Frédérique Poulet @ Collège des Bernardins

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La consécration dans l’Ordo virginum est « baptismale », par Frédérique Poulet

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« N’éteignez pas la prophétie de votre vocation »

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La consécration féminine dans l’Ordo virginum est une consécration « baptismale » explique Frédérique Poulet, professeur de théologie dogmatique à la Faculté Notre-Dame, au Collège des Bernardins, à Paris, et qui est elle-même consacrée du diocèse d’Angers.

En présentant la nouvelle « instruction » du Saint-Siège sur cette vocation, elle souligne aussi « la dimension ecclésiale de la virginité consacrée », et elle rappelle que « c’est la grande prière prononcée par l’Évêque avec imposition des mains qui est au cœur de la consécration ». Elle fait notamment observer qu’ « à cause du Christ, le célibat vu dans l’Ancien Testament comme un symbole de mort devient associé à la promesse du Royaume et revêt alors un caractère de béatitude ».

Pour Frédérique Poulet, « la consécration virginale est présentée dans l’instruction comme une vocation ecclésiale, une prise au sérieux, une incarnation de la vocation de tout baptisé au salut ».

Elle cite le message du pape François aux consacrées du monde pour les 50 ans de l’approbation du rituel: « N’éteignez pas la prophétie de votre vocation ».

La théologienne française a bien voulu en dire plus aux lecteurs de Zenit.

AB

Zenit – Frédérique Poulet vous êtes professeur de théologie et membre de l’Ordo virginum et vous présentez le document du Saint-Siège « Ecclesiae Sponsae Imago » dans une édition en italien: en quoi ce document est-il nouveau?

Frédérique Poulet – Tout d’abord c’est une présentation à plusieurs voix coordonnée par une consoeur du diocèse de Lugano (Suisse) Cristina Vonzun. Je n’ai rédigé qu’une partie qui porte sur la consécration baptismale dans laquelle j’ai présenté la consécration virginale comme le déploiement spécifique de la consécration première, celle qui fait de nous des enfants de Dieu, des membres du Christ et des temples de l’Esprit : le baptême.

J’ai donc lu et étudié le document Ecclesiae Sponsae Imago promulgué le 8 juin 2018 sous cet angle. Ce document m’a d’abord marquée par la qualité des différentes approches qu’il propose ; biblique, théologique, ecclésiologique, spirituelle. Je suis moins compétente sur les parties canonique et juridique mais je les ai lues avec intérêt. Enfin la dernière partie sur la formation m’a bien sûr intéressée puisque je suis engagée dans plusieurs lieux de formation. Cette Instruction éditée presque 50 ans après la promulgation du Rituel de 1971 qui permettait à des femmes vivant dans le monde de recevoir la consécration jusqu’alors réservée aux seules moniales – Dom Guéranger l’avait remise en valeur – vient à point nommée car le nombre de consécrations allant croissant, il était bon et nécessaire de proposer une instruction qui reprécise les contours de cette vocation en particulier son charisme, sa physionomie spirituelle, sa forme de vie (1ère partie), son ancrage dans les Églises particulières et son lien à l’Église universelle (2ème partie) et enfin le discernement de la vocation et la formation pour l’Ordo Virginum (3ème partie). Le commentaire à plusieurs voix qui vient d’être publié à la Libreria Editrice Vaticana suit la progression de l’instruction dont il reprend les éléments principaux.

Ce qui m’a frappée dans l’Instruction et que j’ai essayé de faire ressortir dans la partie que j’ai rédigée c’est la dimension ecclésiale de la virginité consacrée. C’est d’abord et avant tout, comme toute vocation, un don fait à l’Église et très particulièrement un don fait à un diocèse. La première partie du titre du commentaire l’illustre : Da tutte le genti  un unica sposa. L’ordre des vierges « actualise d’une manière particulièrement intense sur le plan du signe et de l’indivision du cœur, le rapport virginal, sponsal et fécond qu’a l’Église avec le Christ ». C’est un charisme suscité par l’Esprit Saint pour le bien de l’Église et du monde. La particularité de ce charisme est double. Elle porte sur l’être et manifeste finalement la vocation baptismale de tous les membres de l’Église (elle n’est pas liée à l’exercice d’une mission spécifique) ; elle trouve sa source dans un rituel, et c’est une consécration liturgique (il n’y a pas de vœux émis comme les religieux mais un propos de virginité) car c’est la grande prière prononcée par l’Évêque avec imposition des mains qui est au cœur de la consécration.

Que dit et que signifie la virginité consacrée au sein de l’Église ? Elle dit d’abord combien la rencontre du Christ transforme radicalement une vie. L’instruction Ecclesiae Sponsae Imago montre en effet dans sa première partie qu’à cause du Christ le célibat vu dans l’Ancien Testament comme un symbole de mort devient associé à la promesse du Royaume et revêt alors un caractère de béatitude. « Il y en a qui ont choisi de ne pas se marier à cause du Royaume des Cieux » (Mt 19, 11). Cette béatitude est présente dans la prière de consécration « Heureux ceux qui consacrent leur vie au Christ et le reconnaissent comme source et raison d’être de la virginité. Ils ont choisi d’aimer celui qui est l’époux de l’Église ». La virginité consacrée, comme toute vie baptismale, pose la rencontre du Christ comme pôle central de l’existence au sein du peuple de Dieu. Elle est le déploiement spécifique de la première consécration, le baptême. Il s’agit de prendre au sérieux le Mystère Pascal, et d’incarner la parole de Saint Paul dans la lettre aux Galates « Avec le Christ, je suis crucifié. Je vis, mais ce n’est plus moi c’est le Christ qui vit en moi. Ce que je vis aujourd’hui dans la chair, je le vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré lui-même pour moi » (Ga 2, 19-20).

