Dieu et comme il n’y avait pas alors de diacre dans cette Eglise en France, j’ai dit « oui » quand on m’a proposé de le devenir. J’ai donc appris le slavon et l’ukrainien, enfin de quoi parler dans la Liturgie – ou plutôt chanter car on y chante tout le temps ! Je suis heureux de pouvoir célébrer au moins les fêtes majeures à la cathédrale Saint-Wladimir de Paris – vous y êtes le bienvenu -, et d’aider un peu cette communauté. Comme de plus je fais partie d’une fraternité œcuménique de prière qui compte beaucoup d’orthodoxes, j’essaie ainsi de pratiquer un « œcuménisme intra-personnel ». L’Eglise orthodoxe russe et l’Eglise catholique d’Ukraine ont été toutes deux sur le Golgotha du monde contemporain, et elles ont tant à apporter au monde que leur réconciliation sera un grand jour pour l’unité et la mission ! N’est-ce pas d’ailleurs ce qu’a si magnifiquement compris France Catholique, qui prépare un beau voyage en Ukraine avec Robert Masson en juin prochain?

FC – Après 1989, avec l’ouverture du Rideau de fer, ne fallait-il pas redonner un nouveau souffle à l’AED ?
DR – Le soir de la chute du Mur de Berlin, je donnais une conférence près de Dijon, chez des religieuses. J’ai commencé en d
isant : « Mes sœurs, vous avez devant vous un futur chômeur, et heureux de l’être ! ». Mais c’était une boutade. D’une part il y a eu la reconstruction des Eglises qui sortaient des catacombes. Et il a fallu beaucoup d’argent pour cela. Avant, il fallait un certain courage pour faire passer une Bible en URSS. Du jour au lendemain, on a pu passer 500 000 Bibles d’un coup.
L’AED soutenait la formation clandestine d’une poignée de séminaristes d’Ukraine. Il fallait désormais récolter des dons pour construire un séminaire pour des centaines de vocations ! Le courage, il n’en fallait plus, mais des millions d’euros, si… Et puis n’oubliez pas que c’est dès les années cinquante, avant la plupart, que le père Werenfried a commencé à aider ailleurs qu’à l’Est. Avant 1989, les deux tiers de notre aide étaient destinés au tiers-monde, et un tiers à l’Europe de l’Est. Au début des années 90, la part des pays de l’Est est montée à 50%, et redescend depuis.

FC – Souligner la détresse de l’Eglise, n’est-ce pas un peu doloriste ?
DR – Dans les prédications, nous ne parlons pas seulement de sa souffrance mais aussi de sa vitalité. Car c’est ce qui frappe toujours en allant visiter les Eglises dites « en détresse », en rencontrant leurs responsables. Il faut témoigner des deux. Parfois je parle avec tant d’ardeur de cette vitalité, par exemple de ces évêques qui me disent qu’ils ont du refuser plusieurs dizaines de candidats dans leur séminaire faute de place, qu’on me dit à la fin des messes : « L’Eglise en Détresse est ici, en France ».
En fait, la seule Eglise en détresse, le seul chrétien en détresse, s’ils existent, c’est celle et celui qui pensent ne pas être en détresse. Le Christ n’annonce pas autre chose à ses disciples, voyez dans saint Jean (16, 33). L’AED, ce sont des Eglises en détresse qui aident d’autres Eglises en détresse à porter leur Croix, et réciproquement. Nous ne sommes pas ceux qui ont tout qui donnent à ceux qui n’ont rien. Nous donnons, et nous recevons de ceux à qui nous donnons. L’Eglise est communion.

