5788 km à pied : Vivre la pauvreté c’est accepter d’avoir besoin des autres (I)

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Entretien avec Edouard et Mathilde Cortès

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ROME, Mercredi 9 avril 2008 (ZENIT.org) – « Nous avons choisi de nous abandonner totalement dans les mains des hommes et de Dieu pour élargir notre cœur. Pauvres, nous le sommes devenus parce que nous attendions tout des autres ». Après un pèlerinage à pied de près de 6000 kilomètres, de Paris à Jérusalem, Edouard et Mathilde Cortès sont de retour. Ils expliquent pourquoi ils ont choisi de faire ce pèlerinage et comment ils l’ont vécu.

Zenit – La décision de faire ce pèlerinage en mendiants a profondément interpellé les gens. Elle était un peu vu comme « une folie ». Avez-vous regretté cette décision ?

E. et M. Cortès – Nous sommes partis à pied, sans argent, sans téléphone portable, en mendiant notre nourriture et un toit pour dormir. C’est fou, surtout dans une société où on prône la sécurité maximale, prise de risque minimale. Nous avions de petites besaces de 4 kilos pour Mathilde et 7 pour Edouard. Nous avons tout lâché (appartement, boulots, comptes en banque…), quitté nos familles et nos amis une semaine après notre mariage. Nous avons voulu nous dépouiller du surplus matériel dans lequel nous vivons. Même notre carte bancaire. Nous avons choisi de nous abandonner totalement dans les mains des hommes et de Dieu pour élargir notre cœur. Pauvres, nous le sommes devenus parce que nous attendions tout des autres.

En sept mois et demi nous avons vécu avec peu mais n’avons manqué de rien. Se faire pauvre, devenir pauvre, ce n’est pas un jeu. C’est une urgence dans notre société où le matérialisme est un cancer des cœurs. C’est une nécessité si on veut aller vers l’autre. Nous étions en position de demandeurs. Nous avons reçu des Hommes. 103 accueils pour la nuit dans des maisons. Plus de 250 repas reçus dans des familles. Notre survie a tenu à un seul mot : la CONFIANCE.

Bien sûr, nous avons aussi eu faim. Nous avons souvent dormi dehors, 82 bivouacs en pleine nature ou dans des lieux abandonnés. Plus que le pain, nous avons mendié ce qu’il y a dans le cœur des hommes.

Zenit – Pouvez-vous nous décrire l’un des plus moments les plus durs de ce pèlerinage ? Et l’un des plus beaux ?

E. et M. Cortès – 232 jours, 5788 km, parsemés de joies et d’épreuves, 14 pays traversés, des centaines de personnes croisées cela veut dire une multitude de beaux moments et une myriade de difficultés.

Le plus dur pour nous n’a pas été d’avoir faim ou froid mais d’être rejetés. Par exemple par un prêtre catholique en Croatie qui n’a pas voulu venir nous voir et nous parler mais qui, par personne interposée, nous a envoyés dormir loin de son église. Nous ne faisions pas très « propre » sans doute, installés pour dormir devant le porche de la maison de Dieu. Un autre moment dur : en Syrie, suspectés par les services de renseignements, pris pour ce qu’on n’était pas, suivis en permanence, interrogés tous les jours et de ce fait en semi-liberté et en proie à la paranoïa. Le plus difficile a été d’avoir peur des hommes. Vaincre ses peurs, voilà le vrai défi. Pour cette marche, pour la vie. Il a alors fallu apprendre à redonner sa confiance et expérimenter que « l’amour parfait chasse la crainte ».

Les beaux moments, c’est de découvrir l’extraordinaire dans le quotidien. Une main qui se tend, une porte qui s’ouvre alors qu’on n’a rien à donner en retour. Particulièrement, ce moment où tu as faim et froid et où sans que tu ne demandes rien à personne, quelqu’un t’invite. Cela nous est arrivé bien des fois, comme ce jour de brouillard au Monténégro après le passage d’un col, où nous avons été accueillis à déjeuner par une famille qui était en train de faire des confitures. Nous sommes repartis avec 5 kilos de pommes de terre dans les sacs. Mais notre joie pesait plus encore.