La consécration est donc une façon très personnelle d’incarner cette suite du Christ – le don de tout l’être dans le célibat le manifeste – et conjointement c’est tout sauf une vocation individualiste. En effet, elle s’inscrit dans la vocation de l’Église, peuple de Dieu à être Christi Sponsa et ne cesse de lui rappeler cette dimension, sa vocation à aimer le Christ, à devenir son épouse, à l’épouser au sens fort, de tout son être et dans tout son agir et ainsi à incarner sa présence au cœur du monde. L’instruction au numéro 17 précise : « la virginité consacrée se situe donc dans l’horizon d’une sponsalité […] théologale, c’est-à-dire baptismale, parce qu’elle concerne l’amour sponsal du Christ pour l’Église ». Dès lors, le charisme de la virginité consacrée ne revêt tout son sens que s’il est pensé en lien avec les autres charismes qui animent le corps du Christ. C’est ce que manifeste l’ancrage au sein d’une Église particulière où les divers charismes s’expriment et qui est développé dans la deuxième partie de l’instruction. La prière de consécration précise bien ce lien aux autres dons et charismes : « Et parmi tous les dons répandus, il y a la grâce de la virginité : tu la réserves à qui tu veux. C’est ton Esprit Saint qui suscite au milieu de ton peuple des hommes et des femmes conscients de la grandeur et de la sainteté du mariage et capables pourtant de renoncer à cet état afin de s’attacher dès maintenant à la réalité qu’il préfigure l’union du Christ et de son Église ». La consécration virginale est donc présentée dans l’instruction comme une vocation ecclésiale, une prise au sérieux, une incarnation de la vocation de tout baptisé au salut.

En quoi cette vocation est-elle ancienne, bien que l’on fête les 50 ans du rituel?

Cette vocation est très ancienne et toujours nouvelle. Le sous-titre du commentaire l’exprime bien : « Ordo virginum carisma antico per donne nuove ». Ce charisme est de fait ancien, car c’est la première forme de vie consacrée féminine. On en a trace très tôt dans l’Église. On lit au n° 3 de l’instruction : « A partir du IVème siècle, l’entrée dans l’Ordo Virginum se réalisait par un rite liturgique solennel présidé par l’Évêque diocésain ». Les commentaires patristiques sont nombreux à faire mention de cette vocation (par exemple Ambroise de Milan, Cyprien de Carthage). Puisque je travaille au collège des Bernardins je ne peux que citer celle dont le diocèse de Paris célèbre le 1600e anniversaire de la naissance, Sainte Geneviève, qui au 5ème siècle reçoit la consécration de l’Evêque Villière après avoir été auparavant appelée et avoir reçu l’imposition des mains de Saint Germain. Son rôle au cœur de la cité, en une période très agitée et traversée par de multiples courants n’est pas sans évoquer nos questionnements sociétaux. Cette figure de Sainte Geneviève montre l’actualité d’une vocation qui avait disparu au profit de la vie religieuse en communauté et qui retrouve depuis plus de 50 ans un dynamisme renouvelé.

En quoi cette vocation – vécue par quelque 5 000 femmes dans le monde –  est-elle prophétique à l’heure où le Saint-Père demande une « Eglise en sortie » et « aux périphéries »?

Dans son message à l’occasion du 50ème anniversaire de la promulgation du rituel, le jour de la Pentecôte le pape François écrivait : « Votre appel met en lumière la richesse inépuisable et multiforme des dons de l’Esprit qui fait toutes choses nouvelles » (cf. Ap 21, 5). Et il interpellait chacune : « Je voudrais vous dire : n’éteignez pas la prophétie de votre vocation » […] « La consécration vous réserve à Dieu sans vous rendre étrangère au milieu dans lequel vous vivez ».

Le Pape invitait alors les vierges consacrées à être des « femmes de miséricorde, des expertes en humanité ». Qu’est-ce à dire ? Il s’agit donc de signifier là où chacune se trouve, dans la diversité des métiers, des situations de vie, la présence du Christ qui aime tout être en véritable époux c’est-à-dire qui se livre totalement par amour pour chacun(e).

La vierge consacrée a fait une rencontre, celle du Christ et a basé sa vie sur la parole de la lettre aux Galates déjà citée, « Il m’a aimé et s’est livré lui-même pour moi ». Elle porte un trésor dans un vase d’argile (cf  2  Co 4,7) rappelle l’instruction au n° 88. Et elle a été appelée par grâce à devenir « experte en humanité » une expertise dont elle a fait l’expérience : « Dieu toujours fidèle, sois leur fierté, leur joie et leur amour ; sois pour elles consolation dans la peine, lumière dans le doute, recours dans l’injustice ; dans l’épreuve sois leur patience, dans la pauvreté, leur richesse, dans la privation leur nourriture, dans la maladie leur guérison » dit la prière de consécration qui décrit un amour très concret. Dès lors, là où elle se trouve -et la grâce de cette vocation c’est de n’avoir pas de charisme ou de mission spécifique-, elle peut offrir ce trésor en partage à tous jusqu’aux périphéries, là où l’Esprit qui souffle où Il veut l’enverra.

 

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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