FC – Voulez-vous revenir à la période héroïque des martyrs ?
DR – Ce n’est pas à nous de choisir, et quant à moi, je ne souhaite à personne la persécution. L’histoire de Ninive montre qu’il y a d’autres voies pour revenir à Dieu. Cela dit, les martyrs de la foi sont légions depuis un siècle et constituent « un trésor dont toute l’Eglise vit » (Jean-Paul II). Une des plus grandes grâces qui m’a été donnée à l’AED est d’avoir pu rencontrer des confesseurs de la foi et à travers eux les martyrs de ce temps. Après avoir écrit une douzaine de livres sur eux, je me sens toujours au bord de l’océan de force et de vérité qu’ils apportent à l’Eglise et au monde.

FC – Quels sont les témoins de la foi qui vous ont le plus marqué ?
DR – Il y en a tant, et les moins connus sont peut-être ceux qui m’ont plus frappé ; car dans l’Eglise, ce qu’il y a d’extraordinaire, ce n’est pas qu’il y ait un père Popieluzsko ou un cardinal Todea, pour parler des martyrs et confesseurs de la foi, ou une Mère Térésa, un Père Werenfried pour parler des autres, mais des milliers de Popieluzsko, de Todea, de Térésa ou de Werenfried, connus de Dieu seul et de ceux qu’ils ont servis.
Je suis par exemple rempli d’admiration pour Silvo Krcméry, un médecin slovaque fondateur de la JOC dans son pays. Cela lui a valu d’être jugé pour haute trahison et de passer une quinzaine d’années dans des mines d’uranium où les prisonniers travaillaient à mains nues. Libéré dans les années 60, il retrouve des églises vides de jeunes. Il s’est interrogé : « A quoi bon toute ma souffrance ? Tous mes amis morts pour leur foi ? L’Eglise, sans les jeunes, n’est-elle pas condamnée ? »
Mais il ne s’est pas contenté de gémir, il a prié : « Seigneur, fais de moi un instrument pour les que jeunes retrouvent ton chemin ». Et puis il a commencé un apostolat très spécial. Impossible d’aller parler de Dieu ou du Christ dans les facs ou les écoles, mais on ne pouvait pas l’empêcher d’aller dans les bistrots près de ces lieux. Et là, autour d’un verre de bière, il commença à parler de religion. Mais les jeunes avaient peur, et pendant des années, il s’est obstiné en vain. Un jour, un étudiant a été accroché, puis deux et, au bout du compte, en 1989, les mouvements clandestins fondés par le Dr Krcméry comptaient près 100 000 membres dans une Slovaquie de cinq millions d’habitants !
Me touche aussi beaucoup la fidélité de ces témoins qui ont préféré dix, vingt ou quarante années de camp plutôt que de renier leur foi, alors qu’ils pouvaient en sortir à tout moment en la reniant. On se sent tout petit. L’homme passe infiniment l’homme, comme le dit Pascal.

FC – Jean-Paul II a dit que le XXe siècle a été « le siècle du martyre ». Vous partagez cette affirmation ?
DR – Tout à fait, en ajoutant : « …et le siècle du pardon des martyrs ». C’est ce qui me frappe de plus en plus. Comme l’a fait remarquer Hannah Arendt, « c’est Jésus de Nazareth qui a découvert le rôle du pardon dans les affaires humaines ». L’inconditionnalité du pardon est la signature de Jésus sur l’âme.
Cette révolution du pardon apportée par Jésus a transformé la face de la terre, mais cela ne s’est pas fait en un seul jour, et on n’en voit guère de trace dans les persécutions des premiers siècles. Or le pardon des ennemis n’est pas plus facile au XXe siècle qu’aux premiers. Et pourtant, les martyrs et confesseurs de la foi nous en donnent d’innombrables exemples.
Il ne faut pas idéaliser, bien sûr, et j’ai rencontré des confesseurs de la foi admirables par ailleurs, mais qui n’avaient pas encore pardonné à leurs bourreaux. Mais nous avons tant et tant de témoignages de ce pardon donné, sur tous les continents et face à toutes les persécutions que je ne peux m’empêcher de penser que, là aussi, Dieu veut nous dire quelque chose à travers ses témoins-martyrs. Je prépare un livre là-dessus.