Ou bien le souvenir de Marta, une petite fille serbe de 6 ans, qui nous a offert son unique jouet : « Tenez, ce sera pour votre premier enfant ». Ou encore Ender, un riche diamantaire en Turquie, musulman pratiquant, qui a lavé nos habits après 8 jours de marche.

Zenit – Avez-vous parfois eu envie d’abandonner ? A quels moments ? Qu’est-ce qui vous a aidé à tenir ?

E. et M. Cortès – A plusieurs reprises nous avons voulu arrêter notre marche. Les moments de découragement sont venus systématiquement après un coup dur : des disputes au sein du couple, des rejets, une agression en Turquie, la neige ou la pluie incessante, des pressions psychologiques des services de renseignements syriens, les jets de pierres et les insultes d’enfants au Proche Orient, l’expulsion à deux reprises par les douaniers israéliens.

Mais notre force a été d’être à deux. Rarement le découragement est venu ensemble. Il y en avait toujours un pour porter l’autre. Et quand nous avons flanché tous les deux, Lui était là, pour porter notre couple.

Zenit – Quelles « leçons de vie » tirez-vous de cette longue marche ? Tout d’abord sur le plan humain. Qu’avez-vous appris à travers les innombrables rencontres que vous avez faites ?

E. et M. Cortès – Cette route a été pour nous image de la vie. Car qu’on le veuille ou non, nous sommes en route et il faut marcher. Malgré la pluie, le vent, le soleil qui brûle, les cailloux du chemin… Avancer, malgré les obstacles et les fatigues. Avancer « au large », vers son idéal. Idéal qu’à l’image de la ligne d’horizon on n’atteindra pas, sur cette terre. Toute vie humaine est aventure. Nous en prenons ses risques puisqu’en dépend une éternité.

Ce fut un voyage de noces pour le meilleur et pour le pire. Nous avons vu des hommes, au cœur dur et fermé. Nous avons vu l’emprise du mal et de l’injustice. Et pour la première fois de manière si vive, nous l’avons senti et expérimenté dans nos cœurs et nos chairs.

Il y a des hommes au grand cœur. On en croise peu, car ils sont souvent discrets ou cachés. Ils ne parlent pas de charité, ils la vivent. Avec eux, une vraie rencontre est possible, entre celui qui accueille et celui qui reçoit. La joie est alors partagée. Une harmonie se dégage, et la langue qui nous faisait barrière, ne sert plus. On est dans un cœur à cœur où le pauvre est aussi heureux que celui qui donne. Comme si l’hospitalité qu’ils pratiquaient nous humanisait et eux avec. Comme si ce qu’ils donnaient gratuitement les transcendait et nous avec.

Nous nous sommes mis à l’école de la simplicité : prendre le temps comme il vient, les gens comme ils sont. Pendant 7 mois et demi, nous avons porté les mêmes vêtements, mangé ce qu’on nous donnait, bu avec la même soif de l’eau, de l’alcool, du café, du thé. Tel des métronomes de la route, nous avons vécu au tic tac du cœur, laissant la vitesse et le temps à ceux dont la vie est une course.

Enfin, nous avons fait l’expérience de l’effort et du sacrifice. Nous avons dépassé bien souvent nos limites. Physiquement, psychologiquement, quand on est à bout, ou quand on croit l’être, il y a toujours une part de possible dans l’Homme. Cela nous invite à l’Espérance. L’ascèse n’est pas à la mode. Peu importe, nous l’avons vécue tous les jours. Les hédonistes grimaceront, mais nous avons découvert la joie profonde qu’il y a à se dépenser pour plus grand que soi. Un chemin de croix que l’on accepte est un chemin de joie.

Zenit – Et sur le plan spirituel. Vous êtes partis dans un esprit d’abandon total à Dieu. Avez-vous le sentiment qu’il vous a accompagnés, et que vous le connaissez mieux aujourd’hui ? Pouvez-vous nous donner des exemples concrets.

[Fin de la première partie]

Propos recueillis par Gisèle Plantec

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ZENIT Staff

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