Académie pour la Vie : Présentation de J.-M. Le Méné

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CITE DU VATICAN, Jeudi 17 février 2005 (ZENIT.org) – « La santé des pays pauvres est victime de « pirateries » », dénonce M. Jean-Marie Le Méné, magistrat français, à l’occasion de la présentation, au Vatican, de l’assemblée générale de l’Académie pontificale pour la Vie, qui aura lieu la semaine prochaine, du 21 au 23 février.

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Intervention de M. Le Méné

I – La demande de santé, dans les pays riches, a évolué vers une demande de bien être

A – De nouveaux besoins sont promus par de nouveaux demandeurs

– Ces nouveaux besoins obéissent au seul critère du désir

Le symbole le plus éclairant de cette évolution est l’explosion des techniques de procréation médicalement assistée qui, en traitant l’absence d’enfant comme une maladie, ont entraîné un glissement de la santé vers le bien-être. On fait comme si la souffrance de ne pas avoir d’enfant était un symptôme relevant de la médecine, renvoyant à une maladie qu’on pourrait faire prendre en charge par la collectivité.

Cette exigence du désir d’enfant est le reflet inversé d’une autre exigence, radicale, celle du désir de ne pas avoir d’enfant. Or, ce refus de l’enfant, qui a lui aussi été médicalisé et pris en charge par l’assurance maladie est sans doute la première étape du glissement de la santé vers un prétendu bien être.

C’est encore le désir qui est consacré quand un système de santé accepte, organise et finance, au nom de la santé, la suppression d’enfants à naître anormaux, comme moyen de « prévention » du handicap. L’illusion d’être toujours dans le monde de la santé est une sorte de sécurité volontairement entretenue.

Ce désir de puissance se manifeste également dans l’exigence de rester toujours jeune, grâce à l’utilisation des cellules souches embryonnaires, prélevées sur les embryons surnuméraires, ou après clonage dit thérapeutique. Encore une fois, le terme thérapeutique nous rattache – à tort – à l’univers de la santé.

La liste pourrait être encore complétée : beauté physique, performance sexuelle, etc. Il en ressort que la partie solvable de l’humanité semble avoir fait le plein des produits de santé courants et exprime dorénavant de nouvelles demandes, par définition illimitées, difficiles à satisfaire et éthiquement contestables.

– Les nouveaux demandeurs ne sont pas des malades « spontanés »

Devant les perspectives ouvertes par ces nouveaux besoins, un discours enthousiaste est tenu par les scientifiques qui accèdent au rang de dispensateurs de la vérité. Il permet au pouvoir politique de se décharger de sa responsabilité et entraîne une sur-représentation du point de vue technique dans les instances délibératives. Le rôle des experts dans les comités d’éthique est souvent d’accoutumer l’opinion publique et les médias à la transgression. Les dérives de la santé vers le bien être sont ainsi accompagnées de slogans douteux : avortement = santé des femmes ; diagnostic pré-implantatoire = alternative à l’avortement ; recherche sur l’embryon = solidarité intergénérationnelle ; bébé médicament = espoir, etc.

Parallèlement, s’est développé le diktat des associations de malades (SIDA ou myopathie, par exemple). Au nom de la compassion et avec des moyens parfois peu démocratiques (irruption sur les plateaux de TV, menaces, réseaux d’influence, pseudo conférences de consensus, etc.), des associations ont fait valoir des exigences discutables (accession à certaines molécules non validées, prises de position en faveur de la recherche sur l’embryon et du clonage, etc.). Les arbitrages financiers en ont été influencés au détriment de choix de santé plus rationnels.

B – Les dépenses de santé sont de plus en plus élevées et mal régulées par le marché

– De nouveaux maux sont apparus, qui pèsent lourd : les maladies de civilisation

La liberté revendiquée par rapport à certaines règles comportementales entraîne de nombreux « mal-être » pris en charge par les systèmes de santé sans tenir compte des causes qui restent non traitées.

Ainsi, les principaux problèmes de santé publique sont les suivants :

– Pour les personnes âgées, il est de réduire le nombre d’hospitalisations pour effets secondaires iatrogènes liés à la surconsommation de médicaments.

– Pour les jeunes enfants, il consiste à prévenir les carences socio-affectives et leurs conséquences : anorexie et obésité.

– Pour les enfants, il s’agit de prévenir les troubles majeurs de la relation familiale et la maltraitance.

– Les jeunes scolarisés seront suivis pour qu’ils évitent des comportements « addictifs ». Il est aussi prévu de développer l’éducation à la contraception et de recourir à la contraception d’urgence (abortive).

– Les étudiants feront l’objet d’une protection contre les risques de décès par suicide et l’exposition au VIH et aux MST.

La surmédicalisation de la vie pose un problème particulier pour les troubles mentaux et les désordres du comportement. On semble passé des médicaments pour les malades aux médicaments pour les bien portants en difficulté, puis aux médicaments pour faciliter la vie aux bien portants.

– Le discours économique libéral ne contribue pas à réguler cette demande

Le discours libéral nous garantit que la liberté sans entrave offerte au marché est notre meilleure chance d’accroître la richesse collective et que c’est à elle que nous devons le bien-être. Les fantasmes associés au développement de la génétique et de la thérapie cellulaire, par exemple, assignent aujourd’hui un nouveau but au libéralisme économique pour sortir de sa crise. Autrefois, on parlait de dépenses pour la santé. On risque de parler demain des richesses que la santé permet de dégager.