FC – Revenons à l’AED. « L’aide pastorale » est-elle aussi urgente que l’aide humanitaire ?
DR – Bien sûr ! Je vous ai dit tout à l’heure combien mon propre cheminement s’était retrouvé à sa façon dans celui qui avait conduit le père Werendried à fonder l’AED trente ans plus tôt. Il a commencé par collecter du chocolat et des couvertures pour les réfugiés, mais il savait que ces hommes et ces femmes souffraient d’abord de l’absence de sens à leur vie, à ce qui leur arrivait, et qu’ils avaient besoin des sacrements, de prêtres. D’où les valises-chapelles, les chapelles roulantes. Cela vaut toujours.
Il y a quelques années, un cyclone a ravagé le Honduras. Les évêques nous ont expliqué qu’il était aussi urgent de reconstruire les églises que les maisons. Ou encore les évêques du Pakistan, qui comme Mgr Coutts de Faisalabad nous ont écrit : « Surtout, continuez votre aide pastorale, nous en avons besoin plus que jamais. Et priez, priez pour nous « .

FC – On vous reproche de n’aider que les chrétiens ?
RD – Pourtant la Lettre aux Galates dit : « Pratiquons le bien à l’égard de tous et surtout de nos frères dans la foi ». Faut-il toujours opposer l’un à l’autre ? Quelle stupidité, bien peu catholique d’ailleurs. Ce qui compte, c’est que l’Eglise accomplisse sa mission, à la fois humanitaire et pastorale, et bien plus que les deux, puisqu’il y va du Salut. Travaillons dans le bout de la vigne du Seigneur où Il nous appelle, et réjouissons-nous du bien qui est fait ailleurs. Voir les choses non pas à partir de soi mais en Eglise libère de bien des pseudo dilemmes

FC – Quel est aujourd’hui le rêve de Didier Rance ?
DR – Avoir un peu plus de temps pour rêver, peut-être. Et ensuite ? Je serais heureux de repartir dans le tiers-monde pour ma retraite, ou de retourne
r à mes chères études, sur saint Ephrem ou Newman. A la grâce de Dieu !

Propos recueillis par Louise GRAU

© France Catholique

(Reproduction avec la mention de la source)
Livres publiés par Didier Rance

(tous aux Editions de la Bibliothèque AED sauf indication d’éditeur)

Familles chrétiennes de Pologne (1986), épuisé ; Chrétiens du Moyen Orient, témoins de la croix (1989), épuisé ; Catholiques d’Ukraine, des catacombes à la lumière (1991) ; Tchèques et Slovaques, témoins de la foi (1993), épuisé ; Roumanie. Courage et fidélité (1994) ; Humanitaire et Charité (1995) (Téqui) ; Albanie. Ils ont voulu tuer Dieu (1996) ; Pologne. Nous voulons Dieu (1998) ; Jean-Paul II, Affermis tes frères – Les Églises persécutées. Les Églises souffrantes. Les Martyrs et confesseurs de la foi. Le sens de la croix pour aujourd’hui. (1999) ; Un siècle de témoins, les martyrs du 20e siècle (2000) (Le Sarment-Fayard).

En collaboration
Familles chrétiennes en URSS (1986), Martyrs Chrétiens d’URSS (2002).
Catholiques de Bulgarie (avec la collaboration de J.-N. Grandhomme (2002).

Autres publications
Préface à Hélène Danubia, Prince et martyr, Mgr Vladimir Ghika, l’apôtre du Danube, 1993 (Téqui) ; Article sur les Églises catholiques de rite oriental en Europe, in Encyclopédie des religions, 1997 (Bayard) ; Traduction de S. Brock, L’œil de Lumière, la vision spirituelle de saint Ephrem, suivi de La Harpe de l’Esprit, florilège de poèmes de saint Ephrem traduits du syriaque, 1988 (Bellefontaine).

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ZENIT Staff

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