Dans une société guidée par des principes moraux, la question est de savoir si une chose est conforme au bien commun. Dans les sociétés hédonistes, la question est plutôt de savoir si chacun pourra aller jusqu’au bout de son désir. La référence au permis cède le pas à la référence au possible, mais les conséquences sont lourdes à payer. Les lois du marché sont impuissantes à donner du sens et à rationaliser cette évolution. Les suivre aveuglément n’est qu’une fuite en avant.

II – Dans les pays pauvres, la gestion de la santé est pénalisée par une offre inadaptée

A – La santé des pays en développement est victime des idéologies

– La déclaration d’Alma-Ata : l’illusion socialiste

La déclaration solennelle qui y fut proclamée en 1978 par l’OMS et l’UNICEF invita tous les pays à faire de la promotion des soins de santé primaires la pierre angulaire du développement des systèmes de santé.

A partir des images progressistes de peuples démunis libérés de la puissance des nantis, on a cru qu’il était possible pour les pays pauvres de sortir du sous développement par la mobilisation de leurs propres forces.

Ce mouvement fut rejoint par les ONG, les organisations spécialisées des Nations Unies, la Banque mondiale, l’Union européenne et la plupart des organisations bilatérales. Mais un grand nombre de programmes ou projets se sont finalement soldés par des échecs liés à l’insuffisance du financement, de la formation et de l’équipement.

– L’initiative de Bamako : le désenchantement libéral

Adoptée en 1987 par le 37ème comité régional de l’OMS, cette initiative reposait sur le principe de la vente aux usagers des médicaments génériques acquis à faible prix. La vente avec bénéfice devait assurer le réapprovisionnement en médicaments et le financement des dépenses de fonctionnement des centres de santé. Les pays en développement, lourdement endettés, ont dû s’y rallier. Or, ce principe a entraîné l’exclusion du système de soins des plus défavorisés. Plus un pays est pauvre, plus ses habitants sont obligés de payer eux-mêmes les soins de santé. En outre, l’amélioration de la qualité des services de santé, qui était annoncée, n’est toujours pas obtenue.

Les années 90 sont car
actérisées par des approches sectorielles dans les pays où l’aide extérieure contribue largement au financement du système de santé. La Banque mondiale est devenue le premier bailleur de fonds publics dans le domaine de la santé. Cependant les projets sectoriels financés par la Banque connaissent une mise en œuvre difficile, en raison de l’absence de relais fiables sur le terrain. L’OMS, dans son dernier rapport, vient d’ailleurs d’en appeler expressément aux associations confessionnelles pour mettre en œuvre les approches sectorielles.

B – La santé des pays pauvres est victime de « pirateries »

– La piraterie biologique : la privatisation du patrimoine biologique des pays du Sud

Le conflit opposant les pays du Nord et du Sud autour du contrôle du patrimoine biologique mondial s’annonce comme une des principales batailles économiques et éthiques du siècle des biotechnologies. Les multinationales sont à la recherche de caractéristiques génétiques ou biologiques rares ayant pour but d’aboutir à de nouveaux médicaments. Les pays du Sud considèrent que ces découvertes constituent un piratage de leur patrimoine même si les entreprises produisent de la valeur ajoutée en manipulant les gènes codant pour telle ou telle protéine. D’après les indications de l’organisation mondiale de la propriété intellectuelle, en 1996, les particuliers et les firmes des pays industrialisés, tous domaines confondus, détiennent 95 % des brevets d’Afrique et 70 % de ceux de l’Asie.

Cette attitude est particulièrement dommageable lorsqu’elle est le fait de l’industrie pharmaceutique et qu’elle aboutit, grâce au droit des brevets, à pénaliser les pays du Sud dans leur accès aux médicaments ou au dépistage des maladies. L’issue de cette bataille éthique autour de l’un des plus grands défis lancé à la loi naturelle a évidemment des retombées sur les économies et des conséquences sur la gestion de la santé des pays pauvres.

– La piraterie juridique : les tentatives d’autoriser le clonage à L’ONU

En novembre 2003, puis en novembre 2004, la sixième commission (juridique) des Nations Unies a décidé de reporter l’examen des propositions visant l’élaboration d’une convention internationale contre toute forme de clonage humain, alors même que la majorité des pays présents était pour cette interdiction générale.

Cette décision prise sous l’influence de certains pays développés, favorables au clonage, est d’autant plus grave que les pays les plus démunis, et sans réglementation, sont les plus exposés aux dangers du clonage : délocalisation sauvage des entreprises de biotechnologies dédiées au clonage, risque de transformer le corps des femmes pauvres en marchandise, dangerosité des essais de transplantation de cellules issues de clones, diminution des financements utiles aux besoins de santé primaires, etc.

Conclusion

Deux considérations sont presque toujours absentes des préoccupations de santé dans le monde : le bien intégral de la personne d’une part et la mort d’autre part.

Jamais on ne voit s’interroger sur ce que signifie le « bien » de l’homme. Au contraire, on a le sentiment que les systèmes de santé constituent des réponses à des questions oubliées. Or, la question est : en quoi consiste le dû à la personne humaine, pourquoi on le doit et comment ?

La considération de la mort n’est pas non plus intégrée au débat. La vérité sur la mort – et donc sur la vie – n’est-elle pas seule de nature à donner du sens à un système de santé et à orienter ses choix ?

[Texte original: Français]

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ZENIT Staff

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